EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 2 juillet 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de MM. Arnaud Bazin et Pierre Barros, rapporteurs spéciaux, sur l'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons enfin entendre la communication de MM. Pierre Barros et Arnaud Bazin, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur l'évolution du financement de la lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - Mes chers collègues, avant de céder la parole à mon collègue Arnaud Bazin, je souhaiterais dresser un rapide état des lieux des violences faites aux femmes en 2025 et apporter un certain nombre de précisions sur ce dont nous parlons.

Le constat n'est pas moins glaçant qu'il y a cinq ans : si le nombre de féminicides a diminué entre 2020 et 2023, passant de 121 à 96, le nombre de tentatives, lui, a augmenté de 238 à 451. Le nombre de viols ou de tentatives de viol enregistrés par les services de police et de gendarmerie a plus que doublé sur cette même période et le nombre des cas de violences volontaires au sein du couple a progressé de près de moitié.

Ces chiffres pourraient nous conduire à sous-estimer l'importance des violences, mais, en réalité, elles ne sont pas toutes déclarées - tant s'en faut. Les enquêtes de victimation témoignent au contraire du caractère endémique des violences faites aux femmes, puisque 217 000 femmes ont été victimes d'au moins une agression sexuelle hors du couple en 2022. Plus inquiétant encore, seuls 3 % des affaires de viol aboutissent à une condamnation définitive.

En réalité, les violences faites aux femmes, en particulier les violences sexuelles, s'inscrivent dans un véritable système de domination, fondé sur le sexisme. Celui-ci, loin de s'éteindre comme on voudrait parfois le croire, a malheureusement encore de beaux jours devant lui : plus d'un quart des hommes sondés par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) considèrent qu'ils feraient de bien meilleurs patrons qu'une femme, et la proportion d'hommes qui perçoivent la cause des femmes comme une menace pour leur pouvoir s'établit à 37 % en 2025, selon le même sondage.

Les violences faites aux femmes ne sont que l'aboutissement, le haut du spectre pour ainsi dire, d'un continuum de violences qui va du stéréotype à la discrimination, au viol et à l'exploitation sexuelle, voire au féminicide. Ainsi, quand Arnaud Bazin et moi-même parlons de violences faites aux femmes, c'est à ce gradient de violences que nous nous référons.

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Il y a cinq ans, Éric Bocquet et moi-même avions publié un rapport d'information intitulé Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes. La communication que je présente aujourd'hui, avec Pierre Barros, procède à un nouvel examen des mêmes questions : quels sont les moyens financiers mis à la disposition des politiques en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes ? Quels sont les moyens humains déployés dans cette perspective ? L'administration et les associations exercent-elles leurs missions dans des conditions satisfaisantes ?

D'abord, il nous est apparu que les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes manquent d'une boussole stratégique depuis la fin du Grenelle des violences conjugales. La Cour des comptes a ainsi déploré « une juxtaposition de plans inégalement suivis », un constat que nous partageons. En outre, le plan « Toutes et tous égaux » pour la période 2023-2027 est jugé insuffisamment ambitieux, la lutte contre les violences faites aux femmes ne constituant que l'un de ses quatre axes. Il nous semble donc qu'il faudrait doter cette politique publique d'une véritable stratégie interministérielle ciblant les violences faites aux femmes, quitte à en adopter, comme nous le faisons, une large définition.

S'agissant des financements, il ressort de nos travaux que leur progression est difficile à évaluer. En effet, si les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » ont augmenté de 176,8 % entre 2020 et 2024, ils ne représentent au total qu'un peu plus de 100 millions d'euros. Il s'agit d'un montant dérisoire, a fortiori lorsqu'on le rapporte au « coût » des violences pour la société, que plusieurs études ont chiffré à au moins 3,6 milliards d'euros par an.

