III. UNE ADAPTATION DES INSTANCES DE GOUVERNANCE POUR MIEUX INTÉGRER LE TEMPS LONG ET LES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX
A. FAIRE ÉVOLUER LES INSTANCES DE GOUVERNANCE INTERNATIONALE POUR LEUR CONFIER LA MISE EN oeUVRE D'ÉVALUATIONS ANNUELLES DE LA SOLVABILITÉ PLANÉTAIRE
L'adaptation de notre modèle économique dans le sens d'une plus grande résilience ne peut se concevoir sans le partage, à l'échelle internationale, d'une culture du risque et d'outils opérationnels plus adaptés.
C'est le sens des préconisations émises dans le rapport de l'École d'actuariat britannique. Celui-ci part du constat selon lequel la gestion des risques environnementaux impliquera la mise en oeuvre de politiques publiques plus proactives, avec des institutions dédiées, des objectifs clairs et des évaluations régulières.
Les propositions formulées par l'IFoA en faveur d'évaluations annuelles des risques de solvabilité planétaire par des instances dédiées67(*)
1. Informer chaque année le Conseil de sécurité de l'ONU du risque d'insolvabilité planétaire dans le cadre d'évaluations s'appuyant sur une définition de la résilience.
2. Créer une fonction de responsable de la mise en oeuvre des évaluations de la solvabilité planétaire au sein d'une instance comme le FMI ou l'OCDE.
3. Nommer des responsables du risque systémique aux niveaux supranational, national et infranational afin de développer les outils de de gestion du risque.
L'IFoA invite les gouvernements et les institutions financières à renoncer aux arbitrages à court terme pour privilégier la préservation de la liberté de choix et le bien-être des générations futures.
Elle préconise le recours à un tableau de bord de la solvabilité planétaire, incluant des indicateurs de solvabilité naturelle, sociale et économique, inspiré des pratiques actuarielles et des bilans financiers, mais appliqué à l'environnement.
Pour l'IFoA, ces évaluations fourniraient des informations claires pour les décideurs, afin d'orienter les politiques publiques selon les limites planétaires. Elles fourniraient une base sur laquelle fonder des trajectoires nationales déclinant les limites planétaires en objectifs sectoriels et temporels.
B. RÉFORMER L'ENVIRONNEMENT EUROPÉEN
La nécessité pour l'Europe de créer une zone plus intégrée pour sa politique industrielle est bien identifiée, en particulier par le rapport dit « Draghi » sur l'avenir de la compétitivité européenne68(*).
L'enjeu est de réussir à mobiliser des moyens financiers publics et privés plus massifs afin de stimuler l'investissement et l'innovation dans les technologies d'avenir.
« Cette démarche scientifique est exactement ce qu'il faut pousser à l'échelle européenne : d'une part, une évolution de la science en lien direct avec l'intérêt de l'économie, d'autre part, une économie qui rémunère la science pour développer des analyses de plus en plus pertinentes. L'Europe l'a pressenti avec la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive). Toutefois, pour rentabiliser l'effort demandé, il fallait unifier les marchés de capitaux européens.
Le CSRD est l'élément central qui permet à l'Europe d'être en avance, grâce à l'identification des actifs [...] extramonétaires. Tous les détenteurs de capitaux dans le monde cherchent des investissements hors monnaie. De fait investir dans la réduction du risque d'incendie crée de la valeur, quelle que soit l'évolution du dollar ou de l'euro. »
Philippe Dessertine, audition par la délégation à la prospective, 24 juin 2025
Outre un accompagnement par des politiques claires et stables dans le temps, de nouveaux mécanismes de financement doivent être envisagés, le préalable étant l'unification du marché des capitaux.
En attendant, le renforcement de la législation extra-financière permettra d'accompagner les efforts d'adaptation vers des pratiques plus durables et à faire émerger un modèle de compétitivité davantage fondé sur la qualité sociale et environnementale des produits et des services.
La mise en oeuvre de la directrice CSRD doit permettre de hisser la qualité de l'information extra-financière au niveau de celle de l'information financière. Investisseurs, régulateurs et pouvoirs publics devront s'appuyer sur ces données plus précises, complètes et comparables pour orienter les flux financiers et les politiques publiques. Dans une approche sectorielle, ces obligations pourraient être employées comme un instrument de modulation des aides publiques et de la fiscalité.
