I. CINQ FAMILLES DE PRODUITS BOIS, UN MATÉRIAU À VALORISER POUR SON POTENTIEL UNIQUE DE COMPÉTITIVITÉ PROPRE
A. BOIS CONSTRUCTION : UNE HAUTE VALEUR AJOUTÉE QUI DÉCARBONE DANS LA DURÉE ET QUI CHARPENTE TOUTE LA FILIÈRE
« Dans quelle direction va la poutre2(*) »
1. Un horizon consensuel en faveur de la transformation du bois d'oeuvre à préserver tant du côté de l'offre que de la demande...
a) Une priorité au triptyque scier-sécher-transformer réaffichée par les pouvoirs publics lors des Assises de la forêt et du bois
Si les Assises de la forêt et du bois organisées entre octobre 2021 et mars 2022 n'ont pas constitué l'an zéro de la politique forestière, cet exercice de concertation, associant notamment des professionnels et des parlementaires, a eu pour mérite de remettre à l'agenda certaines priorités poursuivies plus discrètement et avec moins de moyens par les pouvoirs publics depuis plusieurs années - avec, par exemple, quatre plans bois-construction successifs depuis 2009.
Le troisième groupe de travail des Assises, que co-pilotait la rapporteure Anne-Catherine Loisier avec le scieur Pierre Piveteau, a conclu, en ce sens, au besoin d'« investir massivement pour assurer l'innovation et la compétitivité de la filière industrielle bois ». La principale action associée à ce pilier a consisté à « [mobiliser nouvellement] « plus de 400 millions d'euros avec France 2030 pour développer une industrie du bois souveraine ».
En effet, de l'aveu de la filière elle-même, la France présente environ quinze ou vingt ans de retard sur les filières bois allemande ou autrichienne, en particulier sur la fabrication de produits d'ingénierie - des produits techniques reconstitués à partir du matériau bois pour atteindre des caractéristiques auquel un produit en bois massif ne pourrait prétendre, en termes par exemple de longueur (bois massif abouté), de courbure (bois lamellé-collé) ou de résistance mécanique (bois massif reconstitué).
Les rapporteurs ont ainsi été impressionnés d'apprendre que la scierie Streit située dans le Bade-Wurtemberg, qu'ils ont visitée dans le cadre de la mission, exportait 45 % de sa production vers la France, et notamment en Bretagne et au Pays basque, sans tirer d'avantage comparatif, manifestement, de sa proximité géographique avec ses clients.
Or, non content d'être l'usage de masse3(*) qui crée le plus de valeur ajoutée, le bois d'oeuvre destiné à la construction est une locomotive qui tracte dans son sillage l'intégralité de la filière, grâce à ses coproduits (environ 40 % d'une grume).
Selon Pierre Piveteau, le chiffre d'affaires de la filière bois polonaise a dépassé celui de la filière bois française en raison d'investissements dans la transformation qui permettent désormais la commercialisation de bois plus élaborés (bois séché, raboté...). La France commercialiserait 75 à 80 % de produits frais de sciage, tandis que la Pologne, qui produit pourtant moins de sciages, ne vendrait, elle, que peu de bois brut.
Dans la lignée des Assises, nombre d'appels à projets (AAP) ont donc visé, soit indirectement - appel à projets biomasse-chaleur industrie-bois (BCIB), pour financer l'installation d'unités de biomasse dans les scieries selon une logique d'autoconsommation énergétique et de montée en gamme pour développer le séchage du bois - soit directement - notamment par un appel à projets « Systèmes constructifs bois » -, à améliorer la valorisation de la ressource, en respectant le triptyque consensuel : scier, sécher, transformer.
Les premiers résultats ont été très encourageants (cf. détail des financements engagés infra, partie II, C, 1). Alors que la France importait vers 2020 3,2 à 3,3 millions de mètres cubes de ces produits bois techniques pour la construction (bois raboté sec, bois lamellé-collé, bois lamellé-croisé (ou CLT, pour cross-laminated timber)), elle n'en importerait désormais plus que 2 à 2,5 millions.
