C. CONSOLIDER LES ACTEURS ET ADAPTER LES POLITIQUES AUX SINGULARITÉS ULTRAMARINES

Pour conduire cette politique de rattrapage, il est impératif de renforcer les acteurs de cette politique, au premier chef les MDPH et les opérateurs souvent peu nombreux.

À côté de cette consolidation, quelques adaptations sont aussi nécessaires pour tenir compte des singularités de certains territoires, sans nullement remettre en cause les équilibres de la loi du 11 février 2005 et l'architecture de la politique du handicap.

1. Structurer une gouvernance partagée du handicap et de la dépendance : des outre-mer précurseurs

Depuis plusieurs années, un mouvement est engagé au niveau national pour mutualiser et mieux coordonner les politiques départementales du handicap et de la dépendance.

a) Le démarrage favorable du service public départemental de l'autonomie (SPDA)

Plusieurs départements ont déjà de leur libre initiative mis en place des maisons départementales de l'autonomie (MDA), simplement encouragées par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV). Les MDA ne répondent pas à un cadre juridique unique.

Dans les outre-mer, la Guadeloupe a lancé son projet de Maison du Handicap et de l'Autonomie pour informer, orienter et évaluer en un lieu unique les usagers du service public départemental de l'autonomie et fournir à la MDPH de Guadeloupe des installations performantes afin d'accomplir ses missions.

La Maison du Handicap et de l'Autonomie, conçue après une large concertation de l'ensemble des partenaires institutionnels et du monde associatif, mettra également à disposition de l'ensemble des acteurs du champ de l'autonomie des espaces d'intervention pour favoriser la recherche de solutions concrètes et la construction d'un continuum d'accompagnement et de prise en charge. Une mutualisation des évaluations est envisagée.

La première pierre devrait être posée fin 2025 pour un investissement global de 16,1 millions d'euros sur la période 2025-2028 sur le site de l'ancien CHU. Dans une seconde phase, une antenne en Basse-Terre sera créée.

Au niveau national, 2024 a surtout été marquée par la préfiguration du service public départementale de l'autonomie (SPDA). Dix-huit départements préfigurateurs avaient été sélectionnés, parmi lesquels la Guyane.

Au cours de cette année de préfiguration, une première trame de feuille de route territoriale guyanaise a pu être co-construite avec l'ensemble des acteurs du territoire, et de premières fiches actions ont été élaborées.

Parmi les priorités de travail identifiées, on peut citer :

- mission Accueil, information, mise en relation : travail sur l'harmonisation des procédures d'accueil et d'information entre partenaires de premier niveau, développement de partenariats avec le réseau France services et les centres communaux d'action sociale (CCAS), enjeux de l'aller-vers les populations les plus isolées ;

- mission Instruction et évaluation des droits : travail sur l'accompagnement des usagers dans la phase amont de l'instruction de leur dossier, renforcement de la coopération entre institutions, accompagnement à la compréhension des droits ;

- mission Accompagnement continu, coordonné et personnalisé : mise en place de passerelles pour un parcours sans ruptures, travail sur les périodes de transition ;

- mission Prévention, repérage, aller-vers : travail sur la caractérisation des besoins et solutions existantes, renforcement de la cohérence des interventions des acteurs locaux.

Comme pour l'ensemble des territoires préfigurateurs, la plupart des actions seront mises en oeuvre concrètement durant l'année 2025.

Les autres territoires ultramarins entrent dans la généralisation du SPDA en 2025 ; les objectifs fixés pour 2025 par le courrier ministériel en date du 16 avril 2025 étant de mettre en place la gouvernance du SPDA (installation de la Conférence territoriale de l'autonomie ou CTA) et de définir de premières priorités d'actions d'ici la fin de l'année.

Le service public départemental de l'autonomie

Pour rappel, le service public départemental de l'autonomie est un nouveau service public mis en oeuvre solidairement par les acteurs institutionnels et professionnels agissant pour le soutien à l'autonomie des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et de leurs aidants à l'échelle départementale.

Inscrite dans la loi Bien vieillir et autonomie du 8 avril 2024, la création du service public départemental de l'autonomie a pour ambition de simplifier la vie des personnes âgées, des personnes en situation de handicap ou des aidants en facilitant leurs démarches et leurs parcours. À travers la mise en synergie des acteurs du soutien à l'autonomie de proximité, le SPDA a pour objectif de garantir la qualité de service et l'équité, quels que soient les territoires et les situations individuelles. Ce nouveau service public ne modifie pas le périmètre des compétences des acteurs, ni ne crée de nouvelles structures. Il enjoint uniquement à mieux travailler ensemble.

