B. UNE COUVERTURE DU TERRITOIRE ÉQUILIBRÉE, SELON UN SYSTÈME DE ZONES DE COMPÉTENCES
Sauf pour certaines missions spécifiques27(*), les trois unités d'élite voient leurs compétences réparties par zones géographiques, sans exclure une certaine flexibilité, y compris en cas d'urgence absolue.
1. Une répartition du territoire national par zones de compétences
L'action des trois unités d'élites répond, par principe, à la compétence géographique des administrations dont elles relèvent. Le RAID est ainsi compétent sur le ressort de la zone relevant de la police nationale28(*) (schématiquement, les villes de taille significative) et le GIGN en « zone gendarmerie » (schématiquement, les territoires ruraux, périurbains et les petites villes). La BRI-PP est, quant à elle, en charge de la zone de compétence de la préfecture de police, à savoir Paris et les trois départements de la petite couronne : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne29(*). Concrètement, pour ces trois derniers départements, un partage s'opère néanmoins entre le RAID et la BRI-PP, en fonction des instructions du préfet de police.
a) Une compétence de la BRI-PP géographiquement concentrée
La compétence géographique de la BRI-PP est la plus concentrée parmi les trois unités, couvrant quatre départements.
Néanmoins, d'une part, les limites extérieures de cette zone ne sont pas absolues, l'exécution des missions de police judiciaire, en particulier celles débutées dans les quatre départements précités, pouvant impliquer la poursuite des actions à l'extérieure de cette zone, en région parisienne, voire au-delà. D'autre part, le territoire de compétence de la BRI-PP connaît une grande densité de population et d'enjeux en termes de police judiciaire et d'intervention.
La capacité de réaction de la BRI-PP est garantie non seulement par l'implantation géographique de ses locaux historiques, situés au 36, quai des Orfèvres à Paris, et par le fait que les personnels opérationnels qui la composent emportent à leur domicile, lorsqu'ils sont d'alerte, le matériel nécessaire pour une éventuelle intervention à proximité. Cette modalité d'organisation, qui ne se retrouve pas en général dans les autres unités, permet, en cas d'urgence, une couverture large de la zone de compétence par les premiers intervenants, avant qu'ils ne soient rejoints par les effectifs venant du siège.
b) Une compétence nationale du RAID et du GIGN, qui s'appuient chacun sur une unité centrale et des antennes, dont le nombre s'est accru
À la différence de la BRI-PP, le RAID et le GIGN disposent d'une compétence nationale. Or, en dépit d'une organisation efficiente de moyens de mobilité rapides, il n'est pas possible pour leurs unités centrales respectives situées en région parisienne (à Versailles pour le GIGN et à Bièvres pour le RAID) de répondre très rapidement aux sollicitations provenant de l'ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer.
C'est la raison qui a présidé, dans un contexte marqué par les attentats terroristes de 2012 à 2016 qui ont frappé plusieurs régions, à la mise en place et à la multiplication progressives des antennes au sein des deux unités, y compris via l'intégration de services qui leur était initialement extérieurs. Ces antennes relèvent aujourd'hui de leur commandement à l'échelon central dans chacune des deux forces. Elles complètent l'action nationale de ce dernier.
La mise en place progressive d'antennes du GIGN et
du RAID,
pleinement intégrées au sein des deux
unités
Au sein du RAID, le déploiement progressif du réseau d'antennes résulte d'un mouvement initié en 2015. À l'intégration des sept groupes métropolitains d'intervention de la police nationale (GIPN)30(*) en 2015, a succédé la création en 2016 des antennes de Montpellier, Toulouse et Nancy (2017), puis l'intégration des GIPN de Nouvelle-Calédonie (2018), de Guadeloupe et de La Réunion (2019), avant la création des antennes en Martinique (2022), en Guyane et à Mayotte (2023).
