III. AMÉLIORER LA MOBILISATION DES DISPOSITIFS DE SOUTIEN À L'INVESTISSEMENT DES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES
A. LAISSER UNE PLACE PLUS IMPORTANTE AUX COLLECTIVITÉS DANS LE PILOTAGE ET L'ORGANISATION DES CONTRATS DE CONVERGENCE ET DE TRANSFORMATION
1. Simplifier la gestion des différentes sources de financement étatique
L'une des principales sources de complexité de la gestion des CCT tient à la multiplicité des acteurs concernés. Pour rappel, dans le cas du CCT 2019-2023, au moins 18 programmes budgétaires, provenant de missions différentes, sont recensés comme source de financements pour les CCT, en plus d'agences de l'État telles que l'Office français de la biodiversité (OFB), l'Agence de l'environnement et de maitrise de l'énergie (ADEME) ou encore l'Agence nationale du sport (ANS).
D'une part, les coûts de coordination sont élevés entre les administrations financeuses. C'est la DGOM qui pilote les échanges interministériels sur les projets financés au sein de l'État central. Dans les administrations déconcentrées, de nombreuses directions sont impliquées dans le financement des CCT, ce qui rend difficile la gestion locale des fonds par le préfet, qui n'a pas la main sur l'ensemble des financements.
De plus, une telle organisation complexifie également la gestion des CCT pour les collectivités locales, en particulier pour les EPCI. Il est en effet plus difficile de suivre l'attribution de financements quand un grand nombre d'interlocuteurs est impliqué.
Enfin, une telle organisation empêche la fongibilité des financements entre les différents projets. Or certains d'entre eux s'avèrent finalement trop peu matures ou peuvent être bloqués en raison de contraintes extérieures, comme des difficultés d'acheminement de matières premières, par exemple. Pour autant, il est très difficile de transférer les fonds disponibles des CCT vers d'autres projets, sans rédiger un avenant signé par les ministères concernés et les collectivités. Un tel système est peu robuste à l'ensemble des imprévus pouvant se produire lors de la conduite des projets.
Le ministère chargé des outre-mer permet toutefois à travers la mobilisation des crédits du programme 123 d'avoir une certaine souplesse dans les projets retenus et d'accompagner ceux qui sont jugés prioritaires localement même si aucun programme spécifique n'est identifié ou si les crédits du programme initialement concernés sont insuffisants pour prendre en charge ce projet. Les crédits du programme 123 jouent dans une certaine mesure un rôle de réserve fongible pour compléter les financements de certains projets. Les montants sont toutefois largement insuffisants par rapport aux besoins.
Ainsi, il serait pertinent de créer un programme, dont le responsable serait la DGOM, sur le modèle de l'action 10 du programme 162 « Interventions territoriales de l'État », qui finance des actions interministérielles en faveur de la Guadeloupe. Un tel programme, placé au sein de la mission « Outre-mer », centraliserait une partie des financements dédiés aux CCT pour l'ensemble des territoires, ce qui permettrait une plus grande fongibilité des crédits et faciliterait la gestion administrative et financière des préfectures et des collectivités.
La nécessité d'une plus grande fongibilité entre les différents financements est également évoquée par la Cour des comptes dans le rapport20(*) précité.
Recommandation : créer un programme budgétaire, au sein de la mission « Outre-mer », regroupant une partie des actions régionales et interrégionales comprises dans les contrats de convergence et de transformation, de nature interministérielle et territorialisée (DGOM, direction du budget)
Toutefois, l'inconvénient de cette organisation est que les ministères financeurs auraient moins de contrôle sur les projets financés, alors qu'ils disposent de l'expertise technique. Afin d'éviter cet écueil, il est nécessaire de renforcer le dialogue et la coordination entre les ministères financeurs et le ministère des outre-mer
2. Renforcer la coordination entre les administrations centrales
La DGOM assure la coordination interministérielle des politiques publiques de l'État dans les territoires ultramarins, et plus spécifiquement des CCT. Dans ce cadre, les ministères financeurs rendent compte à la DGOM des objectifs poursuivis ainsi que des crédits engagés pour les opérations incluses dans les CCT.
En particulier, les responsables de programme budgétaire renseignent une maquette budgétaire spécifique aux CCT, qui est complétée par une contribution littéraire, évoquant l'avancée des projets financés sur le terrain. Toutefois, le suivi de la DGOM est encore trop souvent purement budgétaire et insuffisamment qualitatif.
Si les modalités de mise en oeuvre de la gouvernance entre la 1re et la 2e génération de CCT n'ont que peu évolué, le comité interministériel des outre-mer (CIOM) organisé en juillet 2023 a néanmoins permis de générer une dynamique positive autour de la 2e génération de CCT. En effet, les réunions interministérielles de préparation des arbitrages budgétaires ont été conduites dans le même cadre, ce qui a entrainé un engagement plus important de la part des ministères contributeurs. Une organisation plus récurrente de CIOM serait donc bienvenue.