Ce service public porte quatre grandes missions :

- la garantie d'un accueil, d'un accès à l'information, d'une orientation et d'une mise en relation avec le bon interlocuteur sans renvoi de guichet en guichet ;

- l'évaluation de la situation, l'attribution des prestations dans le respect des délais légaux ;

- le soutien à des parcours personnalisés, continus, coordonnés ;

- la réalisation d'actions de repérage, de prévention et d'aller-vers les personnes les plus vulnérables.

Le service public départemental de l'autonomie vise à favoriser les coopérations entre professionnels et organisations et le décloisonnement des secteurs social, médico-social et sanitaire et du « droit commun » (éducation, emploi, logement, transport...) pour apporter une réponse globale et garantir la continuité du parcours de la personne, y compris dans une approche de prévention.

L'ensemble des personnes entendues ou rencontrées approuve la création du SPDA. Sur des territoires où les ressources en compétences sont tendues, une mutualisation doit permettre de dégager des moyens supplémentaires. Ce rapprochement doit aussi améliorer le maillage territorial pour une meilleure proximité des services. C'est aussi une réponse pour réduire les ruptures de parcours, en particulier pour les adultes handicapés qui vieillissent et qui sont en perte d'autonomie.

Les départements sont en première ligne et se saisissent de cette réforme importante. À titre d'exemple, le Conseil départemental de la Guadeloupe et l'ARS répondront à l'appel à manifestation d'intérêt lancé par la CNSA afin de bénéficier d'un soutien financier à l'animation du SPDA et au pilotage de sa mise en oeuvre (date limite de dépôt des candidatures 16 juin prochain).

b) La Maison territoriale de l'autonomie (MTA) de Saint-Pierre-et-Miquelon, un exemple à suivre ?

À Saint-Pierre-et-Miquelon, il n'existe pas de Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) à proprement parler, mais une structure équivalente : la Maison territoriale de l'autonomie (MTA). Fonctionnant sur le même principe que la MDPH, la MTA accompagne les personnes en situation de handicap. Toutefois, elle s'en distingue en élargissant son champ d'action à l'accompagnement des personnes âgées, réunies au sein d'une même structure.

Créée par le décret n° 2010-366 du 9 avril 2010, la MTA n'a été effectivement mise en place qu'en 2012, par l'arrêté n° 483 du 12 avril 2012. Elle est un service commun de l'État et de la collectivité. Ce décalage temporel a entraîné une interruption à l'accès aux droits et, par conséquent, aux prestations pour les usagers concernés.

Une autre particularité importante de la MTA est qu'elle maîtrise non seulement l'évaluation des dossiers, mais aussi le paiement des prestations, ce qui simplifie les démarches pour les usagers et accélère le versement de l'aide. Tandis que sur les autres territoires, le versement de la prestation de compensation du handicap (PCH) par exemple, n'est pas toujours automatique après une décision favorable de la MDPH. Dans certains cas, l'usager doit lui-même faire une demande auprès du pôle solidarité de son conseil départemental pour pouvoir percevoir cette aide.

Son efficacité se traduit notamment par des délais de traitement des dossiers particulièrement courts, en comparaison non seulement avec ceux observés dans l'Hexagone, mais également avec ceux des autres territoires ultramarins. Jacqueline André-Cormier, vice-présidente en charge des solidarités de la Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon a d'ailleurs indiqué que certaines familles venant de l'Hexagone viennent expressément sur le territoire pour bénéficier de cette rapidité de traitement.

Il convient toutefois de nuancer cette efficacité, en tenant compte des spécificités territoriales. La taille réduite de la population et du territoire constitue un facteur facilitant la gestion des dossiers, par rapport à des départements ou régions plus vastes et densément peuplés.

Cette structure a suscité l'intérêt d'autres collectivités : Saint-Martin et la Nouvelle-Calédonie ont ainsi engagé des échanges avec la MTA de Saint-Pierre-et-Miquelon afin de bénéficier de son retour d'expérience et d'évaluer les avantages d'une telle organisation.