La présidente de France Bois Forêt, Anne Duisabeau l'a rappelé devant la commission des affaires économiques : « Notamment grâce aux investissements massifs dans le séchage, les produits sont désormais bien plus finis, compétitifs et au niveau de ceux de nos partenaires autrichiens et allemands. Un exemple concret : le CLT (panneaux de bois lamellés croisés), un produit à forte valeur ajoutée destiné à la construction bois. Pour la première fois, les importations de bois autrichien ont reculé de plus de 24 % en France. Cela prouve que, en l'espace de dix ans, nous avons su bâtir une filière compétitive. »
Cette réduction de notre dépendance aux importations sur ces sciages majoritairement résineux s'expliquerait également par un report du bois allemand, délaissant le marché français pour le marché américain, qui a toujours été prescripteur pour les cours mondiaux du bois, et qui était alors dynamique.
Les fabricants français en ont tiré parti, sous l'impulsion du comité stratégique de filière bois (CSF Bois). De façon emblématique, le nouveau siège de l'Office national des forêts (ONF) à Maisons-Alfort, construit en 2022 en bois par l'entreprise alsacienne Mathis, intègre près de 600 m2 de lamellé-collé, près de 1 100 m2 de façade ossature bois et plus de 2 600 m2 de lamellé-croisé (CLT).
Ces bois techniques pourraient être particulièrement valorisés en France grâce à certains atouts organisationnels. Les façades à ossature bois et murs à ossature bois (FOB-MOB) sont désormais souvent construits hors sites et livrés presque montés, ce qui limite le temps de chantier. La France est également, aux dires du CSF Bois, un leader mondial du Building Information Modeling (BIM), qui permet de modéliser la faisabilité de projets d'ouvrages.
Orientation : maintenir l'horizon défini par les Assises de la forêt et du bois misant en priorité sur le sciage, la transformation et le séchage du bois, afin de fournir des bois techniques à forte valeur ajoutée pour la construction, susceptible de tracter l'ensemble de la filière.
b) La réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020) : un horizon mobilisateur à préserver...
Au sein de l'Union européenne, les matériaux biosourcés dont, à titre principal, le bois, ne représentent que 3 % de la masse totale des matériaux de construction. Malgré cela, « la construction en bois constitue un élément clé de la chaîne de valeur des industries forestières, couvrant plus de 30 % de la demande du marché en bois rond, qu'il s'agisse de sciages ou de panneaux », à l'échelle de l'Europe, selon la Commission.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'utilisation du bois dans les immeubles était interdite en Suède jusqu'en 1994, avant qu'une stratégie des pouvoirs publics (mise à jour des règles de construction, promotion de la construction hors site, stratégie nationale comprenant des mesures de R&D et de formation) porte le taux de bois dans la construction à environ 20 % en 2019. Dans une étude comparative avec l'Allemagne, la Suède et la Roumanie parue en 2023, le think tank I4CE insiste sur le fait que cette politique très volontariste a mis trente ans à produire ses effets, malgré des atouts évidents du côté de l'offre de bois et une longue expérience sur le marché de la maison individuelle, ce qui souligne la lenteur du marché à s'adapter.
D'où l'importance de la « RE2020 », une politique de la demande plutôt volontariste en comparaison européenne. Entrée en vigueur le 1er janvier 2022, la réglementation environnementale des bâtiments neufs, dite « RE2020 », dans ses objectifs de décarbonation, doit conduire progressivement à un recours accru aux matériaux biosourcés, dont le bois, dans la construction neuve - cette dernière incluant, par exemple, la surélévation de bâtiments préexistants, fréquente en milieu urbain. Une politique de la demande qui pénalise les constructeurs ne respectant pas les cibles de matériaux biosourcés exigées à la date voulue.
Voulue par le législateur, elle est la traduction réglementaire d'une demande sociétale croissante de bois afin notamment de renforcer le stockage de carbone par la construction, en s'inspirant en particulier des modèles allemand et scandinave, pays qui recourent près de trois fois plus au bois que la France (autour de 20 %).
