EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 septembre 2025 sous la présidence de M. Pascal Savoldelli, vice-président, la commission a entendu une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial, sur les enjeux associés à la structure de détention de la dette de l'État.

M. Pascal Savoldelli, président. - Nous entendons la communication de notre collègue Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », sur la structure de détention de la dette de l'État.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Pendant des années, la question de la dette n'intéressait personne. Lorsque j'occupais les fonctions de rapporteur général de la commission des finances, je disais toujours que nous n'étions pas à l'abri d'un accident, à l'instar d'un choc pétrolier, d'un krach boursier - je n'avais pas prévu la crise sanitaire. Nous avons connu une période délirante avant la covid : nous empruntions à taux zéro, voire à taux négatif. Bruno Le Maire, qui donnait des leçons dans la presse, nous expliquait que nous étions des imbéciles de ne pas nous endetter, puisque plus on le faisait, moins le coût pour les finances publiques était important. Paradoxalement, la charge de la dette diminuait alors que l'on s'endettait davantage. Aujourd'hui, la fête est finie : la dette occupe une place importante dans le débat public.

En tant que rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », j'ai souhaité mener cette année un contrôle budgétaire sur les enjeux associés à la structure de détention de la dette de l'État : en clair, qui détient la dette ? Le sujet suscite de vives discussions dans les sphères politiques et économiques, notamment sur le poids des investisseurs internationaux.

Le rapport que je vous présente aujourd'hui résulte d'échanges approfondis avec des interlocuteurs représentant les différents acteurs de la gestion de la dette publique et des marchés financiers : les services du ministère de l'économie et des finances - en particulier l'Agence France Trésor (AFT) -, la Banque de France, des banques-conseils et des banques spécialistes en valeurs du Trésor, chargées de placer la dette française. De même, mes travaux m'ont conduit à auditionner, dans une perspective internationale et comparée, des institutions étrangères, à savoir la Banque d'Angleterre, le Debt Management Office britannique et l'International Capital Market Association.

Je commencerai par une présentation générale de la structure de détention de la dette de la France, avant de mettre en évidence les principaux enjeux soulevés par le mode de financement de notre endettement.

À cet égard, je tiens à clarifier un point de méthode, car il est difficile de savoir qui détient la dette française : les titres de dette de l'État sont des titres de créances négociables qui s'échangent librement sur les marchés financiers. L'AFT se charge de l'émission primaire : par construction, nous savons donc qui achète les titres émis par l'Agence. Mais ceux-ci peuvent ensuite être échangés sur le marché secondaire : dès lors, l'État n'est pas en mesure de connaître à tout instant les investisseurs dans sa dette. Néanmoins, il peut s'appuyer sur deux enquêtes statistiques récurrentes, menées respectivement par la Banque de France et par le Fonds monétaire international (FMI).

Suivant cette approche, plusieurs types d'acteurs financiers peuvent être identifiés au sein de la structure de détention de la dette de la France. Ainsi, selon les données de la Banque de France, au premier trimestre 2025, cette dernière se décomposait entre : des investisseurs non-résidents - comprenant pour moitié des investisseurs de la zone euro et pour moitié des investisseurs hors zone euro -, pour 54,7 % ; des compagnies d'assurance françaises, pour 9,8 % ; des établissements de crédit français, également pour 9,8 % ; des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) français, pour 1,7 % ; enfin, d'autres investisseurs français, essentiellement la Banque de France pour le compte de la Banque centrale européenne (BCE), pour 24,4 %.

De fait, la détention de la dette publique par des investisseurs non-résidents a fortement augmenté au cours de la décennie 2000-2010.

Entre 1996 et mi-1998, les non-résidents détenaient moins de 30 % de la dette des administrations centrales. Cette part a ensuite augmenté régulièrement jusqu'à un pic de 66,4 % en 2009, avant de connaître une baisse à partir de 2015 sous l'effet du programme d'achat de titres publics de l'Eurosystème, pour atteindre un creux à 47,5 % fin 2021. Depuis lors, la détention par les non-résidents augmente de nouveau progressivement pour atteindre 56 % aujourd'hui.

Est-ce bon ou mauvais signe ? Mes interlocuteurs me l'ont tous confirmé : la diversification de la typologie et de l'origine géographique des investisseurs en dette française reflète l'attractivité de la signature de la France. Notre pays est le premier émetteur de titres de dette de la zone euro. Il représente également le premier marché pour la dette secondaire ; or les investisseurs institutionnels sont heureux de pouvoir revendre leurs titres.