Selon une logique similaire, les antennes du GIGN (AGIGN) ont été créées à compter de 2016. Matériellement, elles ont remplacé, sur le territoire métropolitain, les pelotons d'intervention de deuxième génération (PI2G), lesquels avaient été créés progressivement à compter de 2006, à Toulouse (2006), Orange (2008), Dijon (2012), Reims, Tour et Nantes (2015). A ensuite été créée en 2021 une antenne à Caen. Dans les territoires ultramarins, les AGIGN ont remplacé les groupes de pelotons d'intervention (GPI) en 2016 ; elles sont implantées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, en Guadeloupe, en Martine, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. En 2024, trois antennes techniques (situées à Bordeaux, Marseille et Maisons-Alfort), dédiées à l'acquisition technique des preuves judiciaires et du renseignement, ont en outre été intégrées au GIGN.
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial.
Aujourd'hui, le GIGN dispose d'une unité centrale et de 14 antennes opérationnelles (dont 7 en métropole et 7 dans les outre-mer), auxquelles s'ajoutent 3 antennes dites « techniques ». Le RAID est quant à lui composé d'une unité centrale et de 16 antennes (dont 10 en métropole et 6 dans les outre-mer) sur lesquelles le chef du RAID a autorité. Un échelon zonal « sud » basé à Marseille coordonne l'action des antennes de Marseille, Montpellier, Nice et Toulouse ; il dispose de moyens de gestion de crise complémentaires à la dotation classique des antennes.
Implantations de la BRI-PP, du GIGN et du RAID
Source : commission des finances, d'après une carte (modifiée) du ministère de l'Intérieur.
Aujourd'hui, les effectifs des antennes du RAID et du GIGN sont plus nombreux que ceux de l'unité centrale. Pour le RAID, la proportion est d'environ 60 %, tandis qu'elle s'établit à environ 52 % pour le GIGN. La taille des antennes est variable, s'étendant pour le RAID d'environ 5 (à Mayotte) à 27 personnels (à Marseille)31(*) et pour le GIGN de 24 (à Mayotte) à 46 personnels (à Cayenne). À l'antenne du GIGN de Tours, sur les 38 personnels affectés, 20 sont des personnels chargés de l'intervention et de la police judiciaire, 17 de la protection, tandis qu'une personne assure le soutien.
Répartition géographique des effectifs du RAID au 31 mars 2025
(en pourcentage)
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
Il convient de noter une différence dans la nature des missions confiées aux antennes du RAID et du GIGN. En effet, alors que la technicité des personnels du RAID est équivalente et leurs missions largement identiques, qu'ils soient affectés à l'échelon central ou dans les antennes32(*), il n'en va pas de même pour le GIGN. Au sein de cette dernière unité, les missions les plus complexes sont en principe confiées à l'échelon central, les antennes prenant en charge celles présentant un degré de complexité ou de gravité un peu moindre.
Répartition géographique des effectifs du GIGN au 31 mai 2025
(en pourcentage)
Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial
2. Une couverture du territoire globalement équilibrée et qui connaît une certaine flexibilité
Il résulte du cumul de la capacité de projection de l'unité centrale, y compris par hélicoptère33(*), et de l'accroissement du nombre d'antennes une couverture globalement satisfaisante du territoire, y compris dans les outre-mer.
a) Une couverture du territoire globalement équilibrée...
Sur le territoire métropolitain, en cohérence avec les caractéristiques de la zone « police »34(*), le RAID dispose d'une implantation dans ou à proximité de dix des onze villes françaises les plus peuplées35(*), seule Nantes faisant exception.
Carte des zones de compétences des implantations métropolitaines du RAID
Source : RAID.
S'agissant du GIGN, il est pour sa part implanté dans ou à proximité de villes de taille moyenne, à l'exception des antennes de Toulouse et de Nantes, conformément à un maillage territorial lui permettant de rejoindre rapidement les zones périurbaines ou rurales à proximité.