La MTA apparaît ainsi comme précurseur des Maisons départementales de l'autonomie (MDA) actuelles mais plus largement de la réforme en cours visant à créer le futur service public départemental de l'autonomie (SPDA), qui ambitionne de centraliser, à l'échelle nationale, les services liés au handicap et à la dépendance. Surtout, elle va encore plus loin, puisqu'elle est une structure unique, tout en un, là où le SPDA ne crée qu'une incitation forte à la coordination.

La CNSA a indiqué que les dispositions applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon concernant la MTA ont été ou sont en cours de transposition avec des adaptations aux collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Ces territoires ont en effet des caractéristiques communes : des petits territoires en superficie et des populations réduites.

À Saint-Barthélemy, l'article 138 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite « loi 3DS ») fait de la MDPH un service de la collectivité et peut recevoir le laber de maison départementale de l'autonomie. Les décrets d'application relatifs, d'une part, à l'adaptation de la composition de la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et, d'autre part, à l'allocation du concours CNSA, ont été publiés après consultation du Conseil d'État respectivement les 12 novembre et 30 décembre 2024. La MDPH de Saint-Barthélemy est donc en place et a été inaugurée en avril dernier à l'occasion d'une visite ministérielle.

À Saint-Martin, l'article 5 de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie (dite loi « bien vieillir ») a introduit des dispositions similaires à celles prévues pour Saint-Barthélemy. Les travaux avec la collectivité sont en cours pour publier les décrets afférents.

Ces expériences prometteuses, qui vont plus loin que le SPDA, devraient faire l'objet d'un soutien renforcé et d'une évaluation précise pour en tirer les enseignements. Elles peuvent être source d'inspiration pour d'autres territoires ultramarins, en particulier ceux à collectivité unique.

Recommandation n° 14 : Évaluer les modèles précurseurs de la Maison territoriale de l'autonomie (MTA) de Saint-Pierre-et-Miquelon et des MDPH de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, pour rapprocher encore la gouvernance et la gestion des politiques du handicap et de la dépendance dans les autres territoires ultramarins ou dans l'Hexagone.

2. Renforcer les MDPH et les opérateurs locaux

Certaines MDPH dans les outre-mer se sont structurées plus tardivement et souffrent encore d'une faiblesse administrative à ce jour. Des systèmes d'information peu performants ont pu aggraver l'efficacité des services au moment où les demandes et le volume d'activités ont fortement augmenté.

Pour y faire face, la CNSA peut apporter un soutien. Une vigilance particulière à l'égard des MDPH ultramarines s'est traduite par la mise en place d'une mission d'appui opérationnelle (MAOp). Trois territoires - la Guadeloupe, la Martinique et Mayotte - en bénéficient.

Cette convention MAOp a pour objectif de rétablir la qualité de service et de soutenir et accompagner les professionnels par plusieurs modalités d'actions complémentaires :

- axe 1 : des opérations visant l'optimisation pérenne des processus (approche qualitative et quantitative) afin de ne plus générer de retard dans le traitement des dossiers en cours ;

- axe 2 : des opérations visant la résorption du retard dans le traitement des dossiers en cours (identification, caractérisation, priorisation) et le financement de renforts RH.

Ces deux axes sont complétés autant que nécessaire par :

- des actions visant l'amélioration du pilotage interne de l'activité du quotidien (suivi des dossiers aux différentes étapes) ;

- du soutien par de la formation de l'ensemble des professionnels ;

- des actions spécifiques aux difficultés rencontrées (organisation, gestion électronique des documents, équipements, instances ...).

Tout au long de la convention, des temps sont prévus avec la MDPH/MDA :

- Comité technique mensuel entre le Codir et l'équipe MAOp de la CNSA ;

- Comité de pilotage trimestriel avec tous les signataires de la convention ;

- Ateliers de travail en fonction des besoins.

La MAOp au bénéfice de la MDPH Guadeloupe

La MAOp au bénéfice de la MMPH de la Martinique

La MDPH de Mayotte a aussi bénéficié d'un appui à la suite du cyclone Chido.

La CNSA apporte un appui hebdomadaire avec deux axes d'intervention :

- une optimisation du process interne ;

- un appui par d'autres MDPH pour contribuer à la résorption du stock. Les MDPH de l'Aveyron et de la Corse vont passer convention au mois de juin pour absorber environ 750 dossiers d'ici la fin de l'année.