Attirer des investisseurs étrangers permet d'élargir la base de financement, de ne pas dépendre uniquement des investisseurs nationaux et, plus concrètement, de baisser les taux à l'émission et par conséquent la charge d'intérêt de la dette.

De fait, si la souveraineté financière repose avant tout sur la maîtrise de la trajectoire d'endettement, la meilleure stratégie pour la gestion de la dette publique consiste à ne pas dépendre d'une catégorie d'investisseurs en particulier, quelle qu'elle soit.

Dans ce contexte, imposer de nouvelles contraintes en matière de détention de la dette serait largement contre-productif.

Ainsi, alors que l'application d'un dispositif d'identification des détenteurs de titres pour la gestion de la dette de l'État pourrait paraître une piste intéressante de prime abord, cette solution revêt en pratique des limites techniques et économiques rédhibitoires. D'une part, la structure de détention des titres au travers d'intermédiaires multiples ne permet pas d'identifier systématiquement les investisseurs finaux. D'autre part, en l'absence de coordination à l'échelle internationale, notamment dans le cadre européen, un tel dispositif singulariserait la France au sein des émetteurs souverains, portant atteinte à l'attractivité de sa dette et risquant d'en renchérir le coût.

Plus généralement, l'Agence France Trésor indique qu'il convient d'éviter toute déclaration hostile à l'égard des investisseurs étrangers, à l'heure de l'hypersensibilité des taux : avec 3 400 milliards d'euros de dette, une évolution des taux de 0,1 % représente une charge supplémentaire à terme de 3,4 milliards d'euros. Toute augmentation du spread a des conséquences rapides : voilà 15 jours, notre pays a subi une hausse de 0,2 % des taux auxquels il emprunte, soit un coût à terme d'un peu moins de 7 milliards d'euros. La confiance des acteurs non-résidents est primordiale : la réduction de la base d'investisseurs se traduirait par une augmentation du coût de la dette.

À ce titre, je tiens à rappeler les perspectives particulièrement dégradées concernant la trajectoire prévisionnelle de la charge de la dette de l'État.

En 2019, avant la crise sanitaire, la charge de la dette représentait environ 30 milliards d'euros, à comparer aux recettes nettes de l'État après dégrèvements, qui s'élèvent à 300 milliards d'euros. Or elle devrait doubler d'ici à la fin de la décennie et franchirait la barre des 100 milliards d'euros : le tiers de nos recettes fiscales y serait affecté, si la tendance actuelle se poursuit.

Dans ce contexte, nous devons tenir compte de l'hypersensibilité des investisseurs. Qu'un ministre de l'économie et des finances soutienne que notre pays sera mis sous tutelle du FMI - alors même que la majorité à laquelle il appartient a contribué à aggraver la dette - est irresponsable. Il est impératif de s'abstenir de toute initiative malencontreuse qui affecterait la confiance des investisseurs, notamment non-résidents.

Le cas échéant, pourrions-nous nous tourner vers les investisseurs nationaux ? Contrairement à une idée communément admise, ces derniers sont globalement soumis aux mêmes besoins, stratégies et contraintes que les investisseurs internationaux ; ils sont aussi sensibles au risque souverain national. Ainsi de la dette du Royaume-Uni, détenue essentiellement par des acteurs domestiques. Durant l'automne 2022, l'annonce du « mini-budget » par le gouvernement de Liz Truss avait provoqué une crise : les taux d'emprunt avaient atteint des niveaux très élevés. Ceux de l'Italie se sont élevés jusqu'à 7 % : impossible d'emprunter à de tels sommets.

Plusieurs interlocuteurs bancaires nous ont indiqué qu'avec de tels niveaux d'endettement, comme la France en connaît actuellement, une étincelle est susceptible de provoquer une hausse des taux. Une action concertée de fonds spéculatifs me semble peu probable, au vu des montants nécessaires pour attaquer la France. En revanche, des déclarations malencontreuses, des erreurs stratégiques, sont susceptibles de conduire au même scénario que celui qui s'est déroulé au Royaume-Uni.

Plus globalement, le faible recours à l'épargne domestique constitue plutôt une circonstance opportune d'un point de vue économique. Le niveau de l'épargne disponible en France est important. Celle-ci pourrait-elle être utilisée pour financer la dette publique ? Sans doute, mais prenons garde à ne pas favoriser l'érosion des ressources financières des entreprises. Un grand emprunt national est envisageable, à condition que celui-ci soit limité en volume. En outre, il faudrait offrir des perspectives aux Français acceptant de prêter de l'argent à l'État : seul un emprunt destiné à des investissements publics stratégiques clairement identifiés serait envisageable.

