III. LE SCÉNARIO DE LA SOBRIÉTÉ CHOISIE

Dans ce scénario, les sociétés, sévèrement touchées par les crises climatiques, économiques et sociales, ont décidé de rompre avec l'obsession de la croissance infinie. Sans rejeter a priori la croissance économique, elles ont fait le choix de valoriser le bien-être et la résilience à l'échelle collective, plutôt que la compétition entre individus et la recherche de la performance.

Face aux velléités des grandes firmes technologiques, certains États ont inscrit dans leur Constitution l'obligation d'assurer le respect des « neuro-droits », en particulier ceux des jeunes, et la protection de l'intégrité cérébrale.

Le PIB, longtemps utilisé comme l'indicateur de référence pour évaluer la prospérité d'une nation, a progressivement perdu de son importance.

De nouveaux instruments ont été adoptés à l'échelle internationale et sont mis en oeuvre par la majorité des États. Il s'agit d'indicateurs composites permettant de mesurer le bien-être et la qualité de vie à travers la mesure de la santé humaine et de celle des écosystèmes, de l'accès au temps libre, de la vitalité des relations sociales, ainsi que de l'empreinte écologique. Il s'agit de s'assurer que les modes de vie restent dans les limites planétaires et compatibles avec une vie saine pour les générations à venir.

La transition économique vers la sobriété a été organisée. Certains secteurs ou activités jugés destructeurs ou superflus (aviation de masse, publicité agressive, extraction intensive) ont été volontairement réduits, tandis que d'autres (agriculture durable, artisanat, énergies renouvelables) ont reçu un soutien renforcé. La consommation de biens matériels a été réduite drastiquement.

À l'échelle individuelle, des quotas ont été mis en place pour les déplacements liés au tourisme et pour un usage plus raisonné des technologies numériques.

Des standards comptables, universellement applicables, ont été adoptés par les autorités internationales et nationales. En raison d'une faible crédibilité des rapports de RSE et de la complexité des informations y figurant, la comptabilité socio-environnementale a été généralisée, d'abord sur une base expérimentale, puis avec le soutien des pouvoirs publics. Elle est désormais obligatoire.

Parallèlement, les pouvoirs publics utilisent les résultats comptables des entreprises pour mieux orienter leurs politiques, en particulier l'octroi d'aides publiques qui se fait désormais en fonction de critères relatifs à la préservation de l'environnement et la santé des salariés.

L'économie s'oriente vers des modèles circulaires et coopératifs, où la réparation, le réemploi et le partage répondent à des valeurs de sobriété et de résilience. Les coopératives locales et les structures d'économie sociale et solidaire deviennent la norme plutôt que l'exception. Les systèmes d'obsolescence programmée sont durement réprimés. Lorsque la balance coûts-bénéfices est favorable, l'intelligence artificielle est utilisée pour renforcer l'efficacité des modèles d'économie circulaire et la logistique des chaînes de valeur locales. La mutualisation des ressources a permis de réduire les inégalités.

Le temps de travail est réduit afin de mieux répartir l'activité et libérer du temps pour la vie personnelle, le bénévolat, la culture et la participation citoyenne. Les métiers du soin au sens large (éducation, santé, accompagnement social, entretien des milieux naturels) sont revalorisés au double plan économique et symbolique.

Mais cette sobriété, même choisie, ne va pas sans obstacles. La sortie du paradigme de la croissance a fragilisé les sociétés en les soumettant à des chocs économiques et sociaux, notamment dans les secteurs qui résistent à leur contraction.

L'acceptabilité sociale reste fragile : certains perçoivent la modération volontaire comme une perte de confort et souhaitent revenir en arrière. Les élites économiques et financières, attachées à l'ancien modèle, freinent les réformes ou cherchent à les contourner.

Ces tensions obligent à inventer de nouvelles formes de gouvernance démocratique, capables de maintenir le cap malgré les résistances, et d'envisager une profonde réforme des systèmes sociaux pour assurer à chacun un socle universel (revenu de base, sécurité alimentaire, santé).

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