B. UNE DISPONIBILITÉ DE LA RESSOURCE EN BOIS TRIBUTAIRE DE LA MISE EN GESTION DURABLE ET MULTIFONCTIONNELLE DE NOS FORÊTS
1. Pour les travaux forestiers, des limites liées à l'accessibilité des massifs et au choix d'une gestion multifonctionnelle, protectrice de la biodiversité
La différence entre la disponibilité et l'exploitabilité de la ressource est un aspect crucial, souvent négligé, de l'analyse de la ressource forestière. Afin d'établir la ressource réellement mobilisable pour approvisionner l'outil de transformation, il convient en effet de tenir compte des conditions d'exploitabilité de la forêt ainsi que de son équilibre économique.
Les données physiques ont là leur importance : les forêts françaises sont, à l'instar des forêts italiennes des Apennins, situées dans des zones montagneuses, les pentes pouvant compliquer l'accès aux abatteuses ou débusqueuses, rendant, de ce fait techniquement plus difficile l'exploitation forestière. À l'inverse, la forêt allemande est majoritairement une forêt de plantation, en plaine.
Pour sa région du Bade-Wurtemberg, M. Henne date les forêts monospécifiques d'épicéa plantées en futaie régulière du milieu du XXe siècle, la ressource ayant dû être reconstitué après le prélèvement de la ressource par la France dans l'immédiat après-guerre. Ce trait caractéristique de la sylviculture allemande est cependant bien plus ancien et trouve finalement assez peu d'équivalent en France, si ce n'est dans le massif des Landes de Gascogne, où une pinède a été plantée au XIXe siècle sur une plaine sableuse.
À la lisière entre géographie physique et humaine, la desserte forestière est également une donnée cruciale, tant pour intervenir dans un massif que pour en extraire le bois. Or, avec la déprise en zone rurale, ces infrastructures peuvent être mal entretenues. Cet enjeu du transport se recoupe également avec celui de la sécurité des entrepreneurs de travaux forestiers (intervention rapide des secours) et notamment avec le risque croissant d'incendie.
L'extension et l'intensification du risque incendie, en lien avec le changement climatique, est en lui-même de nature à limiter l'accès aux massifs forestiers. Des arrêtés interdisant l'accès aux massifs sur certaines plages horaires ou certains jours de l'année en raison d'un risque élevé d'incendie peuvent être pris par les préfets.
Autant la forêt du quart sud-est du pays, surtout soumise à la problématique de l'intensification du risque, n'était déjà pas une forêt à vocation productive compte tenu de sa faible croissance biologique, autant certaines forêts plus productives, comme le massif des Landes de Gascogne et certaines forêts du centre de la France, pourront y voir une contrainte supplémentaire : si le risque a toujours existé, les coûts associés en matière de création de pistes de défense des forêts contre l'incendie (DFCI), de mesures de surveillance (associations syndicales agréées), voire en termes d'assurance pour les propriétaires forestiers, pourraient peu à peu venir perturber l'équilibre économique de la gestion forestière, sans compter .
La multiplication des intempéries et notamment la concentration des pluies l'hiver, en lien avec le changement climatique, sont un phénomène naturel encore plus handicapant pour l'activité des entrepreneurs de travaux forestiers. Ainsi, lors de l'année 2024, particulièrement pluvieuse, les ETF sont restés à l'arrêt pendant une partie importante de l'année.
Combiné aux restrictions d'accès en forêt au printemps et l'été pendant les périodes de nidification, le maillon économique fragile des ETF fait donc face à un défi de sécurisation de son activité ou devra affronter la saisonnalité croissante de son activité, ce qui limite l'amortissement des lourds achats de machines.
Pour y faire face, les ETF demandent l'extension du TO-DE ou une caisse d'assurance « intempéries », à laquelle les scieurs ont peur de contribuer ; une solution plus pérenne serait de diversifier leur activité (méthodes plus légères, élagage bord de route, taille de haies agricoles...) - mais pour quel impact sur le bois récolté ?
Plutôt que par une caisse d'assurance « espèces protégées », cela doit se régler sous l'égide du préfet qui préside la mission interservices de l'eau et de la nature (Misen), par la définition de cahiers des charges a priori de réduction des risques d'infraction sur les chantiers, en complément d'actions de formation aux enjeux de biodiversité. En effet, l'article 31 de la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture n'apporte aucune solution aux entrepreneurs de travaux forestiers en ce que la dépénalisation des atteintes aux habitats naturels a été cantonnée, dans le texte de la commission mixte paritaire, aux « personnes physiques ».
Recommandation n° 21 : confier aux préfets de région, dans le cadre des missions inter-services de l'eau et de la nature (Misen), en lien avec l'OFB et les professionnels, la définition de cahiers des charges a priori pour sécuriser les entrepreneurs de travaux forestiers face au risque d'atteinte aux habitats d'espèces protégées et de condamnation pénale à ce titre.
2. Des obstacles organisationnels liés au morcellement de la propriété, à lever par plus de gestion collective et par massif
Le diagnostic d'un morcellement excessif de la forêt française, en particulier de la forêt privée, hormis dans quelques grands massifs comme les Landes de Gascogne, n'est plus à faire. Avec plus de trois millions de propriétaires, la France est confrontée, à l'instar de plusieurs pays du sud de l'Europe, à un problème de taille des parcelles, celle-ci étant insuffisante pour assurer un équilibre économique satisfaisant à la gestion forestière. Comme évoqué supra (cf. partie III, C, 2), ces freins organisationnels rendent plus qu'incertaines les perspectives de mobilisation supplémentaire de bois, qui repose sur cette forêt privée non gérée.