De telles initiatives seraient particulièrement nécessaires s'il était créé un programme regroupant une grande partie des financements relatifs aux CCT, afin de mobiliser les ministères sur ces enjeux.
Recommandation : organiser plus régulièrement un comité interministériel des outre-mer afin de favoriser la mise en oeuvre d'investissements impliquant plusieurs ministères (DGOM)
Par ailleurs, afin de renforcer la coordination entre les ministères, un comité de pilotage a été mis en oeuvre. Ainsi, deux réunions de ce comité de pilotage, présidé par le directeur général des outre-mer et réunissant les administrations centrales mobilisant des cofinancements ainsi que les préfectures ou hauts commissariats ont été organisés en juin 2025, l'un pour les territoires de l'océan pacifique, l'autre pour les territoires des océans indien et atlantique. L'organisation plus fréquente de réunions entre les administrations centrales et déconcentrées est particulièrement bienvenue et doit être poursuivie.
La DGOM organise également des dialogues de gestion tous les trimestres avec les préfectures et les hauts-commissariats sur la mission « Outre-mer » et les CCT en particulier.
De nombreux interlocuteurs ministériels et locaux ont relevé l'importance de réunir l'ensemble des acteurs d'un écosystème lorsque des projets sont mis en oeuvre en outre-mer. L'exemple des financements du programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » est à cet égard parlant. L'objectif du ministère du travail est en effet de structurer des filières dans les outre-mer à travers les CCT, pour financer des offres de formation qui permettront d'alimenter un bassin d'emplois spécifique. Tant les services locaux de l'État (France travail etc.) que les collectivités et les acteurs privés doivent donc être consultés pour créer des formations adaptées.
À cette fin, les CCT constituent un outil particulièrement pertinent, puisque les préfectures et surtout les élus locaux impliqués dans la signature des contrats sont les plus à mêmes de connaitre les besoins économiques d'un territoire. Il serait donc préférable que les financements du ministère du travail en faveur des outre-mer continuent de transiter par les CCT. Un niveau élevé de coordination au niveau central d'une part, et surtout local d'autre part, est donc indispensable.
3. Réorganiser la gouvernance locale de conduite d'un projet
Au niveau territorial, la gouvernance des CCT est portée par les préfets et les hauts-commissaires. La DGOM n'entretient d'ailleurs pas de lien direct avec les acteurs financés dont les interlocuteurs naturels sont les services de l'État déconcentrés et les collectivités locales. À noter, que concernant les financements des établissements scolaires du second degré à Mayotte, la coordination des financements est exercée par le rectorat, et non par la préfecture.
Les préfets sont chargés en particulier de :
- négocier le CCT avec l'ensemble des collectivités territoriales et les partenaires financiers ;
- faire remonter les projets susceptibles d'être inscrits dans les futurs CCT tant auprès de la DGOM que des ministères financeurs ;
- arbitrer quand ils en ont la possibilité entre les projets, notamment dans le cadre du programme 123, qui est le seul à être véritablement fongible ;
- rédiger le contrat et ses annexes ;
- organiser la communication autour de ces CCT et de leurs réalisations ;
- mettre en oeuvre avec les acteurs locaux les opérations retenues au titre du CCT et rendre compte de l'état d'avancement et d'achèvement des opérations.
Des instances de comitologie locales sont ainsi prévues par chaque CCT pour structurer le suivi et l'exécution budgétaire des projets et pour permettre d'identifier les avancées et difficultés éventuelles dans leur mise en oeuvre.
Des comités de pilotage ou de programmation selon les territoires sont organisés régulièrement et a minima une à deux fois par an. Le préfet ou le haut-commissaire réunit alors l'ensemble des cofinanceurs. C'est lors de ces réunions que peuvent être ajustés certains projets afin de prendre en compte les enjeux locaux comme l'ajustement du calendrier de réalisation.
Par ailleurs, dans certains territoires comme par exemple en Guadeloupe, des comités techniques sont organisés 3 à 4 fois par an sous l'égide du service général des affaires régionales (SGAR) de la préfecture, et réunissent les autres services de l'État, les opérateurs de l'État cofinanceurs et les directeurs généraux des services des collectivités concernées par les CCT.
Pour autant, la réunion de ces instances parait encore insuffisante à nombre d'acteurs locaux. La concertation entre les acteurs doit être plus régulière, à tous les niveaux :
- en Guyane par exemple, les réunions entre le préfet, la collectivité territoriale de Guyane et les EPCI ne sont organisées qu'une fois par an, au moins dans le cadre des CCT de première génération (2019-2023). Or les maquettes budgétaires prévues dans le cadre des CCT ne correspondent parfois plus aux évolutions des projets. Il serait utile de discuter plus fréquemment la répartition des financements entre les différents acteurs ainsi que le calendrier de décaissement des crédits. Par ailleurs, le processus de sélection des projets, dans le cadre de la négociation des CCT, n'est pas suffisamment transparent pour les collectivités, en particulier concernant les critères d'évaluation de la maturité d'un projet. Des réunions plus régulières à haut niveau entre les services déconcentrés et les élus doivent être organisées pour permettre un véritable portage politique des projets, indispensable à leur avancée.
