N° 904
SÉNAT
2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 septembre 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la délivrance des visas,
Par Mme Nathalie GOULET et M. Rémi FÉRAUD,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
I. UNE ACTIVITÉ À LA MERCI DE LA HAUSSE DES DEMANDES
A. LA DÉLIVRANCE DES VISAS, UNE ACTIVITÉ SOUS LA DOUBLE TUTELLE DU QUAI D'ORSAY ET DE BEAUVAU...
Trois objectifs principaux s'attachent à la politique des visas : une dimension sécuritaire (limiter les menaces à l'ordre public), une dimension migratoire (encadrer les entrées sur le territoire) et une dimension d'influence et d'attractivité (attirer les profils contribuant au rayonnement de la France).
Compte tenu de cette diversité d'objectifs, depuis 2007, la compétence ministérielle sur la politique des visas est partagée entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) et le ministère de l'intérieur, même si elle incombe principalement à ce dernier.
Si ce double pilotage paraît indispensable, sa mise en oeuvre concrète est complexe : en l'absence de priorisation entre les trois objectifs de la délivrance des visas (sécuritaire, migratoire et attractivité), les services consulaires se trouvent parfois confrontés à des injonctions contradictoires.
B. ...SOUS LA PRESSION D'UNE PROGRESSION CONTINUE DES DEMANDES DE VISAS
Dans la période précédant la crise sanitaire, les demandes de visas connaissaient une progression continue et régulière chaque année. Entre 2015 et 2019, le nombre de demandes est passé de 3,6 millions à 4,3 millions de demandes, soit une augmentation de 19 % sur la période. La crise sanitaire a toutefois porté un coup d'arrêt à cette évolution, la fermeture des frontières ayant entraîné une réduction drastique des déplacements internationaux et, par conséquent, des demandes de visas de court séjour.
Consécutivement à la réouverture des frontières et à la fin des restrictions liée à l'épidémie de covid-19, la progression des demandes de visas a repris depuis 2021, avec une croissance de 289 % sur cinq ans. Toutefois, le nombre de demandes est encore sensiblement inférieur au niveau atteint en 2019. Avec 3,4 millions de demandes de visas, l'activité des services consulaires équivaut en 2024 au niveau de l'année 2014.
La France est le pays de l'espace Schengen recevant le plus de demandes de visas de court séjour
La reprise des demandes de visas est largement portée par la progression des demandes de visas de court séjour. De manière générale, ces derniers forment la très grande majorité des visas délivrés par la France (près de 90 % des visas délivrés en 2024).
Évolution des demandes de visas sur la période 2015-2024
(en nombre de visas)
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
II. UNE ACTIVITÉ « AUTOFINANCÉE » PAR LA PERCEPTION DES DROITS DE VISAS
A. LE DYNAMISME DE LA RECETTE LIÉE AUX VISAS PERMET DE COMPENSER LE COÛT CROISSANT DE L'INSTRUCTION DES DEMANDES DE VISAS
Sur le volet recettes, la demande de visa donne lieu au paiement par le demandeur de droits de visas d'un montant de 90 euros pour le droit commun et de 35 ou de 45 euros pour certaines catégories d'étrangers bénéficiant d'un tarif réduit. Cette recette non fiscale est particulièrement dynamique : elle s'élevait en 2024 à près de 261 millions d'euros, soit une progression de 19 % par rapport au niveau atteint en 2019 (219 millions d'euros). De manière insolite, une partie de son produit permet, au travers d'une affectation de produits (dans la limite de 0,75 % des recettes de l'année précédente), de financer des mois de vacation dans les services d'instruction.
Toutefois, les frais de visa ne représentent pas la totalité du coût de la demande de visa supporté par l'étranger. Le demandeur peut en effet régler, le cas échéant, des frais de services additionnels au prestataire de services extérieurs lorsque l'accueil des demandeurs et la constitution des données est externalisé.