Son esprit n'est pas d'encourager la construction de bâtiments 100 % en bois mais, bien plutôt, de promouvoir un mix de matériaux laissant toute sa part au bois.
Le béton bas-carbone a amélioré ses performances plus rapidement que prévu, si bien que même le seuil à venir de 2028 de la règlementation environnementale ne devrait pas avoir pour effet de faire basculer systématiquement les choix des maîtres d'ouvrage en faveur du bois. Les espoirs du bois construction reposent désormais sur le seuil 2031.
Cependant, un rapport confié à M. Robin Rivaton sur la réglementation environnementale 2020, dont les conclusions ont été rendues juste après l'adoption du présent rapport par la commission des affaires économiques, a suscité, tout au long des travaux de la mission, beaucoup d'inquiétudes chez les professionnels de la filière bois, quant au risque d'une révision à la baisse de l'ambition initiale.
Afin de maintenir un horizon prévisible pour le secteur et de maintenir l'incitation à intégrer du bois dans la construction, les seuils de 2028 et de 2031 de la RE2020 ne devraient pas être modifiés, et les ajustements pris ne devraient l'être qu'à la marge, pour ne pas déstabiliser tout le modèle économique de ce secteur. M. Rivaton, dans ses conclusions, s'en tient à cet équilibre.
Du reste, un premier ajustement réglementaire technique a eu lieu il y a quelques semaines, après concertation de l'Union des industriels de la construction bois (UICB).
Un dossier sous-jacent de la RE2020 devrait cependant faire l'objet d'un second ajustement, car la France y est tenue par une directive européenne : il s'agirait, dans les fiches techniques par produit, de ne plus calculer le contenu carbone des produits en analyse de cycle de vie (ACV) dynamique, une méthode qui diffère des ACV plus classiques par la prise en compte de l'origine et de la fin de vie du bois, et qui favorisait le bois par rapport à d'autres produits. Tous les produits seront légèrement pénalisés, mais le bois plus que d'autres.
Orientation : rester ferme sur le maintien des seuils prévus de matériaux biosourcés dans la construction de la RE2020, au moins pour le palier 2028, et rester vigilant sur les effets de la modification des « fiches techniques » (ACV dynamique ou non) afin de ne pas pénaliser outre mesure le bois.
2. ... mais une dynamique qui tarde à se concrétiser...
a) Une dynamique qui peine à s'enclencher par un défaut d'acculturation des maîtres d'ouvrage et un défaut de commande publique
Malheureusement, l'UICB a présenté aux rapporteurs des chiffres en demi-teinte sur les progrès dans la part du matériau bois dans la construction neuve (entre 6,2 et 6,6 % tous logements confondus).
L'UICB s'est inquiétée d'un double contexte, d'une part, de crise de la construction neuve, et d'autre part, de la stagnation de la part de l'usage du bois dans ces constructions.
En valeur absolue, le bilan mitigé du bois pourrait s'expliquer par la crise globale du logement et de l'« acte de construire », ainsi que par des contraintes de pouvoir d'achat pour les ménages et des contraintes budgétaires pour les acteurs publics. Cela n'épuise toutefois pas le sujet, car les performances du bois en valeur relative n'ont pas, non plus, progressé. Du reste, alors que sa part avait augmenté entre 2005 et 2015, elle aurait plutôt stagné depuis.
Une première difficulté a tenu à ce que, de l'aveu même de l'UICB, les effets à court terme de la RE2020 ont pu être surestimés (cf. supra).
En deuxième verrou majeur à l'utilisation du matériau bois, figure en bonne place le besoin d'acculturation des maîtres d'ouvrage, bureaux d'études et architectes à ce « nouveau » matériau... qui ne l'est en fait pas tellement puisque, par exemple à Paris, une large partie de l'ossature du parc haussmannien est en bois (escaliers, parquet, lambris...), ce que l'on a aujourd'hui tendance à oublier. Il est vrai cependant que depuis les années 1950, la reconstruction a eu lieu en béton ou en briques et que, depuis lors, trois générations d'ingénieurs ont été habituées à construire sans le bois. Cela pose un même problème de manque de compétences, une filière industrielle ne se mettant pas en place en quelques années.