Pour protéger les entreprises, la réflexion relative à l'extraterritorialité de certaines normes et à l'intégration de clauses miroirs dans les accords commerciaux doit par ailleurs se poursuivre. Le travail de négociation pour harmoniser les prix du carbone à l'échelle internationale et renforcer les obligations de transparence en matière de teneur en carbone des produits importés doit se poursuivre.
Plus généralement, il est nécessaire de lutter contre l'imprévisibilité réglementaire au moment où un horizon de planification de long terme est devenu primordial.
« Les valeurs fondamentales de l'Europe sont la prospérité, l'équité, la liberté, la paix et la démocratie dans un environnement durable. L'UE existe afin de garantir que les Européens puissent toujours bénéficier de ces droits fondamentaux. Si l'Europe ne peut plus garantir ces droits à ses citoyens - ou si elle se voit contrainte de les hiérarchiser -, elle aura perdu sa raison d'être. La seule façon pour l'Europe de relever ce défi est de croître et de devenir plus productive, tout en préservant ses valeurs d'équité et d'inclusion sociale. Et pour devenir plus productive, l'Europe n'a qu'une solution : changer radicalement. »
Mario Draghi, L'avenir de la compétitivité européenne, partie A, septembre 2024
Les perspectives ouvertes par le rapport de Mario
Draghi sur l'avenir de la compétitivité
européenne
(septembre 2024)
Le rapport souligne le net décrochage économique de l'Union européenne par rapport aux États-Unis et à la Chine. Il déplore le faible niveau d'innovation européen, l'insuffisance des investissements dans les technologies de rupture, la fragmentation du marché unique, le coût élevé de l'énergie, le haut niveau de dépendance de l'UE pour son accès aux matières premières et aux technologies ainsi que les vulnérabilités de ses capacités industrielles de défense.
Pour remédier à ces faiblesses, Mario Draghi évalue les besoins d'investissements de l'UE à 750 à 800 milliards d'euros par an. Il formule 170 propositions, parmi lesquelles :
- une accélération de l'innovation par la mise en place d'une Union de la recherche et de l'innovation, un investissement massif dans la transition énergétique et la décarbonation, le renforcement du programme-cadre pour la recherche et le développement technologique, et la création d'une agence européenne pour l'innovation de rupture ;
- un investissement significatif dans l'intelligence artificielle dans les secteurs stratégiques, dont l'automobile, l'énergie ou encore la santé ;
- la création d'un nouveau statut d'« entreprise européenne innovante » et l'unification du droit des sociétés pour favoriser la croissance des start-up ;
- la finalisation de l'Union des marchés de capitaux (Capital Markets Union) pour mobiliser davantage de capitaux privés et mieux orienter l'épargne européenne, ainsi que le lancement d'un endettement commun pour faciliter le financement de l'innovation ;
- un allègement du cadre réglementaire européen, avec la nomination d'un vice-président de la Commission chargé de la simplification administrative ;
- un renforcement de la souveraineté énergétique par une diversification des approvisionnements, un renforcement des achats conjoints ou encore une uniformisation de la taxation du secteur de l'énergie ainsi que la création d'une plateforme visant à sécuriser l'accès aux matières premières critiques en coordonnant la négociation d'achats conjoints ;
- la création d'un marché unique pour les déchets et le recyclage, avec pour objectif la capacité pour l'UE en 2050 d'assurer plus de la moitié, voire les trois quarts, de ses besoins en métaux pour les technologies propres ;
- ou encore une réforme du fonctionnement des institutions, avec la généralisation du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil afin d'éviter les blocages en cas de veto d'un seul État membre.
* 67 Institute and Faculty of Actuaries (IFoA), Planetary Solvency - finding our balance with nature, janvier 2025 : https://actuaries.org.uk/news-and-media-releases/news-articles/2025/jan/16-jan-25-planetary-solvency-finding-our-balance-with-nature/.
* 68 Mario Draghi, L'avenir de la compétitivité européenne, Une stratégie de compétitivité pour l'Europe, septembre 2024.