L'objectif est de résorber le stock (actuellement 2 500 dossiers en cours) et d'outiller la MDPH pour lui permettre de gérer le flux entrant, en routine.

Enfin, il est indispensable, comme vu supra, que toutes les MDPH ultramarines finissent de moderniser leur système informatique, notamment pour permettre aux demandeurs de consulter en ligne l'avancée de leurs dossiers. À titre d'exemple, à la MDPH de la Guyane, le taux de sollicitation pour demander le statut du dossier est le deuxième motif de sollicitation, ce qui engorge les services qui ne peuvent consacrer ce temps au traitement des dossiers proprement dits. L'évolution du téléservice est donc indispensable, car elle permettra aux usagers de suivre directement l'état d'avancement de leur dossier. À Saint-Barthélemy, en dépit de la taille plus réduite de la population, l'enjeu numérique est aussi au coeur du projet de service, aussi bien pour connaître les besoins des publics que pour fluidifier les échanges avec les partenaires, à commencer par la CNAS.

La mission ne peut que recommander le maintien et le renforcement de ces appuis humains et techniques aux MDPH ultramarines. Le soutien à l'ingénierie est indispensable pour faire monter en compétences les territoires.

On rappellera aussi qu'à la suite du CNH d'avril 2023, le fonds d'appui à la transformation de l'offre flèche 13,5 millions pour renforcer l'ingénierie et le pilotage, dont 807 000 euros pour les DROM. Dans le cadre de l'appel à projets « Animation de la transformation de l'offre handicap », les ARS ultramarines peuvent recruter un ETP au-delà de leur plafond d'emploi.

Ce renforcement en ingénierie des MDPH et des ARS sur la politique de l'offre handicap doit aussi bénéficier aux opérateurs locaux, souvent peu nombreux. Pour la CNSA, l'enjeu est de faire monter en compétences les porteurs locaux de projet, en les associant à des porteurs nationaux.

3. Imaginer pour les petits territoires un cadre d'autorisation et de gestion des établissements médico-sociaux plus souples : vers des « plateformes servicielles » modulables ?

Le déplacement dans l'archipel de la Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin a montré la nécessité d'adapter les dispositifs habituels aux réalités de petits territoires isolés.

Les distances, le public restreint (parfois une ou deux personnes seulement selon l'âge et les handicaps) et la disponibilité limitée des professionnels spécialisés se prêtent mal à la multiplication d'ESMS. Par ailleurs, les systèmes d'autorisation de places rigidifient et ne permettent pas d'adapter l'offre au besoin. Les petits effectifs font que d'une année sur l'autre, les besoins peuvent varier de deux ou trois places. Cela paraît peu, mais sur un effectif de 10, cela représente plus ou moins 30 %.

Le fonctionnement en silo, très segmenté et compartimenté de l'offre médico-sociale traditionnelle n'est pas adapté à ces territoires où la polyvalence et l'agilité sont essentielles.

Sur le terrain, des solutions innovantes se mettent déjà en place, les ARS ayant pris la mesure des enjeux. À Saint-Martin, une MAS hors les murs est expérimentée. Les CAMPS et SAMSAH sont polyhandicap, quand traditionnellement ils sont plus spécialisés. À Saint-Barthélemy, l'expérience de place en MAS hors les murs devrait être étendu.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, le service d'éducation spéciale et de soin à domicile (Sessad) répond à tous les besoins d'accompagnement des enfants, pour tout type de handicap et d'âge.

En Guadeloupe, le Département indique travailler sur des équipes mobiles pour assurer une présence régulière de certains professionnels (orthophonistes, psychomotriciens). Mais pour répondre aux réalités et besoins des îles comme Terre-de-Bas, il faut adapter les conditions de création d'ESMS, notamment les seuils minimaux de places. Il n'est pas possible d'obliger des enfants par exemple à se rendre en Basse-Terre tous les jours ou de se séparer de leurs parents.

En Guyane, des projets se déploient selon un modèle d'ESMS éclatés. Il ne s'agit pas de structures centralisées, mais de dispositifs répartis sur plusieurs communes, afin d'offrir une réponse locale et souple, au plus près des usagers. Cette organisation permet une optimisation des ressources humaines, souvent limitées, en répartissant l'intervention d'une même équipe sur différents sites selon un calendrier tournant.