En lien avec ce deuxième verrou, la représentation du bois comme un matériau source de surcoûts importants est un troisième verrou. Le bois a la réputation d'être un matériau plus cher, qui obligerait à rogner sur d'autres prestations, ce à quoi les maîtres d'ouvrage seraient réticents. Pourtant, ainsi que l'explique la filière, la majeure partie des surcoûts provient d'un recours au bois décidé au dernier moment, tandis qu'un bâtiment dont l'intégration de bois a été conçue dès la conception coûtera, tout au plus, de 5 à 10 % plus cher.
La commande publique, notamment locale, prend là toute son importance, afin de garantir un flux d'affaires aux fournisseurs contribuant à structurer et professionnaliser ces derniers. Afin d'encourager les collectivités territoriales à recourir au bois dans les bâtiments publics en tant que maîtres d'ouvrage, un levier consiste à augmenter la part de ressource locale dans l'approvisionnement, et à garantir sa traçabilité. C'est le rôle des interprofessions régionales Fibois en région, que de sensibiliser les donneurs d'ordre aux atouts du matériau bois, par exemple en termes de retombées économiques pour le territoire.
Sans même parler d'événements ponctuels tels que les jeux Olympiques (JO), la France s'illustre dans les constructions bois de grande hauteur. M. Klaus Henne, scieur en Allemagne, a témoigné de son admiration pour ce qu'il considère comme une avance de la France dans ce domaine. L'organisation EGF a précisé qu'en ne considérant que les habitations plus hautes que la maison individuelle, la France était moins en retard que ce que l'on pouvait croire sur ses voisins scandinaves ou germaniques. Le lycée Gergovie de Clermont-Ferrand ou encore les immeubles Perspective, Hyperion et Silva à Bordeaux, témoignent de cette performance française.
Lycée Gergovie à Clermont-Ferrand
À l'échelle nationale, les événements publics importants, tels que les JO de Paris 2024 ou les JO d'hiver 2030, sont une opportunité unique pour employer le levier de la commande publique et mobiliser des moyens adéquats, ce qui permet de créer une vitrine pour la construction bois. La France ne mesure pas assez, en effet, à quel point elle dispose de fleurons dans le domaine de la construction, qui remportent régulièrement des marchés publics et des concours à l'international, de plus en plus grâce à l'argument de la mixité.
Le bois dans le village olympique pour les JO de Paris 2024
Le village olympique construit à Saint-Denis pour accueillir les athlètes dans le cadre de l'organisation des jeux Olympiques d'été 2024 à Paris a constitué un test grandeur nature pour la filière bois, afin de vérifier si l'offre de bois français était suffisante pour approvisionner les maîtres d'oeuvre compte tenu des seuils très élevés de bois prévus dans ces bâtiments
M. Georges-Henri Florentin, président de la structure ad hoc France Bois 2024, a indiqué en audition que la part du bois avait finalement atteint 28 %. À l'intérieur du village olympique, pour l'île et le continent, un taux de 65 % a même été atteint, ce qui témoigne des marges de progrès pour la construction neuve en général. M. Florentin indique que l'appui de la maîtrise d'ouvrage publique de la Solideo et des collectivités territoriales a été déterminant pour atteindre ces seuils.
