CINQUIÈME PARTIE
TROIS GRANDES ORIENTATIONS DES POLITIQUES PUBLIQUES POUR PLACER LA SANTÉ DU VIVANT AU CoeUR DE LA VALEUR ÉCONOMIQUE

Afin d'accompagner la transition vers la post-croissance, trois grandes orientations se dessinent, qui placent la santé du vivant, entendue dans une acception holistique selon le paradigme « One Health », au coeur des logiques de création de valeur.

I. UN NOUVEAU NARRATIF POUR FAIRE ÉVOLUER NOS MANIÈRES DE PENSER ET D'AGIR

L'ampleur des bouleversements des prochaines décennies impose une rupture dans nos manières de considérer les notions de création de valeur, de richesse, de performance et de croissance. Il s'agit de revenir au sens premier de l'économie et de proposer un récit nouveau, qui puisse mobiliser à partir d'une autre échelle de valeurs.

A. REVENIR AU SENS PREMIER DE L'ÉCONOMIE

Dépasser le prisme actuel implique de refaire de l'économie au sens étymologique de la discipline : du grec ancien « oikonomia », le mot économie signifie littéralement l'art de bien gérer la maison commune63(*), c'est-à-dire l'unité de base de la vie collective (le foyer, ses ressources, ses relations humaines).

Revenir à l'étymologie, c'est ainsi se souvenir que l'économie ne devrait pas être une science abstraite des marchés ou de la croissance, mais une pratique éthique et politique : comment bien gérer les ressources ? comment garantir la subsistance de tous ? comment vivre ensemble dans un espace commun ?

L'enjeu est de revenir à une économie politique qui met en débat les valeurs et les choix politiques en posant la question des finalités, de repolitiser les décisions économiques pour une gestion éthique des biens communs. Pour reprendre les termes du philosophe Jérôme Batout, il s'agit de « cesser de déléguer à l'économie ce rôle de pivot de l'organisation des valeurs dans une société » pour privilégier une « vision enracinée de l'économie dans la politique ».

B. RÉINVENTER UN HORIZON COMMUN AVEC UN RÉCIT FÉDÉRATEUR ET UNE OUVERTURE DE L'ÉVENTAIL DES VALEURS POUR UNE APPROCHE HOLISTIQUE

La vitesse de la transition exigée pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et répondre aux crises écologiques est sans précédent.

Comment favoriser l'acceptabilité sociale des changements dans un contexte où, malgré les efforts consentis et bien que ceux-ci soient nécessaires, ils pourront sembler vains dès lors que les effets du changement climatique seront toujours ressentis en 2050 et au-delà ?

Ces efforts doivent être appréciés au regard d'autres considérations que celles des seules priorités écologiques.

Mobiliser autour de la santé du vivant - celle des êtres humains actuels et futurs, celle des écosystèmes - et de la solidarité envers les générations à venir pourrait amorcer le changement de perspective et donner envie d'évoluer dans les manières de produire, de consommer et d'agir.

« Ultimement, la transition ne sera pas seulement un effort d'adaptation à une contrainte, mais un processus générateur d'externalités positives, en termes de compétitivité et de création d'emplois dans des secteurs d'avenir, mais aussi en termes de santé publique et de qualité de vie. »

Impact France, réponse au questionnaire des rapporteurs, juin 2025

Il s'agit de fédérer autour d'un nouveau récit, ancré dans le long terme et fondé sur un rapport plus étroit au vivant et une conscience accrue des valeurs de la transmission.

Cette réappropriation des valeurs implique d'abandonner la vision de croissance extravertie pour se tourner vers un objectif de gestion équilibrée des ressources naturelles, de ne plus forcer l'environnement à entrer dans le marché mais de replacer l'économie au sein de la biosphère.

Il s'agit d'une réorientation qui renvoie à bien plus qu'à une simple réforme technique : elle suppose une transformation culturelle, éthique et politique. Redéfinir les finalités économiques, c'est aussi redéfinir ce que nous entendons par progrès, une notion à la croisée de considérations portant sur notre civilisation, notre santé ou l'espérance de vie.

L'économie, ainsi resituée dans le cadre plus large de la nature et du vivant, doit alors retrouver sa fonction première : organiser les conditions d'une existence collective soutenable, où la valeur ne se réduit pas au prix, mais s'enracine dans la volonté d'une continuité du vivant.

« Passer de la transformation de la nature à la transformation des relations de l'humanité à la nature. »

Catherine Aubertin, IPBES, 202264(*)

Ce nouvel horizon implique pour les pouvoirs publics la fixation d'objectifs collectifs clairs, stables et partagés, une relation de confiance avec les acteurs économiques, au premier rang desquels les entreprises, et surtout une vision claire de la répartition de l'effort à consentir. Il impose une réflexion sur le caractère stratégique de certaines productions (alimentation, énergie, mobilités, santé, industries clés).

À l'échelle des entreprises, dans un pays comme la France qui importe l'intégralité de ses énergies primaires non renouvelables, la sobriété peut être rendue désirable par la mise en avant des gains sanitaires mais aussi économiques ou budgétaires.

La sobriété, un triple bénéfice pour les entreprises

Source : Entreprises pour l'environnement (EpE), « La sobriété, nouveau moteur de transformation des entreprises », 5 juin 2025


* 63 « oikos » pour la maison, le foyer, et « nomos » pour la règle, l'administration, la gestion.

* 64 Catherine Aubertin, « Valorisation de la nature et outils comptables : des leviers au service de la biodiversité », Publications Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, juillet 2022 : https://hal.science/hal-04273929/document.

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