Aussi, dans le cadre restreint de la gestion de la dette publique, il importe de poursuivre les initiatives destinées à favoriser la diversification de la typologie et de l'origine des investisseurs en dette de l'État. Quant aux actions de mobilisation de l'épargne des résidents, telles que celles du type « grand emprunt national », il convient de les réserver à des programmes de financement spécifiques, fléchés vers des investissements publics stratégiques précisément définis.

Dans un contexte de tensions croissantes concernant la trajectoire de la dette publique, la diversification de la base des détenteurs constitue assurément une protection importante, mais non absolue. Notre situation dégradée en matière de finances publiques est désormais scrutée avec attention par nos créanciers. Seule la maîtrise de notre endettement nous permettra de garantir notre souveraineté financière.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Jusqu'au début des années 2000, les investisseurs nationaux possédaient deux tiers de notre dette, contre moins de la moitié aujourd'hui. Serait-il possible de définir une stratégie préférentielle afin de favoriser la part des investisseurs nationaux ? Serait-ce pertinent ?

Nous faisons face à un double problème : l'instabilité gouvernementale et le poids exponentiel de la charge de la dette, qui pourrait s'élever à plus de 100 milliards d'euros par an en 2029, soit près d'un doublement par rapport à aujourd'hui. C'est très préoccupant.

Quelles conclusions doit-on en tirer, notamment à l'approche de l'examen du prochain projet de loi de finances (PLF) ? Nous devons dire la vérité aux Français et présenter des solutions pour améliorer les choses, sans pour autant les plonger dans l'inquiétude. Monsieur le rapporteur spécial, avez-vous des propositions à formuler en la matière ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur la question de l'origine géographique des détenteurs de la dette et sur le débat entre dette domestique et dette internationale.

La forte diversification des investisseurs détenant des titres de notre dette nous a permis de nous financer à moindre coût durant des années, et ce en vertu d'une loi fort simple à comprendre, celle de l'offre et de la demande. À l'inverse, je ne suis pas certain que nous obtiendrions les mêmes résultats si nous avions une dette 100 % souveraine : l'exemple britannique prouve que nous nous financerions probablement à un coût plus élevé.

L'exemple du Royaume-Uni depuis 2022 montre également que l'augmentation de la part des résidents dans la détention de la dette ne constituerait pas une garantie ou une protection contre le risque de crise de notre dette souveraine...

Quoi qu'il en soit, je souscris aux propos de Jean-François Husson : l'enjeu est avant tout celui de la confiance envers notre capacité à régler, à terme, plus de 100 milliards d'euros d'intérêts chaque année. Il s'agit donc d'un enjeu de soutenabilité budgétaire. Pour rendre la charge de notre dette soutenable, il faut prioritairement que l'État fasse davantage d'efforts : rappelons que 81,4 % de notre endettement public correspond à la dette de l'État, qui résulte essentiellement de l'accumulation des déficits primaires de celui-ci.

M. Pascal Savoldelli, président. - Au 31 août 2025, la durée de vie moyenne de la dette négociable s'élevait à huit ans et cent soixante-dix-huit jours. Il s'agit là de l'une des clés de la soutenabilité de notre dette : plus cette durée sera longue, plus la France sera protégée contre la hausse des taux d'intérêt.

Comment faire en sorte d'allonger la durée de vie de notre dette publique ?

M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur spécial pour son éclairage. Je suis particulièrement intéressé par sa recommandation n° 3, par laquelle il nous invite à étendre la diversification de l'origine géographique des investisseurs en dette de l'État à de nouvelles zones.

Ces dernières semaines, on a entendu de nombreux responsables politiques affirmer qu'en définitive notre pays pouvait continuer à s'endetter, notamment dès lors que notre dette serait acquise dans des proportions plus importantes par des investisseurs nationaux, à l'image de la situation du Japon. Qu'en pense le rapporteur spécial ? L'enjeu est-il vraiment aujourd'hui de faire en sorte de réorienter la détention de notre dette publique vers des acteurs nationaux ?

Par ailleurs, la trajectoire prévisionnelle d'évolution de la charge des intérêts de la dette de l'État me semble particulièrement préoccupante - il est tout de même question de près de 100 milliards d'euros en 2029 ! Qu'en serait-il si cette trajectoire n'était pas respectée ? Le risque existe-t-il que les économies budgétaires prévues soient moins élevées que celles qui sont envisagées, affectant la trajectoire de la dette et donc celle de la charge d'intérêts ?

