B. UN BESOIN DE PLANIFICATION ET DE RÉGULATION POUR ASSURER LE « BOUCLAGE BIOMASSE » À L'ÉCHELLE TERRITORIALE ET NATIONALE
1. Une filière victime de son succès et un bouclage biomasse menacé par des « appels d'air » : Gardanne, carburants d'aviation durable (SAF), 50 grands sites industriels
En tant que coproduit de la photosynthèse, le bois est une ressource finie, dépendant des cycles naturels. S'ajoute à cette contrainte physique la problématique de la disponibilité du stock du bois sur pied.
Or, le matériau qu'est le bois compte de nombreux atouts en matière de compétitivité, de décarbonation et de relocalisation. En fonction des usages, le bois permet la séquestration, le stockage du carbone ainsi que la substitution à d'autres matériaux plus carbonés. Un exemple caractéristique est l'usage du bois-énergie local et issu de forêts gérées durablement, qui est à la fois une énergie peu chère et présentant de multiples gains environnementaux dans le cas, par exemple, de la substitution au fioul.
C'est la raison pour laquelle de nombreuses politiques publiques soutiennent la filière bois et son potentiel en matière de compétitivité et de décarbonation (objectifs contraignants de la RE2020, subventions du fonds chaleur, des appels à projets BCIAT...). Au-delà des politiques existantes, il pourrait être tentant pour de nouveaux secteurs de miser sur le bois pour avancer de pair dans ces deux dimensions.
Seulement, le bois peut-il à lui seul constituer un levier de compétitivité et de décarbonation pour tous les autres secteurs de l'économie ? La réponse est non, et cela commencé à se ressentir dans les discussions sur le bouclage biomasse. À cause d'une approche sans doute trop en silo, l'administration a admis avoir été dépassée, et est en train de réduire progressivement la voilure sur l'ambition des projets biomasse. En particulier, l'Ademe utilise désormais l'outil d'aide à la décision EnR'Choix dans les appels à projets qu'elle opère, afin de s'assurer, pour chaque projet, de l'absence d'alternative (récupération de chaleur fatale, géothermie, solaire thermique). Une logique de plafonnement de la quantité d'énergie produite par projet a également été mise en place et gagnerait à être approfondie.
Un cas particulier historique est celui de l'ancienne centrale à charbon de Gardanne, qui a été convertie en 2021 par GazelEnergie pour produire de l'électricité à partir de biomasse solide, c'est-à-dire de bois. Le projet de conversion au pellet de l'ancienne centrale à charbon de Cordemais, en Loire-Atlantique, a en revanche été abandonné. De fait, la combustion du bois pour la production d'électricité est, de l'avis unanime des spécialistes, jugée inefficace, la production d'électricité ne pouvant être considérée au mieux comme un coproduit de la production de chaleur, dans le cadre de la cogénération.
La centrale biomasse de Gardanne :
une
épine dans le pied de la filière bois-énergie
La tranche restant en fonctionnement, Provence 4 Biomasse, produit 150 MW d'électricité par an, pour un rendement énergétique médiocre, de seulement 30 à 35 %, soit un quart d'une tranche fonctionnant au charbon.
Les acteurs de la filière bois énergie entendus par la mission ont déploré le dommage que ce site porte à l'image de leur activité. Il a fait l'objet, en effet, d' un documentaire, sur le service public, à une heure de grande écoute, pointant les approvisionnements, s'agissant tant de la qualité du bois brûlé, jugée trop bonne, que de l'origine de ce bois, aux deux tiers importés du Portugal, de l'Espagne et même... du sud du Brésil, semble-t-il en raison de la recherche, par GazelEnergie, d'équilibres sociaux subtils entre la centrale de Gardanne et le port de Fos-sur-Mer, par lequel transite ce bois importé.
La conclusion, fin 2024, d'un nouveau contrat de rachat d'électricité de 8 ans avec EDF, pour un montant de 800 millions d'euros pour l'État, a semblé répondre principalement à des considérations d'accompagnement social, afin de trouver des relais de croissance dans des délais ne mettant pas en péril les 90 emplois directs du site.