Sur le volet dépenses, la grande majorité du coût de l'instruction des demandes de visas correspond aux dépenses de personnel liées au traitement des demandes de visa dans les services consulaires (64,41 millions d'euros en 2025). De fait, les effectifs consacrés à l'instruction des visas représentent une part sensible des personnels de l'administration consulaire (administration centrale et réseau consulaire confondus). En 2024, ce sont 26 % des 3 170 ETP inscrits sur les activités du programme 151 qui relevaient de l'activité de délivrance des visas. Au total, sur les dix dernières années, l'évolution des effectifs sous plafond consacrés à l'activité « visas » est plutôt stable, avec environ 826 ETP en 2015 contre près de 823 ETP en 2024.
Évolution des dépenses liées
à l'instruction des visas inscrites
sur le programme 151 pour
la période 2018-2025
(en millions d'euros et en crédits de paiement)
Note : À compter de la LFI 2025, les dépenses de personnel concourant à l'instruction des visas ont été transférées du programme 151 vers le programme 105 de la mission AEE.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
B. UNE DÉMARCHE ANCIENNE D'EXTERNALISATION A PERMIS DE LIMITER LA PROGRESSION DES DÉPENSES DE PERSONNEL
Depuis le début des années 2010, compte tenu de la très forte hausse des demandes de visas et dans un contexte budgétaire contraint, la France, comme plusieurs de ses partenaires européens, a choisi d'externaliser la collecte des demandes de visas et des pièces justificatives. Cette démarche visait à améliorer les conditions d'accueil des demandeurs, accélérer le traitement des demandes et maîtriser le volume de la masse salariale.
Formellement, l'externalisation de l'accueil des demandeurs de visas est neutre pour les finances publiques. Dans le cadre des marchés passés avec l'État, les prestataires de services extérieurs ne perçoivent pas de rémunération directe de la part des pouvoirs publics. Leur rémunération repose sur les frais de services additionnels acquittés par les demandeurs.
Missions liées à la
délivrance des visas pouvant ou non faire l'objet
d'une
externalisation à un prestataire de services
extérieurs
Tâches externalisables auprès d'un
prestataire |
Tâches non externalisables, obligatoirement
assurées |
- Fourniture d'informations générales sur les conditions d'obtention des visas ; - information du demandeur quant aux pièces justificatives exigées, sur la base d'une liste récapitulative ; - recueil des données et des demandes (y compris des identifiants biométriques) et transmission de la demande au consulat ou aux autorités centrales ; - perception des droits de visa ; - gestion des rendez-vous avec le demandeur, le cas échéant, au consulat ou dans les locaux du prestataire de services extérieur ; - recueil des documents de voyage, y compris la notification du refus, le cas échéant, auprès du consulat ou des autorités centrales et restitution de ceux-ci au demandeur. |
- Examen des demandes de visas ; - entretiens éventuels avec le demandeur ; - prise de décision sur la demande de visa ; - consultation du VIS ; - impression et apposition des vignettes-visas. |
Source : commission des finances d'après l'article 43 du code communautaire des visas
Au total, les prestataires de services extérieurs (PSE) conventionnés avec la France animent 147 centres d'accueils. En 2024, ils traitaient 90 % des demandes de visas reçues par la France. Plus de 2 000 agents sont mobilisés par les PSE pour l'exécution des marchés passés avec la France. Par comparaison, en 2015, le taux de traitement des demandes par les PSE était de 74 %, avec 66 centres d'accueil pour 39 postes consulaires.
III. UNE TRIPLE CONTRAINTE D'EFFICACITÉ, DE SÉCURITÉ ET D'ATTRACTIVITÉ PÈSE SUR LA DÉLIVRANCE DES VISAS
A. POURSUIVRE LA MODERNISATION DE LA DÉLIVRANCE DES VISAS
Premièrement, il importe de conserver une maitrise des délais d'instruction. Pour les demandeurs, le délai de traitement constitue l'indicateur principal de la qualité du service rendu par les services consulaires français. Sans majorer de manière excessive les coûts de traitement, reposant essentiellement sur des dépenses de personnel, ni sacrifier les exigences de sécurité, il importe de conserver une durée raisonnable de traitement des dossiers.