S'agissant de la part de bois français, alors qu'un objectif de 50 % d'approvisionnement en bois de France avait été fixé à la filière, la Solideo n'avait cependant admis qu'un seuil de 30 % - par crainte de marchés infructueux avec le délai à tenir de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques. Le taux final constaté a été de 45 %, avec des difficultés constatées pour suivre et contrôler l'origine des bois.
b) Et des obstacles administratifs, s'agissant en particulier des normes incendie
Comme l'a déclaré le président de la Fédération nationale du bois devant la commission des affaires économiques, « le bois a comme défaut de brûler, donc il faut être prudent et on aura toujours un mélange entre des matériaux minéraux et des matériaux combustibles ». Cependant, comme indiqué supra, l'intégration de bois dans la construction n'a pas pour effet de remettre en cause le principe de mixité des matériaux, mais vise au contraire à aller en ce sens, en introduisant des matériaux biosourcés, en plus du béton.
En outre, le bois, sous forme de poutre, semble pouvoir se montrer plus résistant que certains métaux, en raison d'une combustion lente qui ne remettrait pas immédiatement en cause ses qualités mécaniques, à la différence de l'acier qui aurait tendance à s'effondrer sur lui-même. Il convient cependant de relever que la majeure partie de l'usage du bois dans la construction relève de l'ossature (façade ossature bois, mur ossature bois, FOB-MOB), qui est beaucoup plus fragile vis-à-vis du risque incendie.
Les discussions n'ayant pas abouti entre professionnels du bois (Adivbois) et spécialistes de la sécurité incendie dans le cadre de la préparation de l'accueil des JO 2024 sur le village olympique, la préfecture de police de Paris a publié, en juillet 2021, une doctrine « risque incendie et construction des immeubles en matériaux biosourcés » en s'appuyant notamment sur l'expertise de son laboratoire central, de ses architectes de sécurité et de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris.
Or, comme l'a souligné l'interprofession France Bois Industries Entreprises (FBIE) dès les Assises de la forêt et du bois, cette publication freine les projets en bois construction, en particulier de bâtiments R+ 6 (7 étages et plus) mais aussi, par effet de halo, sème le doute sur les projets de construction en bois de taille inférieure.
Cette doctrine entend assurer la sécurité des personnes en limitant « la contribution du bois à la combustion lors d'un sinistre en tant que potentiel calorifique », un objectif pleinement partagé par l'ensemble de la filière, pour la bonne raison que la médiatisation d'un sinistre de grande ampleur pourrait significativement et durablement faire chuter la demande de construction en matériau bois. L'incendie d'un centre de tri de déchets parisien du Syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères (Syctom), en avril 2025, a sonné comme une alerte à ce sujet.
Il paraît, du reste, légitime d'actualiser une législation et une réglementation anciennes au contexte nouveau de la massification de la construction en bois planifiée par la RE2020.
Cette mise à jour est d'ailleurs la tâche à laquelle un groupe de travail interministériel, piloté par le ministère de l'Intérieur et le ministère du Logement, s'est attelé depuis 2021, associant entre autres la préfecture de police de Paris et les professionnels de la construction bois.
Les conclusions de ces concertations devaient être rendues en début d'année 2022 pour aboutir à moyen terme à un renforcement des exigences de sécurité des bâtiments, mais ont été reportées faute de pouvoir trouver un terrain d'entente.
Or, le document de la préfecture de police de Paris est paru à peine à mi-étape des travaux de ce groupe de travail. S'il n'a pas valeur réglementaire, il a emporté des conséquences tangibles, puisqu'à l'occasion de révisions de permis de construire, certains décisionnaires sont revenus sur la première instruction qu'ils avaient faite des dossiers. La doctrine est vectrice d'insécurité juridique, conduisant les maîtres d'ouvrage à remettre en question la viabilité de certains projets, devant la perspective de surcoûts liés aux exigences de la doctrine.
La préfecture de police et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ont une influence qui va bien au-delà de leur périmètre de compétence (Paris et proche couronne). Leurs prises de position sont d'abord fortement prescriptrices en Île-de-France, qui représente un quart du marché de la construction neuve en France, mais sont aussi largement reprises par les autres préfectures et service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de France, illustration de l'importance du pouvoir de diffusion des normes.
La rapporteure Anne-Catherine Loisier estime que les exigences de l'administration en la matière vont plus loin que dans n'importe quel autre pays au monde.