M. Vincent Delahaye. - Je remercie le rapporteur spécial de s'intéresser à un sujet sur lequel la transparence n'est, hélas, pas suffisamment de mise. Il serait souhaitable que nous en sachions davantage sur les détenteurs de notre dette : on en sait finalement très peu sur l'identité des non-résidents détenteurs de titres de la dette française.

On nous oppose aujourd'hui qu'il ne serait pas possible de connaître à un instant t l'origine de ces investisseurs, en raison des fluctuations permanentes des flux financiers. Ne serait-il pas envisageable que, par la loi, nous obligions le Gouvernement à établir un état des lieux annuel des détenteurs de notre dette ?

Mme Nathalie Goulet. - J'ai eu l'honneur et le privilège d'exercer, trois années durant, la fonction de rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État ». Aussi, je peux vous assurer que je m'interroge moi aussi sur l'identité des détenteurs de la dette française.

À contre-courant de l'enthousiasme général qui a accompagné durant des années le constat du faible niveau des taux d'intérêt, notre commission a toujours mis en garde contre une possible remontée de ceux-ci : la catastrophe est là, un constat qui pose avec d'autant plus d'acuité la question de l'identité des investisseurs non-résidents. À mon époque, on m'avait opposé le secret fiscal, voire le secret-défense. Aujourd'hui, il s'agit pour nous d'obtenir enfin des réponses à la fois au titre de la transparence et au nom de notre souveraineté.

M. Thierry Cozic. - La charge d'intérêts s'élève actuellement à près de 60 milliards d'euros, soit presque l'équivalent du budget du ministère de l'éducation nationale. Plus de la moitié de la dette française est par ailleurs détenue par des non-résidents : quelles sont les options pour réduire la dépendance de la France vis-à-vis de nos créanciers étrangers ?

Dans un contexte géopolitique difficile, l'identité de nos créanciers me semble être une question d'intérêt général. Serait-il envisageable de publier régulièrement des données plus détaillées sur la répartition géographique et sectorielle des détenteurs de notre dette ?

Enfin, n'est-il pas temps de discuter d'une restructuration partielle de cette dette, comme un certain nombre d'États l'ont déjà fait, ou d'envisager un audit citoyen qui permettrait de distinguer la part légitime de la dette de sa part illégitime, c'est-à-dire de celle qu'a contractée l'État pour servir des intérêts privés, et non ceux de nos concitoyens ?

M. Pierre Barros. - Le financement de l'État n'a pas toujours dépendu des marchés financiers. Pendant des décennies, la France a disposé d'un système original, celui du circuit du Trésor, qui reposait sur trois piliers : la centralisation des dépôts des banques et des entreprises publiques sur un compte unique des dépôts à vue du Trésor ; l'obligation pour les établissements de crédit de détenir une part de leurs ressources en bons du Trésor ; enfin, des taux fixés administrativement.

Ce modèle, qui a disparu dans les années 1980, permettait à l'État de se financer de manière autonome et à faible coût : près de 80 % des financements de l'État étaient couverts par ce circuit domestique.

Aujourd'hui, il existe des pistes, non pas d'un retour à ce système, mais d'un éloignement vis-à-vis d'une trop importante financiarisation de notre dette via les marchés obligataires.

Nous soutenons pour notre part la création d'un pôle bancaire public, seul susceptible de garantir à l'État un financement stable et maîtrisé. Le débat, qui a eu lieu ici même à plusieurs reprises, n'est pas épuisé, et ce d'autant moins que le montant de la charge de la dette continue de s'envoler.

Doit-on continuer à considérer que notre souveraineté budgétaire se joue désormais uniquement sur les marchés financiers ou est-il imaginable que l'État puisse disposer de solutions lui apportant davantage d'autonomie ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Monsieur le rapporteur spécial, je tiens à vous remercier pour cette présentation détaillée.

Ma première question porte sur la détention de notre dette par des investisseurs non-résidents : pensez-vous que celle-ci soit à son pic ou estimez-vous que cette part d'environ 55 % de créanciers étrangers puisse encore augmenter dans les cinq ans à venir ?