Ces expériences montrent le chemin vers une nouvelle organisation, moins institutionnelle - en dur -, s'appuyant sur des plateformes de services et pouvant se moduler rapidement en fonction des besoins. L'offre s'adapte aux besoins pour éviter que des demandeurs restent à la porte parce qu'ils ne rentrent pas dans la bonne case.

Pour Maëlig Le Bayon, directeur de la CNSA, ces initiatives ultramarines, contraintes par les réalités des territoires, s'inscrivent pleinement dans la nouvelle stratégie nationale et sont précurseurs à bien des égards.

Ces plateformes servicielles permettent une prise en charge de différents handicaps et de s'adapter au parcours de vie des personnes de manière individualisée.

Lors de son audition, Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée au handicap, a clairement inscrit son projet dans cette ligne : « La modularité des réponses, c'est l'avenir. Nous devons pouvoir adapter les accompagnements tout au long de la vie, sans rupture de parcours, sans obstacle administratif. [...] Ce que nous préparons par ce biais aujourd'hui, c'est la mise en oeuvre d'une offre de services coordonnés à 2030 et pour cela, les organisations du médico-social seront amenées encore à évoluer. Cette modularité doit apporter des gains d'abord aux personnes concernées avec des réponses évolutives dans le temps sans systématiquement mobiliser les maisons départementales des personnes en situation de handicap ».

S'agissant des outre-mer, elle s'est déclarée « ouverte à ce que des souplesses réglementaires et législatives soient trouvées. Là où les contraintes sont les plus fortes, nous avons besoin de plus de facilités pour répondre aux besoins de la population ».

Elle a d'ailleurs rappelé certaines souplesses déjà existantes dans les textes, notamment les extensions d'offre de manière importante, jusqu'à 100 % de la capacité d'un établissement, par dérogation au code de l'action sociale et des familles lorsqu'un motif d'intérêt général le justifie et pour tenir compte des circonstances locales. Elle a aussi demandé à ce que des réflexions soient engagées sur les ESMS de faible capacité.

Recommandation n° 15 : Pour les petits territoires insulaires ou isolés, créer un cadre réglementaire adapté afin de faire évoluer le modèle classique des établissements médico-sociaux vers celui de plateformes de services polyvalentes avec un nombre de places rapidement modulable.

4. Valoriser les innovations ultramarines

Si la politique du handicap outre-mer accuse souvent des retards par rapport aux standards hexagonaux, elle fait aussi émerger des innovations. Les contraintes des territoires (géographie complexe, éloignement, peu de professionnels spécialisés, offre insuffisante, populations isolées et réduites, populations allophones) contraignent les acteurs à s'adapter et innover pour apporter des réponses.

Par ailleurs, le contexte culturel, avec une préférence marquée pour la solidarité familiale et le maintien à domicile, a conduit à développer des services à domicile ou aux aidants innovants. La carence de l'offre en ESMS a poussé les acteurs à inventer leurs propres modèles qui s'avèrent aujourd'hui précurseurs par rapport à la politique nationale de désinstitutionnalisation.

À La Réunion, par exemple, les Maisons France Service accompagnent les personnes en situation de handicap, notamment les personnes sourdes, avec des outils de dialogue adaptés. La ministre déléguée a aussi mis en avant le relayage apporté aux aidants familiaux en Guadeloupe, ainsi que le développement des accueillants familiaux.

À Mayotte ou en Guyane, les équipes mobiles vont au plus près des populations, notamment dans les quartiers informels.

Claude Brard, présidente de l'APAJH, a mis en valeur l'habitat accompagné comme alternative à l'institutionnalisation : la résidence « la Canopée », située à Saint-André, accueille ainsi plusieurs personnes en situation de handicap pouvant à tout moment avoir accès aux services d'un éducateur spécialisé ou d'un veilleur de nuit.

L'association OVE Caraïbes, présente en Martinique et dans les Îles du Nord, expérimente des dispositifs hors les murs. En 2015, OVE a ouvert un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) intégrant une section hors les murs, dont les résultats s'avèrent particulièrement encourageants. À Saint-Martin, c'est cette fois une maison d'accueil spécialisée (MAS) hors les murs qui est expérimentée, qui rencontre un vif succès. Sa reproduction en Martinique est à l'étude.