Heureusement, les crédits du programme 137 ne sont pas les seuls à concourir à la lutte contre les violences faites aux femmes : d'autres programmes permettent de financer les places d'hébergement d'urgence pour les femmes qui quittent leur conjoint violent ; certaines enveloppes dédiées à la justice ou à la sécurité sociale y concourent également.

Cela étant, l'estimation exacte de ces financements n'est pas aisée. Ainsi, la Fondation des femmes évalue cet effort financier à un peu plus de 180 millions d'euros, un montant qui nous paraît assez faible. Le document de politique transversale (DPT) fourni par l'administration de l'État, lui, considère que les crédits contribuant à l'égalité femmes-hommes s'élèvent à 5,8 milliards d'euros, ce qui semble franchement excessif. Dans notre rapport de juillet 2020, Éric Bocquet et moi-même avions ainsi déploré la complaisance avec laquelle on avait décidé de considérer un certain nombre de financements figurant dans le DPT comme contribuant à cette politique - je pense notamment aux salaires des professeurs d'histoire-géographie, qui font référence à l'égalité hommes-femmes dans leur cours d'enseignement moral et civique, ou encore à certains crédits de l'aide au développement, qui contribuent à la construction de stations de pompage et dispenseraient de ce fait les femmes africaines de transporter l'eau... Notre constat à cet égard est évidemment toujours valable.

Nos observations sont similaires s'agissant des autres sources de financement : les financements des collectivités territoriales sont significatifs, mais ils sont probablement sous-exploités. De même, il nous semble qu'il faudrait davantage mobiliser les fonds européens. En outre, les fonds privés pourraient également être une manne intéressante. Mentionnons ici l'exemple inspirant de la Fondation des femmes, qui se fait une spécialité de collecter des fonds privés pour les redistribuer à d'autres associations agissant en faveur de la prévention des violences faites aux femmes.

S'il semble judicieux de s'interroger sur le niveau des financements, qui peut apparaître inférieur à celui des besoins, il l'est tout autant de s'interroger sur leur efficacité. Or, en la matière, nous ne disposons que de peu d'informations. Nous recommandons de revoir certains indicateurs de performance, que nous jugeons trop peu pertinents. Il importe surtout d'être fidèle à la démarche, qui n'était encore qu'une ébauche en 2020, de la « budgétisation intégrant l'égalité » : il s'agit d'une sorte de « budget vert », à ceci près qu'il permet de mesurer l'impact du budget, non pas sur l'environnement, mais sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Il nous semble que cette démarche présente un intérêt certain si l'on veut vraiment évaluer l'impact des dépenses publiques en faveur de l'égalité femmes-hommes. L'administration a assuré qu'une préfiguration de ce dispositif était prévue dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2026 : nous y serons attentifs.

J'en viens enfin aux acteurs indispensables de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes, à savoir le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) et les associations spécialisées. Une fois encore - et nous n'en tirons malheureusement aucune satisfaction -, notre constat n'est guère différent d'il y a cinq ans.

S'agissant de l'administration, la Cour des comptes juge que ses services « peinent à accomplir leur mission », en raison notamment de la faiblesse de leurs moyens. Cette faiblesse est particulièrement criante à l'échelon déconcentré : il faut garder à l'esprit que les délégations départementales aux droits des femmes ne sont composées que d'un délégué, qui doit remplir seul ses missions.

Nous souhaitons apporter une réponse à cette situation. D'abord, il faudrait donner à l'administration les moyens de ses missions - c'est un préalable élémentaire -, en portant les effectifs du réseau déconcentré au niveau théorique prévu par une instruction ministérielle. Cela impliquerait de rehausser le plafond des autorisations d'emplois d'une dizaine d'ETP. Il nous semble également qu'il faudrait faire du SDFE une véritable administration ministérielle, en le transformant en une délégation interministérielle dont le ministre de tutelle serait lui-même rattaché au Premier ministre.