Il semble qu'en Suède (p. 57), les restrictions sont très faibles en dessous de 8 mètres de hauteur et que le sprinklage peut permettre de déroger à bon nombre d'entre elles jusqu'à 28 m de hauteur.
Grâce notamment à l'impulsion du délégué interministériel Jean-Michel Servant, et après plusieurs études du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), le centre technique du ministère du logement, des principes directeurs ont été définis au printemps 2025.
Trois arrêtés, préparés par trois administrations différentes, ont été soumis à consultation, avec pour but de définir des règles qui soient, autant que possible, harmonisées, d'un type de bâtiment à l'autre, pour anticiper les éventuels cas de réversibilité (ministère de l'intérieur pour les établissements recevant du public (ERP), direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) pour les habitations, direction générale du travail (DGT) pour les bureaux).
Les règles seraient les mêmes selon la densité de population, mais diffèreraient selon la taille des bâtiments, devant naturellement être plus strictes pour les bâtiments de grande hauteur.
Une attention particulière serait par ailleurs portée à la phase du chantier, qui représente un incendie sur trois, en raison de la présence de masses combustibles non protégées et de points chauds (soudure, bouteilles de gaz, etc.).
Enfin, un seuil de 25 % de bois apparent semble avoir été retenu pour les murs porteurs. Cette règle suscitait une forte l'attention de la filière car les maîtres d'ouvrage pourraient se montrer réticents à intégrer du bois dans leurs projets, si cela occasionnait un léger surcoût sans pour autant pouvoir être visible à cause de l'encapsulage.
À ce sujet, les rapporteurs préconisent de faire preuve de plus de souplesse dans le recours aux « solutions d'effet équivalent » introduites dans la suite de la loi dite « Essoc4(*) » (État au service d'une société de confiance). Il s'agit de solutions alternatives, justifiées au cas par cas, pouvant se substituer à des règles édictées par l'État dans la mesure où elles ont un effet équivalent. Il s'agirait de se focaliser sur l'esprit de ces règles, plutôt que sur les règles elles-mêmes, en encourageant une logique performancielle plutôt que d'imposer des obligations de moyens, ce qui, du reste, est de nature à encourager l'innovation.
Recommandation n° 1 : s'agissant des normes incendie des bâtiments incluant du bois, modifier la notion de « solutions d'effet équivalent » en permettant de présenter de telles solutions a) plus tard que dès l'étape du permis de construire et b) avec une obligation de résultats plutôt que de moyens (logique performancielle plutôt que de process).
3. Une réflexion sur l'extension de cette dynamique, au-delà du neuf, à la rénovation, pour stimuler la demande d'isolants biosourcés
Le champ d'application de la RE2020 est encore incomplet en ce qu'il est limité aux bâtiments neufs, alors que, ainsi que l'a rappelé en audition Thibault Terrier, responsable des achats bois du groupe Vinci, 80 % de la ville de demain est déjà bâtie.
C'est pourquoi les rapporteurs préconisent d'étendre la dynamique de la RE2020 à la rénovation, en fixant à terme des objectifs de part de matériaux biosourcés dans la rénovation de l'ancien.
Une telle politique présenterait un double bénéfice carbone : d'une part, par l'effet de substitution des isolants biosourcés par rapport aux isolants minéraux ; d'autre part, par son effet important sur l'allongement du stockage du carbone des ressources bois d'industrie et bois-énergie (BI-BE) (bien que ces isolants soient considérés comme des panneaux non structurels dans la comptabilité carbone). Si elle permettait d'accélérer l'atteinte de nos objectifs de rénovation thermique des bâtiments, elle comporterait même un troisième atout en termes de décarbonation.
L'Ademe constate, dans une étude de marché sur les produits biosourcés parue en février 2025, tout le potentiel de croissance de ces produits, tant du point de vue de l'offre (accrue grâce au financement d'unités de production par l'appel à projets SCB) que du point de vue de la demande, en particulier si des politiques dédiées venaient encore la stimuler.