Enfin, le modèle précité de la Maison territoriale de l'autonomie de Saint Pierre et Miquelon, qui intègre dans une même structure la gestion des risques dépendance et handicap, est précurseur et même avant-gardiste par rapport au service public départemental de l'autonomie (SPDA) qui se déploie progressivement dans tous les départements depuis le 1er janvier 2025.

Ces exemples illustrent la capacité d'innovation et d'adaptation des outre-mer pour répondre à leurs problématiques.

Ces solutions peuvent inspirer aussi l'Hexagone qui fait face à des problématiques semblables, en particulier dans les zones rurales, de montagne ou désertifiées.

La consolidation des acteurs ultramarins et de leurs projets passe aussi par une meilleure visibilité de leurs initiatives à l'échelle nationale.

L'expérience TéléDIAADe à La Réunion - pour TéléDIagnostic de l'Autisme pour Adultes Dépendants - est un bon exemple. Il s'agit d'un protocole d'évaluation et de diagnostic à distance, suite à la réception d'un dossier de demande de diagnostic de TSA, sans que ni la personne concernée, ni l'équipe de prise en charge ni l'équipe de diagnostic ne se déplacent. L'objectif est de réaliser un télédiagnostic multidisciplinaire et multidimensionnel des troubles du spectre de l'autisme (TSA) des adultes dépendants et porteurs de handicap intellectuel vivant en institution en collaborant à distance avec ses principaux référents (familiaux et institutionnels) tout en réduisant la durée d'attente de ce diagnostic. Des informations médicales et paramédicales, passées et actuelles, ainsi que de courtes vidéos de la personne à évaluer dans son environnement naturel constituent le dossier à analyser. Elles permettent de reconstituer l'anamnèse, de créer un film sur la personne répertoriant les symptômes observés, d'écrire un compte-rendu exhaustif et in fine d'amener vers un diagnostic de TSA. Les conclusions de l'évaluation sont « restituées » à la famille et à l'équipe de prise en charge par visioconférence puis par écrit.

Cet outil précieux conçu à La Réunion a été porté par l'Agence Régionale de Santé de La Réunion, le CHU de La Réunion et le centre de Ressources Autisme La Réunion. TéléDIAADe permet plusieurs avancées. Il s'agit tout d'abord d'une amélioration du traitement des patients qui sont ainsi mieux et plus rapidement diagnostiqués. Il s'agit également d'un gain de temps et de déplacement pour les proches des patients. Il s'agit enfin d'un véritable appui pour les pouvoirs publics en permettant l'accès au diagnostic à des patients résidant dans des zones sous-dotées en la matière. TéléDIAADe a reçu le Prix national de la e-santé remis par l'Agence du Numérique en Santé en décembre 2022 et a été nominé pour le Prix Galien 2023.

Le TéléDIAADe mériterait d'être davantage connu dans les outre-mer et dans l'Hexagone.

De la même façon, la sensibilisation au syndrome d'alcoolisation foetale (SAF) et sa détection ont fait l'objet de politiques innovantes à La Réunion. Si ce territoire est particulièrement touché, il est aussi le plus en pointe. Ce syndrome et ses conséquences restent encore trop peu connus dans les autres territoires.

La meilleure représentation des acteurs ultramarins au sein des instances nationales, en particulier le CNCPH (voir la recommandation n° 1) doit aider à mieux valoriser les expériences innovantes et à les diffuser pour impulser des dynamiques vertueuses.

5. Adapter les financements à la vie chère et aux singularités ultramarines

Le rattrapage indispensable de la politique du handicap outre-mer ne peut faire l'impasse sur la question budgétaire et des financements.

Le CNH d'avril 2023 a débloqué des fonds nouveaux pour engager ce rattrapage (voir supra) jusqu'en 2030. Un plan complémentaire pour les outre-mer à 10 ans paraît néanmoins encore nécessaire (recommandation n° 9).

Toutefois, à côté de ces crédits de rattrapage, une réévaluation plus générale des financements de la politique du handicap outre-mer doit être mise à l'étude pour mieux prendre en considération la problématique de la vie chère et des contraintes opérationnelles singulières de ces territoires (foncier, transport, coûts de la construction, loyers...).

Au cours de son audition, Maëlig Le Bayon a dégagé trois pistes d'amélioration.

a) Mieux financer les coûts de transport

La première est de mieux couvrir les frais de transport des MDPH et des opérateurs locaux. Dans les outre-mer, ces frais sont beaucoup plus élevés, en particulier en Guyane ou dans les archipels.