Enfin, nous observons que les associations sont très fragilisées par le versement tardif de leurs subventions et la faiblesse de leurs moyens humains. Nous réitérons donc les recommandations du rapport que j'ai commis avec Éric Bocquet en 2023 sur le conventionnement des associations : simplifier les procédures de conventionnement et développer les conventions pluriannuelles qui sont encore trop peu utilisées.

Aujourd'hui, malgré la hausse des moyens, les besoins ne sont pas satisfaits. Il serait tentant de réclamer une hausse des moyens tous azimuts en faveur d'une cause aussi importante que celle-ci. Mais, compte tenu de la contrainte budgétaire qui ne cesse de s'accentuer, nous avons préféré chercher à identifier les priorités de l'action publique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - À l'issue de nos auditions, Arnaud Bazin et moi-même avons en effet identifié trois axes d'action prioritaire.

Le premier consiste à étendre le champ de la lutte contre les violences faites aux femmes aux violences hors du couple et à développer la prévention. En effet, malgré d'importants progrès réalisés en matière de protection des victimes de violences conjugales - déploiement des téléphones grave danger (TGD) et des bracelets antirapprochement (BAR), ordonnances de protection -, la prise en charge demeure perfectible, à plus forte raison s'agissant des violences hors du couple.

Ainsi, la progression des moyens alloués aux structures d'accompagnement - la hausse enregistrée s'élève à 61 % en cinq ans -, qu'il s'agisse des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), des lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation (LEAO), ou des accueils de jour, n'a pas été aussi importante que celle des crédits du programme 137, qui a atteint 176,8 % sur la même période.

Davantage de moyens doivent également être consacrés à la prévention. Les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) pourraient constituer un outil intéressant en la matière. Plusieurs études soulignent leur impact positif sur les récidives. Ces centres pourraient ainsi développer leurs activités auprès des publics volontaires, afin de prévenir la commission des violences.

Les associations considèrent que les CPCA ne devraient pas être financés par le programme 137, lequel devrait être consacré aux victimes. Sans prendre position dans ce débat, qui paraît avant tout symbolique, il est clair que le financement des CPCA devrait être remis à plat. En effet, il repose actuellement sur un forfait par centre, quel que soit le nombre d'auteurs de violences pris en charge. Il convient d'augmenter les parts des financements variables selon la file active et de réduire la part des financements forfaitaires pour renforcer la prévention.

Le deuxième axe prioritaire concerne la facilitation des parcours de sortie de la prostitution. L'application de la loi est en effet disparate sur le territoire, notamment du fait des dysfonctionnements des commissions départementales de lutte contre la prostitution : dans certains départements, une telle commission n'a été mise en place que sept ans après l'adoption de la loi de 2016. Aujourd'hui encore, certaines d'entre elles ne se réunissent jamais ; d'autres opposent systématiquement un refus aux parcours de sortie de la prostitution, en parfaite méconnaissance de la loi.

Ces dysfonctionnements tout à fait inadmissibles doivent cesser immédiatement. Outre l'actualisation de l'instruction ministérielle pour assurer une meilleure information des administrations déconcentrées concernées, il conviendrait de réglementer les commissions départementales par décret et d'augmenter la durée qui sépare le renouvellement de deux parcours de sortie de la prostitution, afin de sécuriser les parcours de celles et ceux qui bénéficient du dispositif.

Enfin, il est primordial de renforcer l'accompagnement des femmes qui quittent leur conjoint violent. Certes, la création de l'aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales est une avancée en ce sens, mais elle ne peut résoudre à elle seule toutes les difficultés des victimes. C'est pourquoi la mise en place du pack « nouveau départ », dont l'ambition est de permettre un accompagnement global des victimes qui quittent leur conjoint violent, doit impérativement s'accélérer.

De même, les besoins en matière d'hébergement pour les victimes de violences sont très importants. Si un parc spécialisé a été développé depuis 2020, il ne suffit guère à loger les femmes qui en ont besoin ; en outre, on constate une tension croissante sur l'offre d'hébergement, la création du parc spécialisé semblant avoir été partiellement rendue possible par la conversion de places d'hébergement existantes.