Un rapport inter-inspections remis début 2024 rappelle que seulement 27 % de la forêt privée est aujourd'hui dotée de plans de gestion et estime à 700 000 hectares les surfaces qui pourraient être mises en gestion durable par le seul respect des obligations en matière d'obligation de plan simple de gestion (PSG).
La loi du 10 juillet 2023 relative à la prévention et à la lutte contre l'extension et à l'intensification du risque incendie a prévu, à l'initiative du Sénat et notamment de la rapporteure Anne-Catherine Loisier, un abaissement du seuil de surface au-dessus duquel les parcelles sont soumises à l'obligation PSG, passé de 25 à 20 hectares. Cette mesure relativement consensuelle est de nature à mettre en gestion environ 500 000 hectares de forêts supplémentaires, détenues par plus de 200 000 propriétaires.
Aux yeux des rapporteurs, il ne serait pas opportun d'abaisser encore le seuil au-dessus duquel les documents de gestion durable sont obligatoires. D'une part, plus ce seuil est abaissé et plus les frais de gestion administratifs sont importants, puisque par définition il y a plus de documents de gestion durables à agréer pour des surfaces plus faibles. Il y aurait par exemple près de deux fois plus de propriétaires forestiers concernés par un abaissement de 20 à 15 ha, que de propriétaires concernés par l'abaissement à 20 ha, pour une surface totale à peu près comparable ( cf. p. 86 de ce rapport).
D'autre part, Fransylva et le Centre national de la propriété forestières suggéraient, au moment de l'examen de ce texte, de miser plutôt sur les plans simples de gestion concertés, une démarche volontaire et plus souple pour les propriétaires demeurant en dessous des seuils d'obligation.
S'il ne convient donc pas d'aller plus loin, les engagements pris par le Gouvernement en termes de créations de poste au Centre national de la propriété forestière (CNPF), pour assurer l'instruction et l'agrément des documents de gestion durable, doivent être tenus. L'établissement public ne pourra assurer de missions supplémentaires sans moyens ad hoc ( cf. p. 88 du même rapport). Or, les diverses lois de finances depuis le vote de la loi en 2023 ont donné lieu à des tentatives gouvernementales de limiter l'étendue de cet engagement voire de revenir dessus.
Si des économies devaient être réalisées, elles seraient plus sûrement à trouver dans un rapprochement de l'action du CNPF et de l'ONF dans les territoires, pour tendre à une gestion forestière plus cohérente, par massif, par-delà les délimitations administratives entre propriété publique et propriété privée, à l'exemple de ce qui peut exister en Allemagne avec le Conseil allemand de la forêt (Deutscher Forstwirtschaftsrat, DFWR), association qui regroupe propriétaires forestiers publics et privés.
Par ailleurs, plusieurs outils de régulation du foncier - droit de préférence du propriétaire voisin pour les petites surfaces, droit de préemption des communes forestières limité aux parcelles à enjeu de DFCI - existent dans le code forestier.
Pour autant, davantage qu'en un hypothétique remembrement de la petite propriété forestière, les rapporteurs croient aux incitations, qui peuvent être de diverses natures (cf. les seize actions proposées par le président de la Fédération nationale des communes forestières et la présidente du Centre national de la propriété forestière fin 2023).
À cet effet, le levier fiscal est tout particulièrement indiqué. Ce n'est pas tant le levier fiscal pour le remembrement (« allègement de la taxe foncière permettant d'encourager les fusions de parcelle », action 16) qui attire l'attention des rapporteurs, que le levier fiscal pour la gestion collective (« Mettre en place des incitations financières aux outils de regroupement de gestion (aides au renouvellement forestier, dispositifs de défiscalisation) », action 13)
Les rapporteurs souhaitent une évolution différenciée du taux du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt, dans son volet « travaux » (DEFI travaux), dont l'existence a été prolongée par le projet de loi de finances pour 2023 puis renforcé par la loi du 10 juillet 2023 précitée. Si la rapporteure Anne-Catherine Loisier s'est précédemment opposée, au nom de l'équité, à la mise en place d'un taux de 25 % sur les dépenses afférentes à l'entretien, au reboisement ou à l'aménagement de dessertes pour les seuls adhérents de coopératives forestières - contre 18 % pour les autres propriétaires forestiers -, les rapporteurs conviennent de l'intérêt qu'il y aurait à accorder un tel taux bonifié, plus largement, à tous travaux forestiers dans le cadre d'une gestion collective.
Recommandation n° 22 : afin d'accroître la récolte de bois, traiter le morcellement de la propriété par des incitations à la gestion collective, en :
- poursuivant l'instruction des plans simple de gestion entre 25 et 20 ha ;
- maintenant le taux réduit de TVA sur les travaux sylvicoles ;
- gérant davantage la forêt par massif grâce à un surcroît de coordination gestionnaires privés-ONF indépendamment du régime de propriété,
- bonifiant le DEFI travaux dans le cas d'une gestion collective (coopératives, experts) par rapport au taux normal actuel.