L'autorisation d'exploiter a été suspendue par le tribunal administratif de Marseille au motif que le contrat d'approvisionnement de GazelEnergie déséquilibrerait le marché compte tenu des usages actuels, l'usine de pâte à papier Fibre Excellence de Tarascon (également coproducteur de chaleur) et la chaufferie biomasse Idex à Brignoles s'estimant en particulier menacées sur la ressource BI-BE du quart Sud-Est. GazelEnergie vise en effet à inverser son ratio approvisionnement local-importé, confondant sans doute le potentiel de biomasse avec sa disponibilité.
Il convient donc d'accompagner en douceur la fin de l'activité de la tranche biomasse de la centrale de Gardanne à horizon 8 ans, en prévoyant une relocalisation graduelle de son approvisionnement, en fondant cet approvisionnement sur la ressource disponible et non potentielle, et préparer une prise de relais des usages par de la production de chaleur.
Un autre « appel d'air » potentiel pourrait être celui des carburants d'aviation durable (SAF). La filière et les administrations ont fait part de leurs plus grandes réserves sur le développement de ces carburants, en particulier pour le bouclage après 2030.
L'idée que l'on pourrait décarboner l'industrie par la biomasse solide paraît tout aussi fantaisiste à la mission. Aux yeux des deux rapporteurs, et en particulier d'Anne-Catherine Loisier, les annonces du ministre de l'énergie et de l'industrie en faveur de la décarbonation de l'industrie et en particulier des cinquante sites les plus émissifs sont de nature à déstabiliser la filière.
Il conviendrait d'objectiver ce que représenterait l'utilisation de la ressource de biomasse solide (bois) pour la décarbonation des 50 sites industriels les plus émissifs de gaz à effet de serre, cette perspective ayant fait l'objet de certaines déclarations publiques non chiffrées, potentiellement déstabilisatrices pour la filière.
Le ministre s'est montré rassurant sur cette perspective, indiquant que les leviers de décarbonation de la plupart de ces sites relevaient davantage de l'électrification.
Il semble qu'un seul des sites serait potentiellement finalement ainsi décarbonée.
Recommandation n° 17 : objectiver les « appels d'air » sur la demande de bois énergie, grâce au rôle d'éclairage du GIS biomasse, pour ensuite mieux les maîtriser, par exemple en :
- pérennisant l'outil d'aide à la décision EnR'Choix dans l'appel à projet BCIAT opéré par l'Ademe, ainsi que la logique de plafonnement de la quantité d'énergie produite par projet ;
- accompagnant en douceur la fin de l'activité de la tranche biomasse de la centrale de Gardanne à horizon 8 ans, en prévoyant une relocalisation graduelle de son approvisionnement, en fondant cet approvisionnement sur la ressource disponible et non potentielle, et en préparant une prise de relais des usages par de la production de chaleur ;
- n'accordant qu'une place très réduite aux carburants d'aviation durable (SAF) issus de biomasse solide et à la pyrogazéification du bois dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ;
- envisageant seulement au cas par cas le choix de décarboner certains des 50 plus grands sites industriels par la biomasse solide.
2. Conforter le rôle de régulation des cellules biomasse régionales, en lien avec les professionnels, à travers le levier des contrats d'approvisionnement
Les avis des cellules régionales biomasse, trop peu suivis par le préfet, mériteraient de devenir conformes à condition que professionnels et élus locaux y soient plus étroitement associés, pour réguler les contrats d'approvisionnement.
Ces cellules, mises en place en 2006, animées par les directions territoriales de l'Ademe, les Dreets, les Draaf et les Dreal, ont pour mission d'instruire les nouveaux projets d'importance et d'émettre un avis à leur sujet, au regard de l'objectif de « prévention des conflits d'usage ». Ces avis ne sont, en revanche, pas toujours suivis par les préfets.
Leur expertise doit d'abord être fiabilisée, en particulier s'agissant des flux inter-régionaux, qui peuvent aujourd'hui échapper à la vigilance de ces structures tributaires des déclarations des professionnels.
Depuis une instruction du 18 juillet 2024, les cellules peuvent « consulter des acteurs économiques », un rapprochement avec les professionnels bienvenu et qui gagnerait à se systématiser.
Recommandation n° 18 : renforcer les cellules régionales biomasse en fiabilisant les données notamment par une meilleure coordination inter-régionale, et en donnant un avis conforme à ces structures, après consultation des acteurs forestiers amont et bois aval, sur les décisions du préfet relatives aux contrats d'approvisionnement des nouveaux projets bois énergie