Dans les années à venir, la priorité doit aller à la structuration d'un véritable parcours, de la mise à l'abri jusqu'au retour au logement autonome, qui passe par une phase d'accompagnement dans la durée dans le logement social ou l'habitat intermédiaire, laquelle doit se conclure par un retour dans le parc privé grâce au développement de mécanismes de garantie locative. Les 10 millions d'euros de crédits ouverts dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 pour loger les femmes sans abri constituent, à ce titre, un modèle à suivre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pierre Barros vient d'évoquer la dotation de 10 millions d'euros votée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 : il importe de regarder de plus près la traduction concrète qui en a été faite sur le terrain. Ce retour d'expérience est essentiel.

Arnaud Bazin nous alerte chaque année sur ce sujet très important des violences faites aux femmes. J'ai moi-même assisté vendredi dernier à une réunion de maires près de la sous-préfecture de Lunéville, en présence des services de l'État, lors de laquelle a été abordée la question des violences intrafamiliales. À cette occasion, le commandant de la gendarmerie de Lunéville nous a alertés sur le fait que, d'après les deux intervenantes sociales qu'il employait, près de 40 % des cas de violences n'avaient jamais été détectés par les services sociaux, un chiffre impressionnant qui éclaire d'un nouveau jour les statistiques que nos rapporteurs spéciaux viennent de nous communiquer.

Cela me conduit à penser qu'il convient de renforcer l'articulation des actions engagées par les différents acteurs sur le terrain.

Au travers votre recommandation n° 8, vous préconisez d'« encourager le développement de solutions de financement sur fonds privés ». Toutes les solutions doivent en effet être explorées. À ce titre, je citerai un exemple intéressant : se pose, toujours à Lunéville, le problème du financement d'un poste supplémentaire d'intervenant social en gendarmerie ; or il est envisagé de faire peser la prise en charge de près de 80 % de ce budget par la Mutualité sociale agricole (MSA), qui interviendrait dans la mesure où le territoire concerné est à dominante rurale. Par ailleurs, une part de l'effort financier peut être fourni par les collectivités locales : ces dernières acceptent parfois de financer le relogement de femmes victimes de violences et de leurs enfants, en mettant un ou deux logements à disposition - même si tout cela implique des moyens et de l'ingénierie de projet. Je souscris en tout cas à cette recommandation qui met en exergue l'importance de la recherche collective de solutions de financement privées ou publiques.

Mme Isabelle Briquet. - Je remercie les deux rapporteurs spéciaux de cette communication, dans laquelle ils dressent un rapport plutôt alarmant. Les violences sont en nette augmentation. Que cela s'explique ou non par une meilleure connaissance du phénomène, les chiffres sont effarants.

Mes chers collègues, je souhaite vous interroger sur un point précis : pourriez-vous nous en dire plus sur les importantes tensions que vous avez mentionnées sur l'offre d'hébergements. Par ailleurs, pourriez-vous préciser en quoi consisterait le parcours d'hébergement continu et cohérent que vous appelez de vos voeux ? Enfin, dans votre recommandation n° 19, vous proposez d'« expérimenter [...] l'hébergement des auteurs de violences », ce qui pourrait apparaître contre-intuitif, dès lors que les moyens financiers consacrés à l'accompagnement desdites victimes sont insuffisants aujourd'hui : pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? Disposez-vous d'informations sur les dispositifs actuels de suivi des auteurs de violences ?

M. Vincent Éblé. - Mes chers collègues, dans votre communication, vous évoquez les dysfonctionnements des commissions départementales de lutte contre la prostitution. C'est un commentaire qui m'interpelle, car, vous l'avez vous-même dit, il n'en existe pas partout. C'est du reste pourquoi je considère, pour ma part, qu'elles ont surtout le mérite d'exister. De quels dysfonctionnements s'agit-il exactement ?