Déroulement de l'instruction d'une demande de visa
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Les capacités de traitement des demandes de visas par les services dépendent de plusieurs facteurs, parmi lesquels les effectifs figurent en première place, l'instruction étant limitée par la capacité individuelle des agents à traiter un stock de dossiers. Sur les postes de Casablanca et Rabat, des quotas d'instruction ont été attribués aux agents : une quarantaine de dossiers par pré-instructeur par jour et entre 80 et 85 demandes par instructeur et par jour. Des facteurs calendaires peuvent également affecter les délais de traitement des demandes. Les services consulaires connaissent ainsi des pics saisonniers, en particulier à l'été.
Deuxièmement, la démarche de regroupement des services d'instruction doit être poursuivie. La France a, en effet, effectué dans plusieurs pays un regroupement des services de visas sur un ou plusieurs sites, en fonction de la taille du réseau consulaire dans le pays hôte. Cette démarche vise à disposer de services d'instruction d'une taille suffisante pour répondre aux variations du volume de demandes.
Troisièmement, la dématérialisation des demandes de visas doit être achevée. Si la mise en oeuvre de l'application France visas, achevée en 2023, a permis de moderniser l'instruction des demandes, son interopérabilité avec les autres plateformes est insuffisante. Par ailleurs, le déploiement de la plateforme commune de demande de rendez-vous pour les demandeurs Schengen (EU-VAP) devrait constituer le principal défi technique auquel sera confronté France visas dans les années à venir.
B. LIMITER LA FRAUDE ET ACCÉLÉRER LE PAIEMENT DES FRAIS DE CONTENTIEUX
En premier lieu, si le taux de refus, tous motifs confondus, a retrouvé un niveau similaire à 2019, le nombre de refus pour fraude progresse depuis 2021 avec un doublement des décisions. La part des refus pour fraude dans le total des décisions de refus se stabilise autour de 9 % en 2024. La progression des demandes de visas, toutes catégories confondues, fait « naturellement » augmenter le nombre de dossiers frauduleux, qu'il s'agisse de fraude interne (soit la fraude par des agents des services) ou externe (soit l'ensemble des fraudes affectant directement la demande de visa comme les faux justificatifs).
De plus, la délivrance des visas par les services consulaires est fréquemment parasitée par les activités d'officines locales. En particulier, dans les pays à forte demande, ces officines organisent une captation des créneaux de rendez-vous pour le dépôt des demandes de visas auprès des prestataires de services extérieurs, afin de les revendre de manière illégale aux demandeurs.
L'activité des officines perturbe l'instruction des demandes et suscite des frustrations chez les usagers
En second lieu, la contestation des refus de demandes de visas, de court comme de long séjour, s'est imposée au cours des dernières années comme un contentieux de masse. Le nombre de condamnations de l'État a progressé de 292,25 % entre 2017 et 2024, pour atteindre 2 447 décisions en 2024. Or, si la sous-direction des visas (SDV) du ministère de l'intérieur assure le suivi du contentieux, le MEAE est responsable de l'ensemble des frais. Compte tenu des retards constatés dans le paiement des dossiers, il paraît nécessaire de clarifier la répartition des compétences entre les deux ministères.
C. CONSERVER UNE DÉMARCHE D'ATTRACTIVITÉ
Dans un contexte de concurrence accrue entre les États de l'espace Schengen, la France a tardé à se doter d'une vision claire d'attractivité permettant d'orienter sa politique de visas. Le rapport, commandé à M. Hermelin, président du conseil d'administration de Capgemini, en 2023, a permis de dégager une doctrine pour les services consulaires.
Dans le prolongement de ces travaux, les postes ont engagé une révision des procédures d'instruction des demandes de visas, par une identification des « publics cibles » (étudiants, professionnels non-salariés et « talents) puis par une accélération du traitement des demandes émanant de ces profils. Cette approche apparait complémentaire avec la dimension migratoire de la délivrance des visas : les publics cibles qui se voient proposer prioritairement des rendez-vous présentent un risque moins élevé de fraude ou de détournement de l'objet du visa.
Cette stratégie, dont la mise en oeuvre demeure inachevée, constitue à la fois un outil nécessaire d'attractivité et un mécanisme de rationalisation de l'instruction des demandes de visas. Elle gagnerait toutefois à être complétée par des actions de communication plus proactives notamment sur les conditions d'instruction des demandes et sur le caractère sélectif de la délivrance des visas.