Cela ne pourra être mis en place que de façon très progressive, et en prenant garde à ne pas complexifier la politique de rénovation, en prêtant en particulier attention à deux verrous qui pourraient venir freiner le développement de ces produits :
Ø le premier est le coût de production et de vente des isolants biosourcés, qui doit non seulement soutenir la concurrence des usages énergétiques des coproduits du bois, mais encore rester compétitif par rapport à d'autres isolants dans laquelle la France est bien positionnée, comme la laine de verre. En tout état de cause, un soutien à la demande de ces isolants biosourcés ne devra être mis en place qu'une fois que la lumière aura été faite sur la flambée des coûts de la rénovation (+ 7,5 % récemment, soit bien plus que le simple niveau de l'inflation), faute de quoi les isolants biosourcés seraient durablement associés à cette hausse des prix ;
Ø un second chantier est celui de la recherche pour réduire les risques fongiques ou les risques incendie (pour ce dernier, en particulier pendant les chantiers de rénovation). Les majors de la construction ont en effet émis des doutes, à ce stade, sur le rapport coût-bénéfice de l'intégration de l'isolation biosourcée, au regard de l'atteinte des objectifs de la RE2020, compte tenu du faible volume que l'isolation représente et des contraintes techniques et financières associées.
Une première étape pourrait consister à faire connaître, pour mieux l'exploiter, la possibilité, ouverte depuis 2025, de cumuler une subvention octroyée par le guichet MaPrimeRénov' avec toute autre aide, émanant par exemple de collectivités territoriales, avec un écrêtement relevé voire sans écrêtement. Grâce à la territorialisation, le dispositif serait moins rigide, tout en donnant une direction, sans crainte des ruptures d'approvisionnement.
Les collectivités territoriales devraient s'emparer de cette possibilité d'abondement, en mettant en place des bonifications territoriales, pouvant en effet tenir compte des ressources spécifiques de chaque territoire, pour les isolants biosourcés. La ministre du logement Valérie Létard a donné l'exemple de l'entreprise Gatichanvre (produisant, en l'espèce, un produit biosourcé autre que le bois), qui pourrait ainsi être aidée par les collectivités du Parc naturel régional du Gâtinais français dans le cadre du premier pacte territorial France Rénov'.
La Commission européenne encourage la mise en place de « marchés publics écologiques, de normes ou de labels de consommation qui permettent une comparaison équitable entre les matériaux fossiles et les matériaux biosourcés », dans le cadre de sa stratégie bioéconomie.
Le volontarisme de l'Allemagne a été mis en avant dans l' étude comparative entre l'Allemagne, la Suède et la Roumanie mentionnée supra. Le think tank I4CE y souligne que ce pays « a subventionné l'usage d'isolants biosourcés (y compris à base de bois) à hauteur de la moitié du surcoût de leur surcoût initial. Elle a obtenu de la Commission européenne une dérogation pour accorder cette aide d'État, au titre de l'intérêt environnemental. Durant les vingt ans qui ont suivi la mise en oeuvre de cette subvention, le volume d'isolants biosourcés transitant sur le marché allemand a été multiplié par 50. Et le coût pour les finances publiques est resté modéré : les économies d'échelles réalisées par les fabricants d'isolants biosourcés ont permis d'arrêter la subvention tout en maintenant leur production ».
Recommandation n° 2 : mettre en place des bonus territoriaux en faveur des isolants biosourcés en complément de MaPrimeRénov', afin de préparer une extension, selon des modalités souples, de la dynamique de la RE2020 à la rénovation dans l'ancien.
* 2 Nom traduit en français de l'album Which Direction Goes the Beam (2025, label Tough Love) du groupe de musique anglais Index for Working Musik.
* 3 En mettant de côté des marchés plus restreints en volume tels que l'ébénisterie, la lutherie, ou la chimie du bois à des fins de valorisation de la cellulose dans des produits cosmétiques, par exemple.
* 4 Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.