M. Stéphane Sautarel. - Par votre recommandation n° 6, vous proposez de « développer la contribution des collectivités territoriales au financement des solutions locales concourant à l'égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les violences faites aux femmes ». Mais cette contribution n'existe-t-elle pas déjà ? Êtes-vous en mesure d'estimer le niveau des efforts financiers déjà consentis par celles-ci ? Quels efforts supplémentaires envisagez-vous ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Cette recommandation n° 6 est-elle, dans l'esprit de ses auteurs, une obligation ou une incitation ? Quelles sont les collectivités visées lorsque l'on évoque cette contribution complémentaire ?

Il faut savoir que la moitié des féminicides en France ont lieu en zone rurale, alors que les territoires ruraux ne représentent qu'un tiers de la population globale. Les communes rurales ont conscience de la situation : elles se sont organisées en mettant en place le dispositif « Élu rural relais de l'égalité » (Erre) au travers duquel elles invitent l'ensemble des communes de chaque département à désigner un référent susceptible de détecter les endroits où se produisent de telles violences. Envisagez-vous de solliciter davantage ces programmes à travers un financement dédié ?

M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, les 10 millions d'euros de crédits consacrés aux femmes victimes de violences sans domicile feront évidemment l'objet d'une expertise en vue d'une traduction concrète dans le cadre du prochain projet de loi de finances. À l'heure où je vous parle, nous ne nous sommes pas encore penchés sur le sujet.

Vous avez eu raison d'évoquer les intervenants sociaux en gendarmerie, car leur importance - vous l'avez souligné avec l'exemple que vous avez donné - est cruciale dans cette lutte contre les violences. Leur généralisation, souhaitée, suppose des financements qui sont en règle générale tripartites - État, département et groupement de communes -, mais qui peuvent varier, notamment en zone rurale - vous avez à juste titre mentionné le rôle de la MSA. Quoi qu'il en soit, le dispositif des intervenants sociaux en gendarmerie a fait ses preuves.

Mme Briquet nous interroge sur notre recommandation n° 19 : la promotion de l'hébergement des auteurs de violences doit permettre à la victime d'occuper le domicile, ce qui est essentiel lorsque le couple a des enfants - il est extrêmement complexe de devoir déménager, car cela implique un changement de lieu de vie, d'école, etc. Il est toujours préférable, nous semble-t-il, d'éloigner les auteurs des violences, soit par voie de justice, soit via un programme reposant sur le volontariat. À ce sujet, je fais mienne la conclusion du rapporteur général : c'est d'une prise en charge collective, impliquant l'État et tous les acteurs locaux, chacun jouant son rôle en fonction de ses capacités, que nous avons besoin.

Notre collègue nous interroge également sur les causes d'une telle hausse des violences en l'espace de seulement cinq ans : il est possible qu'on les détecte mieux ; ce qui est certain, c'est que la pandémie de covid-19 a renforcé les tensions au sein de certains couples et a accentué le phénomène des violences, libérant un certain nombre de comportements. Il est cependant difficile d'en mesurer les incidences.

Nous appelons effectivement de nos voeux un parcours d'hébergement continu et cohérent : cela passera, je viens de le dire, par la contribution de chacun, et notamment des collectivités locales, en fonction des moyens dont il dispose.

Enfin, l'éloignement des auteurs de violences ne nous semble absolument pas contre-intuitif : il s'agit au contraire d'une voie à privilégier.

M. Éblé a évoqué la question de la lutte contre la prostitution : dans le cadre de mes travaux sur le sujet, j'ai toujours pris soin de déplorer la lenteur avec laquelle les commissions départementales de lutte contre la prostitution avaient été mises en place dans les départements. Aujourd'hui, il en existe partout, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elles se réunissent régulièrement et efficacement. Parmi les dysfonctionnements que nous décrivons, je mettrai en avant la cohabitation difficile en leur sein d'acteurs aux préoccupations divergentes : certains services de l'État s'inquiètent ainsi d'une possible instrumentalisation de la politique de lutte contre la prostitution afin de contourner les règles en vigueur en matière d'immigration, ce qui nous semble être un sujet mineur, au vu des chiffres dont nous disposons. La priorité doit rester la lutte contre la prostitution, même si cela conduit à terme à la délivrance de titres de séjour.