Autre question : en France, on débat beaucoup en ce moment de la dette publique, et on parle nettement moins de dette privée, certainement parce que, dans notre pays, les dépenses d'éducation sont prises en charge par l'État, et que la santé et la protection sociale y sont mutualisées. Existe-t-il, selon vous, une corrélation entre le niveau de la dette publique et celui de la dette privée ? L'épargne privée, qui n'a jamais été aussi élevée en France, ne devrait-elle pas être davantage mise à contribution pour financer nos investissements publics ? La recommandation n° 4 prévoit la possibilité de mettre en oeuvre des actions de mobilisation de l'épargne des résidents dans certaines circonstances, pour financer des investissements publics stratégiques précisément définis : à quel niveau devrait-on fixer cet effort et de quel montant pourrait être un éventuel grand emprunt national ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Comme l'évoquait Pascal Savoldelli, nous observons effectivement un allongement de la durée de vie moyenne de notre dette, laquelle s'élève à environ huit ans aujourd'hui contre six ans il y encore peu. Est-ce pour autant une bonne nouvelle ? Allonger davantage la maturité moyenne de notre dette serait-il une solution ? Je ne le pense pas : aujourd'hui, le Royaume-Uni emprunte à des taux plus élevés que la France, alors même que la maturité de sa dette est plus importante. Il n'y a pas de solution miracle : si nous allongeons notre dette, nous paierons plus cher.

Michel Canévet a cité un exemple intéressant, celui de la dette japonaise. Or la situation du Japon n'est pas comparable à la nôtre : l'endettement public y est certes très élevé, mais il est essentiellement d'origine domestique ; de plus, ce pays a le yen et fonctionne en circuit fermé, ce qui n'est pas le cas de la France dont l'exposition internationale, via l'Eurosystème, est sans commune mesure.

Plusieurs d'entre vous m'ont demandé quelles étaient les options envisageables pour réduire notre dépendance vis-à-vis des créanciers étrangers, en évoquant notamment les possibilités offertes par le niveau très élevé de l'épargne nationale, de l'ordre de 6 000 milliards d'euros, la possible hausse de la part des résidents parmi les détenteurs de titres, ou encore l'éventualité d'un grand emprunt.

Selon moi, le fort taux d'épargne que l'on constate dans notre pays ne représente absolument pas une piste crédible pour prévenir une possible crise de la dette. En effet, une réorientation de l'épargne nationale vers la dette publique pourrait être compensée par une détention accrue des actifs privés - actions ou obligations d'entreprises - par des investisseurs non-résidents, ce qui d'un point de vue de souveraineté économique poserait autant, si ce n'est plus, de difficultés. Ce qui importe en matière de gestion de la dette publique, c'est que la charge de la dette continue d'être soutenable. Or, comme le souligne l'Agence France Trésor, l'internationalisation du placement de la dette est un facteur d'élargissement de la demande et donc de baisse du taux à l'émission.

À la question du niveau souhaitable d'un grand emprunt national, je répondrai indirectement en rappelant que, d'ici à deux ans, notre besoin de financement annuel sera considérable, puisqu'il pourrait atteindre entre 350 milliards et 400 milliards d'euros, entre le financement du déficit - qui sera notamment alourdi par l'augmentation du niveau de la charge d'intérêts - et le refinancement de la dette arrivant à échéance. Le sujet d'un grand emprunt national n'est pas tabou, mais d'une part le volume nécessairement limité d'un tel emprunt ne saurait suffire pour financer notre besoin de financement annuel, et d'autre part il conviendrait d'orienter cet éventuel emprunt vers des investissements publics stratégiques, afin de créer une dynamique de solidarité nationale visible qui serait tournée vers le financement des priorités du futur. Autrement, dans le contexte de défiance actuelle concernant l'état de nos finances publiques, je doute fortement que nos concitoyens prennent le risque d'investir leur épargne pour simplement financer nos déficits chroniques.

S'agissant de l'identité des détenteurs de la dette de l'État, la difficulté qu'il y a à la connaître précisément tient à ce qu'une large part des titres s'échangent sur le marché secondaire, qui est beaucoup moins traçable que ne l'est le marché primaire.

Voici quelques éléments de réponse figurant dans le rapport, à partir des enquêtes statistiques de la Banque de France et du FMI : parmi les 54,7 % d'investisseurs non-résidents, on estime à environ 20 % la part des banques centrales et des fonds souverains étrangers et à 30 % la part des autres institutions financières, comme les gestionnaires d'actifs et les fonds de pension. Pour ce qui est des 45,3 % d'investisseurs nationaux, on distingue les compagnies d'assurance françaises, pour 9,8 %, les établissements de crédit français, également pour 9,8 %, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) français, pour 1,7 % et, enfin, d'autres investisseurs français, essentiellement la Banque de France pour le compte de la BCE, pour 24,4 %.

