AVANT-PROPOS

Cette commission d'enquête sur la libre administration des collectivités territoriales intervient dans un contexte particulièrement fort de tensions entre l'État et les collectivités locales. Il y a quelques mois à peine, la version initiale du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 entendait réguler fortement les dépenses des collectivités locales. Cette volonté du Gouvernement s'est exprimée après une série de réformes de la fiscalité locale qui ont privé les collectivités d'un certain nombre de leviers fiscaux. 

C'est ce sentiment de reprise en main de l'autonomie des collectivités qui a attisé une nouvelle fois les tensions entre l'État et les élus locaux en mettant en exergue une situation nouvelle : la dépendance accrue des collectivités locales vis-à-vis des décisions budgétaires nationales, conséquence de la suppression progressive de l'autonomie fiscale.

Cette dépendance est bien le fruit des réformes successives de la fiscalité locale qui ont été menées sur un rythme effréné durant la période 2017-2023 (suppression de la taxe d'habitation sur les résidences et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, notamment).

L'analyse de ces réformes fait apparaître plusieurs points saillants. Tout d'abord, un consensus s'est formé pour reconnaître que l'objet de ces réformes n'était pas d'améliorer la fiscalité locale, ni de permettre aux collectivités de mieux assurer leurs compétences et de préparer l'avenir. Leur objectif affiché était, d'une part, de donner du pouvoir d'achat aux ménages et, d'autre part, d'améliorer la compétitivité des entreprises en réduisant les impôts dits de production qui pesaient sur le facteur travail ou sur le facteur capital.

Ces réformes se sont traduites par d'importants transferts de recettes entre collectivités (des départements vers les communes) et entre l'État et les collectivités.

Enfin, elles sont intervenues dans un contexte où les collectivités locales faisaient part de leurs difficultés à assumer leurs compétences faute de moyens suffisants transférés par l'État et à l'heure où elles doivent investir massivement pour adapter leurs territoires au dérèglement climatique.

Les travaux de la commission d'enquête se sont donc inscrits dans ce cadre riche d'une actualité récente et dans un temps plus long, celui d'un sujet au coeur des préoccupations du Sénat, qui consacre régulièrement des travaux aux questions relatives à la décentralisation, avec comme derniers exemples en date les travaux des groupes de travail présidés par Gérard Larcher en 2021 et 2023. Ce temps long permet de mettre en perspective les réformes des dix dernières années et de les rattacher à des débats complexes et évolutifs sur l'autonomie fiscale et la libre administration des collectivités territoriales.

La commission d'enquête s'est en effet attachée à analyser les conséquences des réformes fiscales sur l'autonomie des collectivités, la pérennité de leurs ressources ainsi que sur leurs capacités à exercer leurs responsabilités.

Elle a débuté ses travaux par l'audition des associations qui représentent les différentes strates de collectivités territoriales et qui, à ce titre, dialoguent avec l'État. Certaines remarques étaient attendues, notamment celles relatives à la complexité et à l'imprévisibilité des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

Toutes les interventions de ces associations alertent sur la dégradation de la situation financière des collectivités locales. Cette dégradation, et la perte d'autonomie financière qui en découle, ont des conséquences sur les politiques publiques locales. Alors que les collectivités doivent faire face à des charges croissantes et notamment préparer les territoires en matière de transition écologique et d'adaptation au changement climatique, elles ne disposent pas des moyens nécessaires pour assumer ces missions.

Des faits connexes doivent également retenir notre attention.

Tout d'abord, une dépendance toujours plus forte à des concours financiers en baisse et menacés par une contrainte financière qui sera marquée ces prochaines années.

Ensuite, une perte de lisibilité, et de prévisibilité, qui ne permet pas d'engager des investissements nécessaires.

Enfin, conséquence non anticipée de ces réformes : tous les acteurs locaux ont souligné l'atténuation ou la disparition des liens contributifs habituels entre les ménages et les entreprises, d'une part, et les collectivités territoriales, d'autre part.

Cette situation est problématique dans la relation avec les citoyens puisque seuls les propriétaires demeurent des contribuables. Elle soulève d'autres difficultés en ce qui concerne les entreprises, puisque même s'il demeure un lien avec les intercommunalités et de manière plus accessoire avec les communes, au travers de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises, les entreprises ne payent plus aucune rétribution pour les services qui leur sont rendus par les régions et les départements, alors qu'elles bénéficient d'externalités positives : le transport collectif de la part des régions, les routes de la part des départements. Le lien contributif est rompu...

Que faire dans ce contexte ?

La première étape consiste incontestablement à rétablir des relations de confiance entre l'État et les collectivités locales. Cette proposition n'est pas nouvelle : il y a 15 ans, Gilles Carrez et Michel Thénault regrettaient déjà que  « les recommandations en faveur de la rénovation de ces relations fondées sur un contrat et une co-responsabilité des acteurs, exprimées dans plusieurs rapports, sont pour la plupart restées lettre morte, entraînant une certaine déception du côté des acteurs locaux. » Ce rétablissement ne peut plus être différé. Il est impératif de partager des données et de promouvoir des dispositifs qui favorisent l'autonomie et offrent de la prévisibilité aux collectivités locales.

La deuxième étape vise à réaffirmer le principe de libre administration et à rendre une capacité d'action aux collectivités territoriales afin de leur permettre d'exercer leurs responsabilités. La palette d'action en ce domaine est large, elle peut aller d'une réforme de la Constitution jusqu'à des mesures techniques relatives à la contractualisation entre l'État et les collectivités ou la mobilisation des fonds de cohésion européens.

L'atteinte de ces objectifs nécessite également une refonte complète des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

Recommandation n° 1 : redéfinir un système de financement des collectivités territoriales qui permette de garantir que les collectivités territoriales disposent de ressources suffisantes propres, en lien avec leurs compétences, et à la hauteur des charges qu'elles supportent (législateur).

Cette recommandation s'inscrit dans le prolongement d'un entretien accordé par le président du Sénat, dans lequel celui-ci soulignait la nécessité de « remettre à plat tout le système de financement des collectivités territoriales1(*) »

Avec ces propositions, le Sénat réaffirme son rôle de garant de l'équilibre institutionnel et de la solidarité territoriale. Cette commission d'enquête constitue, dans cette perspective, une étape indispensable pour préserver et renforcer la capacité des collectivités à répondre aux défis actuels et futurs.


* 1 SudOuest.fr avec AFP, Publié le 30 avril 2025

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