M. Sautarel a bien expliqué que les collectivités locales étaient déjà mises à contribution de manière significative en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, et, plus largement, pour ce qui est des actions concourant à l'égalité femmes-hommes - nous en avons conscience. D'ailleurs, en 2022, près de 30 % des crédits alloués aux centres d'information sur les droits des femmes et des familles émanaient des collectivités territoriales - essentiellement par le biais des départements et des groupements de communes -, contre 40 % pour l'État. De même, les lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation des femmes victimes de violences et les accueils de jour sont souvent cofinancés par l'État et les collectivités territoriales.

Nous ne disposons pas pour autant d'éléments formalisés pour livrer une estimation globale des financements alloués par les collectivités à cette politique de lutte contre les violences. C'est d'autant plus regrettable que les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants ont l'obligation de publier chaque année un rapport sur la situation en matière d'égalité femmes-hommes intéressant le fonctionnement de la collectivité. Pour améliorer la lisibilité de ces financements, nous proposons de réaliser un recensement des rapports produits par ces collectivités et de généraliser, comme nous l'avons déjà expliqué, la « budgétisation intégrant l'égalité ».

Enfin, pour répondre à M. Mizzon, l'appel à contribution des collectivités ne relève évidemment pas de l'obligation : celles-ci doivent faire selon leurs moyens. Dans le contexte budgétaire actuel, il convient cependant de s'interroger sur les capacités tant de l'État que des collectivités à monter en gamme.

M. Pierre Barros, rapporteur spécial. - Je fais bien entendu miennes les réponses que vient d'apporter Arnaud Bazin, avec qui je partage une expérience commune dans le même département.

L'idée est de mettre en place un partenariat entre services de l'État, collectivités et associations, pour tenter de traiter l'intégralité de la problématique des violences faites aux femmes.

Chacun le reconnaît, la marche est très haute, et l'est de plus en plus année après année. Notre société va mal de ce point de vue. Les chiffres des violences progressent, d'autant que le traitement du problème est complexe, notamment quand les violences ont lieu dans l'espace privé.

Vos questions le prouvent : la question du logement est centrale. Même si la loi prévoit la mise à l'écart des auteurs de violences, on s'aperçoit que, dans les faits, les choses sont plus compliquées. Souvent, les auteurs de violences sont aussi propriétaires du logement et subviennent à l'essentiel des besoins du foyer, si bien que les femmes se trouvent très isolées, en particulier dans les quartiers populaires et en zone rurale, où l'aide qu'elles sont susceptibles de demander est plus éloignée ou diffuse.

Je veux souligner par ailleurs l'importance de l'accompagnement psychiatrique et psychologique mis en place dans certains hôpitaux pour soutenir les femmes victimes de violences et leurs enfants. Il s'agit d'initiatives cruciales tant les souffrances sont importantes.

Je suis persuadé que les collectivités ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les violences faites aux femmes : les élus locaux exercent une mission de proximité vis-à-vis des populations ; on dit même parfois que les maires soignent les âmes. Ils sont capables, dans certaines situations, de détecter des situations de détresse qui ne l'avaient pas été par les services sociaux, les collègues ou les voisins des victimes.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de cette communication fort intéressante. Je suis cependant dubitatif quant à l'intérêt qu'il y aurait à développer l'hébergement des auteurs de violences, et, donc, à laisser les femmes victimes dans leur logement, car un nouvel hébergement présente justement l'avantage de leur garantir une forme d'anonymat et de contribuer à éviter toute récidive - même si j'ai bien noté qu'il s'agissait d'une expérimentation, qui plus est sur la base du volontariat.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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