II. UNE RÉVISION DES OUTILS ÉCONOMIQUES ET MÉTHODOLOGIES COMPTABLES POUR DÉCIDER EN CONNAISSANCE DE CAUSE
Pour enrichir le débat public et retrouver le sens des limites, adapter les outils économiques et comptables en y intégrant les coûts environnementaux apparaît indispensable.
A. ADAPTER LA COMPTABILITÉ NATIONALE ET LE PIB
La réflexion sur la valorisation du capital naturel permet des avancées conceptuelles intéressantes pour une adaptation de la comptabilité nationale.
Davantage qu'un abandon du PIB, elle laisse entrevoir la possibilité d'adapter cet indicateur pour y intégrer une mesure corrigée des effets de l'activité sur l'environnement ou la santé du vivant au sens large.
« L'abandon d'un outil qui a fait ses preuves pendant des décennies ne peut se faire du jour au lendemain. Mais son incomplétude, son caractère limité, son obsolescence par rapport aux enjeux écologiques sont reconnus par l'ensemble de la communauté des économistes. Aucun indicateur synthétique ne doit s'y substituer parce que les enjeux qui sont les nôtres aujourd'hui (sociaux, écologiques...) ne peuvent pas être agrégés. »
Éric Vidalenc, réponse au questionnaire des rapporteurs, 2025
La référence à un PIB ajusté permettrait une représentation des enjeux plus fidèle à la réalité et de mieux orienter l'action publique.
B. MOBILISER À CÔTÉ D'UN PIB AJUSTÉ DES INDICATEURS DE RÉSILIENCE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE
Pour donner une vision plus complète du progrès et aller au-delà du PIB, la réflexion doit se poursuivre sur la mise en place d'indicateurs non strictement monétaires, qui pourraient faire l'objet d'un suivi périodique.
Un nombre limité d'indicateurs de « résilience écologique et sociale » pourraient par exemple être employés de façon complémentaire au PIB, tels des indices de santé sociale, déclinés par région, ou d'empreinte écologique.
Un effort de normalisation et l'accès à des données régulièrement mises à jour seraient indispensables.
C. RÉFLÉCHIR À UNE PLUS GRANDE DIFFUSION DE LA COMPTABILITÉ SOCIO-ENVIRONNEMENTALE
À l'échelle microéconomique, une plus large diffusion de la comptabilité socio-environnementale doit être envisagée.
Complémentaire des actions de « reporting », elle permet d'objectiver les démarches entreprises en application des obligations de RSE mais aussi de susciter un changement de modèle.
La méthode CARE, dans laquelle est pris en compte le coût des actions de préservation des capitaux naturel et humain, apparaît particulièrement aboutie65(*).
Son déploiement implique cependant de lever plusieurs freins :
- il suppose de changer de manière radicale notre vision de la nature et des êtres humains dans l'économie pour ne pas se limiter à une approche instrumentale ;
- il dépend de la capacité à fournir des données scientifiques pertinentes par l'intermédiaire d'experts ou d'instances compétentes, et à mettre au point des nomenclatures pour la production des données, par exemple celles nécessaires à la définition et au suivi des « bons états écologiques des écosystèmes »66(*) ;
- il implique également de bien comprendre le sens de la comptabilité socio-environnementale, qui ne joue pas un simple rôle de reporting et de transparence des données, mais d'accompagnement et de structuration de la gestion des organisations dans un objectif de « durabilité » ;
- enfin, il doit être pleinement soutenu, financièrement et politiquement, y compris au plan international, ce qui n'est pas toujours aisé en raison de la technicité du sujet et de l'existence de différentes conceptions de ce type de comptabilité.
Il conviendra également de s'interroger sur sa place dans les écoles de formation en économie et gestion, où elle n'est pour le moment pas enseignée.
« À ce stade, il est nécessaire de rappeler que le déploiement des systèmes comptables “classiques” (quel que soit leur type) a toujours été un phénomène complexe, tant les changements comptables entraînent des modifications en profondeur du fonctionnement des organisations et de l'économie.
D'un point de vue stratégique, il semble exister un réel intérêt à pouvoir assumer à l'international un positionnement sur ces questions, centrales au développement de l'économie de demain. »
Alexandre Rambaud, réponse au questionnaire des rapporteurs, 2025
Les collectivités territoriales pourraient jouer un rôle d'exemplarité en favorisant le déploiement de ces comptabilités dans les organismes publics.
Cette évolution contribuerait à mettre en oeuvre une approche de l'adaptation aux limites planétaires par territoire mais aussi de valoriser l'ancrage des entreprises dans leur territoire.
* 65 Rapport d'information n° 87 (2023-2024) de MM. Laurent Burgoa, Pascal Martin et Guy Benarroche, fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité, déposé le 9 novembre 2023. Dans ce rapport, CARE est identifié comme la méthode comptable socio-environnementale « la plus robuste ». En 2018, sa pertinence avait déjà été relevée par le rapport Notat-Sénard de 2018, L'entreprise, objet d'intérêt collectif.
Alexandre Rambaud souligne que CARE est mis en oeuvre dans plusieurs organisations publiques (Grand Port Maritime de La Rochelle, CNAM, Domaine de Chaalis, etc.) et fait l'objet d'une attention particulière de la part du Conseil de normalisation des comptes publics. Ce modèle voit également son intérêt reconnu par plusieurs institutions (OCDE, Ademe, AFD, CESE) et continue de faire l'objet de projets de recherche.
* 66 À titre d'exemple, la prise en compte du climat dans la méthode CARE oblige l'organisation concernée à déterminer un budget carbone. Or les méthodologies actuelles pour mettre en oeuvre un budget carbone restent peu développées. De plus, il n'existe pas de référentiels partagés sur les méthodologies disponibles et reconnues.