B. DES NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES DE PLUS EN PLUS EXIGEANTES POUR RESPONSABILISER ENTREPRISES ET INVESTISSEURS
Malgré des normes plus nombreuses et exigeantes en matière de reporting extra-financier, qui rendent obligatoire la publication par les entreprises d'informations sur leur performance environnementale sociale et sociétale53(*), il demeure souvent difficile d'évaluer avec précision leur niveau d'engagement.
Les enjeux environnementaux ne font pas encore l'objet d'une approche suffisamment systémique, aucune transformation en profondeur et à grande échelle des manières de produire et de consommer n'ayant vu le jour.
Pour renforcer la prise en compte des enjeux de durabilité par les entreprises, l'International Sustainability Standard Board (ISSB) a publié en mars 2023 deux normes comptables (IFRS S1 et S2) entrées en vigueur l'année suivante, avec l'espoir d'une adoption par un nombre croissant de pays.
De la RSE aux normes IFRS : des exigences croissantes concernant les informations destinées aux investisseurs sur la durabilité des entreprises
La « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) fait référence à l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales dans leurs pratiques économiques. Évoquée dès les années 195054(*), elle a progressivement acquis une importance stratégique avec le développement de la mondialisation et la survenue de catastrophes industrielles et environnementales de grande envergure. Bien que non contraignante, la norme ISO 26000 développée en 2010 par l'Organisation internationale de normalisation (ISO) en définit les principes directeurs.
Il s'agit de satisfaire les intérêts non des seuls actionnaires mais de l'ensemble des acteurs concernés, y compris les consommateurs et les régulateurs.
Le sigle ESG, pour « Environmental, Social and Governance », désigne quant à lui un ensemble d'indicateurs de mesure de l'impact environnemental et social d'une organisation dont l'objectif est d'orienter la prise de décision en matière d'investissement.
Depuis sa formalisation en 2005 dans le rapport « Who Cares Wins » publié sous l'égide de l'ONU, une pluralité d'initiatives et de principes structurants ont vu le jour pour définir les modalités de prise en compte des facteurs ESG dans les pratiques et la communication des entreprises et favoriser l'essor de l'investissement dit socialement responsable (ISR).
De manière plus ambitieuse, les normes IFRS55(*) développées par l'« International Accounting Standards Board » (IASB), organe international de droit privé créé en 2001, tendent à harmoniser les pratiques comptables à l'échelle mondiale pour garantir la transparence et la comparabilité des états financiers des grandes entreprises. À ce jour, plus de 140 parties ont adopté ce cadre de référence, parmi lesquels l'Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie, le Japon, le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud ou encore l'Indonésie.
Initialement centré sur la finance, ce référentiel a été enrichi pour intégrer les enjeux d'ESG. Avec la création en 2021 de l'« International Sustainability Standards Board » (ISSB), le développement de normes internationales de « reporting » de durabilité (IFRS Sustainability Standards) a franchi un pas supplémentaire. La norme IFRS S2 entrée en vigueur en 2024 invite par exemple les entreprises à mesurer leurs émissions de gaz à effet de serre selon les trois « scopes »56(*) définis par le « Greenhouse Gas Protocol » et à en informer les investisseurs. Cette exigence vise à fournir une image complète de l'empreinte carbone de l'entreprise, en tenant compte de l'ensemble du cycle de vie des produits, et à favoriser les modèles économiques résilients.
Cette approche reproche sur le principe d'une matérialité financière élargie : les états financiers doivent prendre en compte la façon dont les facteurs influençant la durabilité (climat, réglementation sur le carbone, attentes sociales, etc.) affectent la valeur de l'entreprise. Les externalités, positives et négatives, sont directement intégrées dans la valeur économique plutôt que d'être traitées dans de simples annexes des rapports de RSE.
Une quarantaine de pays ont adopté ce référentiel, dont la Chine, le Brésil et l'Indonésie.
Pour le Président de l'ISSB, Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone, ces normes « doivent permettre de rendre les externalités tangibles » et contribuer à un « changement systémique ». Il s'agit de sortir d'une « vision ridiculement étroite de l'économie », trop simplement « mécaniciste », et de changer d'échelle car « nous sommes totalement aveugles à l'égard des services que les écosystèmes nous rendent ».
Dans le même temps, le référentiel proposé par l'ISSB se fonde sur une approche très réaliste : pour Emmanuel Faber, « le langage comptable va être de plus en plus prégnant dans les éléments de compétitivité ».
Les pays sont engagés dans une course à la compétitivité écologique et environnementale, non sur le fondement des valeurs morales, mais parce qu'il y va de la valeur économique.
« Nous devons, nous allons passer d'une économie extractive et prédatrice du vivant dont on voit les limites et les fragilités, à une économie régénératrice du vivant, et donc forcément plus résiliente, j'irais même jusqu'à dire plus vivante. Et ceci, non pas par vertu, mais par réalisme et par opportunité, parce que c'est nécessaire pour continuer à progresser, en tant qu'humanité, en tant que civilisation, pays, communautés, personnes. »
Emmanuel Faber, Ouvrir une voie, 2022
* 53 De la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001 et la déclaration de performance extra-financière (DPEF) entrée en vigueur en 2017 au rapport de durabilité extra-financière prévue par la directive CSRD (« Corporate Sustainability Reporting Directive ») du 14 décembre 2024.
* 54 Howard Bowen, « Social Responsibilities of the Businessman », 1953 ; George Goydern, « The Responsible Company », 1961.
* 55 International Financial Reporting Standards (IFRS).
* 56 Scope 1 : émissions directes provenant des activités de l'entreprise. Scope 2 : émissions indirectes liées à la consommation d'électricité, de chaleur ou de vapeur achetée. Scope 3 : autres émissions indirectes, résultant des activités de l'entreprise, mais provenant de sources qui ne lui appartiennent pas ou ne sont pas contrôlées par elle.