J'ai rappelé l'importance de notre besoin de financement annuel, qui ne saurait être résolu en opposant détention de la dette par des investisseurs français et détention de la dette par des investisseurs non-résidents : compte tenu de ce besoin récurrent, nous sommes obligés de faire appel au marché international. L'exemple britannique montre que le caractère domestique de la dette ne permet pas forcément d'en réduire le coût.

Par ailleurs, nous pourrions débattre du financement de nos déficits par d'autres modes, tels qu'un grand emprunt national. Cependant, comme je l'ai déjà dit, il conviendrait alors d'y associer des perspectives pour les Français, telles que le renouvellement d'infrastructures routières ou ferroviaires. S'il ne s'agit que de remplir le grand puits de la dette, je ne suis en effet pas convaincu qu'ils souscriraient, sauf à recréer un emprunt obligatoire, c'est-à-dire un impôt, à l'instar de l'emprunt sécheresse.

Le circuit du Trésor, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, était un système de financement de la dette publique fonctionnant par la contrainte. En effet, il imposait aux institutions de déposer leur trésorerie auprès de la Banque de France, avec des émissions forcées de bons du Trésor.

Ce système de souscription forcée a été remplacé par un appel croissant au marché à partir de la fin des années 1960 et, dans les années 1980, par la création d'un véritable marché obligataire. Ainsi, pendant des années, la France a payé sa dette à des taux anormalement bas, parfois égaux à zéro. Or, aujourd'hui, les montants comme les taux sont élevés.

M. Vincent Delahaye. - Ne devrions-nous pas légiférer afin de connaître annuellement l'état de la détention de la dette française ? Quant aux détails sur le marché secondaire, ne pourrions-nous pas interroger les établissements porteurs ?

M. Thierry Cozic. - Quid de la restructuration ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Sur le marché secondaire, rien n'oblige, par exemple, les fonds souverains de la Norvège ou de Singapour à répondre à une telle demande. Le rapport précise que les motifs de mise en oeuvre de la procédure d'identification existante pour les porteurs de titres de dette d'émetteurs privés - essentiellement les obligations d'entreprises - correspondent à deux cas principaux, dont la pertinence apparaît limitée pour un émetteur souverain : d'une part, des opérations de gestion d'engagements, telles que la modification des termes et conditions d'obligations avec rachat ou échange, pour lesquelles le consentement des porteurs de titres est généralement nécessaire ; d'autre part, des opérations de marketing, notamment de préparation de présentations investisseurs.

En outre, la dette est négociable : par exemple, un fonds de pension de policiers du Texas qui consent à déclarer sa détention de dette française pourrait très bien ne plus en posséder la semaine suivante... Ainsi, ce qui est faisable sur le marché primaire de la dette est bien plus complexe pour le marché secondaire.

Quant à la restructuration, de quoi parlons-nous ? Les pays ayant fait l'objet d'une restructuration ont été mis sous tutelle, avec des mesures en recettes - lutte contre l'évasion fiscale, hausse de la TVA, etc. - et en dépenses - arrêt des subventions sur les produits alimentaires - parfois assez violentes. Il existe également des mesures de restructuration comme les abandons et les allongements, mais nous n'en sommes pas là.

Ainsi, si un pays comme la France demandait à être restructuré, je ne suis pas certain que les taux resteraient bas... Je considère donc que les propos des ministres chargés des finances et des comptes publics sont parfois irresponsables, car ils suscitent une augmentation des taux. Je rappelle que 0,1 % de 3 400 milliards d'euros représente tout de même 3,4 milliards d'euros : la charge de la dette peut donc augmenter très vite. Avant de demander une restructuration, il convient de considérer l'hypersensibilité de notre endettement, très élevé, à toute hausse de taux.

J'ai conscience de l'aspect technique du rapport et des limites de l'exercice. L'ambition n'est autre que de mieux connaître les opportunités, les contraintes et les risques associés aux différents types de détenteurs de notre dette.

M. Pascal Savoldelli, président. - Nous devons voter sur quatre recommandations.

La première, prudente, vise à poursuivre la diversification de la typologie des investisseurs et de leur origine géographique. Quant à la dernière, elle me semble intéressante, même si, malheureusement pour M. le rapporteur spécial, elle est plutôt keynésienne... Il est intéressant de mobiliser l'épargne des résidents sur des programmes spécifiques de financement. Pour ma part, je voterai le rapport.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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