Gildas Le Guern, directeur général de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) Guyane, souligne par exemple que les délais de route (ou de pirogue) ont un impact direct sur les indicateurs d'activité. Les exigences actuelles en matière de performance, telles que fixées par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à travers les tableaux de bord nationaux, ne tiennent pas toujours compte des réalités géographiques. Comparés à des établissements métropolitains, les taux d'activité observés peuvent sembler faibles : « ces missions impliquent des trajets longs, souvent équivalents à une journée entière -- ce que l'on qualifie de « temps gris » en gestion RH. Ce temps, bien que non consacré à l'accompagnement direct, reste indispensable pour garantir l'accès aux droits et à un accompagnement de qualité, quel que soit le lieu de vie de la personne ». Une mission dans les communes de l'intérieur, c'est deux jours de transport.

L'absence de transports en commun renchérit également les coûts, aussi bien à La Réunion qu'en Martinique. S'y ajoutent des coûts pour les formations dans l'Hexagone.

Cette réalité est bien identifiée par la CNSA. Maëlig Le Bayon, directeur de la CNSA, a indiqué que la CNSA avait engagé une réflexion générale sur son système de tarification et de dotation, outre-mer et en Hexagone.

Une piste étudiée serait d'isoler les coûts de transport, qui seraient donc sortis du forfait, pour une tarification au réel. Une telle mesure, si elle était confirmée, bénéficierait aux outre-mer.

b) Moduler les forfaits selon les coûts de la vie propres à chaque territoire

Aujourd'hui, la CNSA dispose de deux leviers pour adapter la répartition aux particularités des territoires ultramarins :

- appliquer une majoration « vie chère » sur le montant des crédits délégués au titre des mesures nouvelles liées à des installations de places ou de dispositifs en ESMS. Après avoir réalisé une première répartition théorique des crédits sur l'ensemble du territoire, la CNSA applique une majoration de 20 % aux enveloppes des ARS ultramarines, afin de tenir compte des coûts supplémentaires de ces territoires ;

- appliquer « des seuils de délégation de crédits » au titre des mesures nouvelles. La CNSA prévoit des seuils de délégation de crédits qui visent à s'assurer que toutes les ARS pourront installer un nombre minimum de places ou de dispositifs. Ces seuils bénéficient généralement aux territoires ultramarins, car en raison de leur faible poids (financier et populationnel), il est fréquent que les modalités nationales de répartition des crédits conduisent à leur allouer un montant insuffisant pour mettre en place réellement au moins un dispositif. La pratique dite du seuil de délégation corrige cet effet.

La majoration « vie chère » de 20 % est identique pour chaque territoire ultramarin. Forfaitaire, elle ne prend pas en compte la réalité des différentiels de coût, qui peuvent varier d'un territoire à l'autre.

Maëlig Le Bayon s'est déclaré ouvert à un réexamen du calcul de ce forfait selon les territoires. Il devrait s'appuyer sur un travail préalable approfondi de comparaison des coûts supportés par les ESMS.

c) Revaloriser le concours de la CNSA au financement de la PCH outre-mer ?

Les modalités de calcul de la PCH soulèvent quelques critiques. La MDPH de la Martinique fait notamment remonter :

- un manque d'harmonisation entre les dispositifs PCH et APA, notamment sur les critères d'attribution de l'aide humaine et de l'aide-ménagère ;

- les tarifs du surcoût transport de la PCH n'ont pas évolué depuis 2005. En conséquence, la prestation est peu mise en oeuvre ;

- s'agissant de la PCH aide technique, les frais de transport (France Hexagonale/Martinique) dû à l'éloignement géographique sont plus élevés.

Le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) et la ministre en charge de l'autonomie ont signé le 7 avril 2025 une lettre d'intention marquant l'engagement de l'État et de la CTM à oeuvrer à une révision du mode de calcul de la compensation par la CNSA de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) et de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH).

Ces éléments, mais aussi la réalité de la vie chère outre-mer qui s'impose dans les secteurs de la vie quotidienne, invitent à poser la question d'une révision du mode de calcul du concours de la CNSA au financement de la PCH dans les départements ultramarins.