- au niveau technique, la communication entre les porteurs des projets doit également devenir plus récurrente. En Guadeloupe par exemple, dans le cadre du suivi mis en oeuvre par la cellule ingénierie de la préfecture (voir supra), des réunions mensuelles sont organisées concernant la mobilisation des financements relatifs au fonds vert et aux CCT. Ces réunions permettent un regard croisé de l'ensemble des financeurs et se sont avérées très utiles en Guadeloupe. Une telle initiative gagnerait à être étendue à l'ensemble des territoires ultramarins. Elle permettrait également d'améliorer la capacité décisionnelle des instances du plus haut niveau hiérarchique, aujourd'hui parfois bloquées par le manque de communication au niveau technique.
Par ailleurs, afin de faciliter l'organisation de telles réunions notamment au niveau technique, il serait utile qu'un chef de file soit désigné sur chaque projet dès sa sélection au sein des CCT, alors qu'actuellement ce n'est pas systématiquement le cas. Il serait également pertinent qu'un acteur soit chargé spécifiquement du suivi du décaissement des financements du programme de l'État concerné, afin d'assurer une gestion fine de l'exécution des crédits. Les préfectures ne sont en effet pas véritablement en mesure d'assurer un suivi budgétaire précis pour les programmes relevant d'autres ministères.
Recommandation : définir un chef de file clair sur chacun des projets lorsqu'ils réunissent plusieurs financeurs, et ce dès l'intégration du projet dans un financement des CCT et organiser des réunions de suivi plus récurrentes (préfectures, ministères, collectivités)
Comme le relèvent nombre d'acteurs, le dispositif de contractualisation est très lourd en termes de gestion administrative au niveau local. Les collectivités locales mettent en exergue en particulier leurs difficultés à connaitre et comprendre l'évolution des projets, qui ont souvent de multiples co-financeurs (ministères, ADEME, OFB etc.).
La communication autour des CCT est assurée par le préfet, sauf pour la signature du contrat où elle relève des directions centrales. Dans le cadre des appels à projets, la communication se fait classiquement à travers l'information de tous les partenaires locaux par un avis d'appel à projet et via une information plus standard sur les sites d'information des services de l'État déconcentrés.
Une amélioration de la communication autour des projets portés par les CCT serait nécessaire afin notamment de mieux informer les porteurs de projets des exigences des CCT (processus de sélection des projets, dépenses éligibles etc.). Selon certains acteurs, la communication autour du plan de relance avait été efficace et pourrait servir de modèle pour améliorer la communication autour des CCT.
En particulier, une amélioration des outils informatiques parait indispensable. La mise en oeuvre des CCT n'a en effet pas entraîné de développements informatiques particuliers par le ministère des Outre-mer. Le suivi des CPER, précédant les CCT, était assuré par la direction générale des collectivités locales (DGCL). La DGOM a donc dû rapidement s'adapter et a développé des suivis financiers essentiellement via des tableurs « excel ». Or un tel outil présente des inconvénients majeurs. Le risque d'erreurs est en effet important. Par ailleurs, il serait beaucoup plus efficient de développer un outil commun de gestion à l'ensemble des financeurs, y compris les collectivités, permettant de suivre en temps réel l'évolution du projet et des décaissements de crédits.
La DGOM a pour ambition de développer un tel outil, dans le cadre de la seconde génération des CCT. Après avoir dans un premier temps souhaité s'associer au logiciel informatique développé par la DGCL, nommé « SIT Territorial », elle a finalement choisi de se positionner sur une autre solution intitulée « Grist », pour des raisons techniques. Il s'agit d'un tableau partagé entre les différents utilisateurs, y compris les collectivités, qui devrait permettre de faciliter la gestion du suivi des projets des CCT.
Il pourrait être envisagé d'aller plus loin dans la rationalisation des outils informatiques utilisés dans le cadre des CCT. En particulier, un logiciel permettant le dépôt d'un dossier unique par projet sur une plateforme dématérialisée, dans le cadre notamment de la négociation des CCT, pourrait être bienvenue, dans une logique de simplification des guichets.
Globalement, une plus grande implication des collectivités locales dans le processus de mise en oeuvre des CCT est indispensable. Certains acteurs locaux ont même mentionné le caractère « dirigiste » de l'État, alors que les CCT constituent une opération contractuelle. Les élus locaux sont pourtant les mieux placés, à la fois pour identifier les besoins du terrain et pour faire avancer les projets une fois sélectionnés.
* 20 Les contrats de convergence et de transformation, Cour des comptes, juillet 2025.