Seules deux régions géographiques connaissent une couverture en apparence limitée : le centre de la France et la Corse. Comme l'ont révélé les travaux du rapporteur spécial, l'absence d'implantation au centre du territoire s'explique par un nombre de missions associées relativement limité36(*). Par ailleurs, il est préféré, pour ce qui concerne la Corse, une intervention ponctuelle des échelons centraux du GIGN et du RAID.
En sens inverse, les départements de la petite couronne parisienne connaissent un cumul potentiel de compétences de la BRI-PP et du RAID, dont l'actualisation des modalités précises de répartition font actuellement l'objet de discussions entre le préfet de police et le directeur général de la police nationale, pour ce qui concerne certains types de missions. Conformément à l'état d'esprit constaté auprès des personnes auditionnées, le rapporteur spécial considère que les décisions prises en la matière ne devront avoir pour seul guide que l'intérêt du citoyen, qui doit s'interpréter en particulier par le prisme du temps d'intervention utile.
Dans les outre-mer, le RAID dispose de six antennes en Nouvelle-Calédonie, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte, tandis que le GIGN, présent dans les mêmes territoires, est également implanté en Polynésie française.
Seuls Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, et Wallis-et-Futuna ne disposent d'antenne d'aucune des deux forces, en raison d'un besoin plus limité. Le rapporteur spécial considère néanmoins qu'il convient, à défaut, de s'assurer de la capacité à réagir rapidement dans l'ensemble de ces territoires, en y maintenant des capacités d'accueil suffisants, notamment du point de vue des infrastructures, pour l'arrivée éventuelle de personnels de ces unités.
Recommandation n° 1 : Dans les territoires ultramarins dans lesquels le GIGN et le RAID ne disposent pas d'antenne, assurer les conditions - notamment logistiques - d'une projection de personnels et de matériels de ces unités depuis d'autres implantations (ministère de l'Intérieur, direction générale de la gendarmerie nationale et direction générale de la police nationale)
b) ...et qui connaît une certaine souplesse
La répartition du territoire en zone « police » et en zone « gendarmerie » et l'implantation fixe d'unités centrales et d'antennes du RAID et du GIGN pourraient faire craindre une forme de rigidité. En réalité, une certaine agilité doit être soulignée, a fortiori en cas d'urgence absolue.
En premier lieu, l'intégration des unités du RAID et du GIGN au sein d'un commandement central unique dans chacune des deux forces permet la centralisation et la répartition des demandes par un état-major répartissant les missions aux différentes structures, que ce soit l'unité centrale ou les antennes. Si la proximité géographique constitue un élément structurant dans les choix opérés, les antennes conservent une compétence nationale les amenant à intervenir au-delà de leur zone de compétence, dans des territoires parfois éloignés, notamment lorsque l'antenne la plus proche est mobilisée sur d'autres missions. En outre, l'activité de certaines antennes du GIGN est ponctuellement interrompue afin de mobiliser les personnels concernés pour des missions spécifiques, à l'image de la sécurisation du procès des attentats du 13 novembre, assurée notamment par les effectifs de l'antenne de Tours.
En deuxième lieu, il est fait exception au principe de la répartition des compétences par zone en cas d'urgence absolue, conformément au schéma national d'intervention de 201637(*). Dans cette hypothèse, chacune des unités peut intervenir en premier, quelle que soit le territoire concerné, afin de permettre la résolution de la crise, ou a minima sa stabilisation. Une fois l'unité compétente arrivée sur les lieux, cette dernière reprend la direction des opérations, la première unité intervenue apportant alors, si besoin, son concours selon une articulation unité menante/unité concourante. Par ailleurs, il est prévu qu'à la demande du directeur général de la police nationale, la BRI-PP peut être appelée à intervenir sur l'ensemble du territoire national, sur décision du préfet de police38(*).