Là encore, Maëlig Le Bayon a déclaré y être favorable, les modes de calcul pour répartir le concours PCH entre tous les départements (Hexagone et outre-mer) prenant en compte le potentiel fiscal, mais pas le coût de la vie.

Ce réexamen paraît d'autant plus nécessaire que les tableaux ci-dessous montrent des taux de couverture très variables selon les outre-mer mais en moyenne plus faible que dans l'Hexagone. Cet écart de financement doit néanmoins être nuancé, car il est compensé par le droit de tirage des ARS qui vient en complément. Or, avec le plan de rattrapage pour les outre-mer décidé en 2023, ce droit de tirage est beaucoup plus élevé pour les ARS ultramarines. Il n'en reste pas moins que structurellement, hors rattrapage, le financement CNSA de la PCH n'est pas favorable aux outre-mer.

Taux de couverture en 2023 des dépenses de PCH par le concours de la CNSA (hors tarif plancher et art. 47, qui majorent le taux de couverture)

Concours de la CNSA à la PCH - Dépense moyenne par habitant (2023)

Recommandation n° 16 : Étudier un nouveau mode de calcul de la majoration « vie chère » des dotations aux établissements médico-sociaux ultramarins, et réexaminer le montant du concours de la CNSA au financement de la PCH dans les départements ultramarins pour tenir compte de la vie chère.

6. Renforcer l'attractivité des professions médico-sociales

Les professions médico-sociales souffrent d'un défaut d'attractivité dans l'ensemble des territoires ultramarins. Ce problème n'est certes pas propre aux outre-mer - en Hexagone, ces professions attirent aussi trop peu - , ni à la politique du handicap - tout le champ sanitaire et social est concerné.

Toutefois, comme vu supra, les personnes rencontrées ont toutes pointé cet obstacle important pour réussir un rattrapage rapide. La mission se doit de s'en faire l'écho. Sans ressources humaines, l'augmentation de l'offre médico-sociale, nécessaire et programmée, ne pourra être réalisée.

Blaise Joseph-François, directeur général de l'Association départementale de parents et d'amis des personnes handicapées mentales (Adapei) Guyane, ajoute que le manque de formations adaptées aggrave cette tension : la dernière promotion de l'Institut régional du travail social (IRDTS) ne comptait que dix étudiants, alors même que plus de 300 postes en CDI restent vacants dans les seuls ESMS de la Guyane.

L'objectif est d'attirer des candidats sur les postes, mais aussi de stabiliser les équipes soumises dans certains territoires à un turn over très fort comme en Guyane, à Saint-Martin ou Saint-Barthélemy. Par ailleurs, quelques spécificités ultramarines aggravent le fossé.

Outre un déficit d'images, deux facteurs jouent en leur défaveur, dans des proportions variables selon les territoires : les rémunérations et le logement.

Le premier est le niveau de rémunération. Les acteurs de la politique du handicap sont divers et soumis à des statuts différents (agents des trois fonctions publiques, travailleurs médicaux, travailleurs sociaux...).

Gildas Le Guern, directeur général de l'APAJH Guyane, regrette que « La concurrence exercée par les trois fonctions publiques, conjuguée au régime de sur rémunération de 40 %, place les opérateurs associatifs à but non lucratif dans l'incapacité de recruter durablement du personnel paramédical, éducatif et rééducatif ».

Ces écarts de rémunération existent aussi entre les professions de l'aide à domicile et les soins infirmiers à domicile : la Convention collective nationale de la branche de l'aide à domicile (CCNBAD) ne prévoit pas de prime de vie chère de 20 %, a contrario de la convention des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD).

Le second est la question du logement sur les territoires en tension. À Saint-Martin, mais surtout à Saint-Barthélemy, c'est un obstacle dirimant pour recruter et fidéliser une équipe. Tous les opérateurs rencontrés (association Coralita qui gère le Sessad, association OVE Caraïbes qui gère l'IME ou la MAS...) sont unanimes : sans logement à des loyers raisonnables réservé à des professionnels médico-sociaux, il est impossible de faire venir des compétences sur les territoires. À Saint-Barthélemy, un loyer pour une chambre simple peut atteindre 1 500 euros.

L'attractivité des professions médico-sociales dans les outre-mer est un enjeu qui dépasse le champ du présent rapport, mais il n'en est pas moins au coeur de la réussite ou de l'échec des politiques du handicap.

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