En dernier lieu, la capacité de coordination des unités d'élite en cas de crise majeure est renforcée institutionnellement pour ce qui concerne la BRI-PP et le RAID. En effet, dans cette hypothèse, les deux unités policières peuvent être regroupées opérationnellement au sein de la force d'intervention de la police nationale (FIPN), dont le statut administratif a été créé en 2009.
La force d'intervention de la police nationale (FIPN)
Le statut de la FIPN a été créé par une instruction ministérielle de 2009 et précisé par un arrêté de 201139(*), dans le but de créer les conditions d'une coordination efficace des actions des forces de la BRI-PP et du RAID en cas de crise majeure. La FIPN est, du point de vue administratif, permanente et comprend les deux unités, qui conservent néanmoins leur rattachement organique.
Du point de vue opérationnel, elle n'est constituée qu'en cas de besoin, sur décision du DGPN et avec l'accord du préfet de police ; c'est alors le chef du RAID qui assure la coordination opérationnelle des unités40(*).
Source : commission des finances
La FIPN fut activée opérationnellement à une seule reprise, à l'occasion de l'intervention du RAID et de la BRI-PP lors de la prise d'otages de la Porte de Vincennes dans le magasin « Hyper Casher », en janvier 2015. Cette intervention avait au demeurant été assurée en coordination avec le GIGN, intervenant pour sa part contre des terroristes retranchés dans une imprimerie de Seine-et-Marne. La FIPN ne fut en revanche pas activée lors de l'intervention commune de la BRI-PP et du RAID à l'occasion des attentats du 13 novembre 2015, notamment lors des assauts conjoints dans la salle de spectacle du Bataclan et de Saint-Denis ; un travail de coordination avait toutefois été réalisé entre la BRI-PP et le RAID.
* 27 Voir infra.
* 28 Conformément aux articles R. 2214-1 et R. 2214-2 du code général des collectivités territoriales, les communes chefs-lieux de département sont placées sous le régime de la police d'État. En outre, ce régime peut être établi dans une commune ou dans un ensemble de communes formant un ensemble urbain lorsque les deux conditions suivantes sont remplies : 1° La population de la commune ou de l'ensemble de communes, appréciée en tenant compte de l'importance de la population saisonnière, est supérieure à 20 000 habitants ; 2° Les caractéristiques de la délinquance sont celles des zones urbaines.
* 29 En application des articles 72 et 73 du décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements, le préfet de police a la charge de l'ordre public dans le département de Paris mais également dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne. Il y dirige l'action des services de police. Il dispose également de compétences spécifiques en matière d'ordre public s'agissant des aéroports Paris-Charles de Gaulle, Paris-Le Bourget et Paris-Orly, en application de l'article 73-1 du même décret.
* 30 Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Rennes et Strasbourg.
* 31 Dont 24 à 25 effectifs opérationnels.
* 32 Néanmoins, conformément à l'article 2-1 de l'arrêté du 5 janvier 2011 relatif aux missions et à l'organisation des services composant la force d'intervention de la police nationale et portant dispositions sur l'affectation et l'aptitude professionnelle de leurs agents, les antennes ne peuvent pas mettre à disposition des moyens techniques spécifiques.
* 33 Voir infra.
* 34 Voir supra.
* 35 Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Bordeaux, Lille et Rennes.
* 36 La création d'une antenne dans cette zone présenterait un coût peu efficient au regard d'un niveau d'activités qui serait relativement faible. En outre, un niveau d'activité faible implique une baisse de technicité des personnels.
* 37 Voir supra.
* 38 Article 10 de l'arrêté du 5 janvier 2011 relatif aux missions et à l'organisation des services composant la force d'intervention de la police nationale et portant dispositions sur l'affectation et l'aptitude professionnelle de leurs agents
* 39 Arrêté du 5 janvier 2011 relatif aux missions et à l'organisation des services composant la force d'intervention de la police nationale et portant dispositions sur l'affectation et l'aptitude professionnelle de leurs agents.
* 40 Article 1 du même arrêté.