II. LA CROISSANCE, QUI A PERMIS UNE AMÉLIORATION GÉNÉRALISÉE DES CONDITIONS DE VIE, A JOUÉ UN RÔLE DE CIMENT SOCIAL PENDANT PLUSIEURS DÉCENNIES

A. LA VALORISATION DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE : GAGE DE L'AMÉLIORATION GÉNÉRALISÉE DES CONDITIONS DE VIE

Dès les années 1930, la valorisation de la croissance comme moteur de progrès généralisé conduisait John Maynard Keynes à imaginer un décuplement du niveau de vie dans les pays développés dans le siècle à venir et à envisager que l'humanité puisse à ce terme être libérée de toute nécessité économique après avoir atteint un « point terminal d'abondance »7(*).

« Pour la première fois depuis son apparition, l'homme sera confronté à son problème véritable et éternel : comment utiliser sa liberté, une fois résolus les soucis économiques pressants ? »

John Maynard Keynes, Possibilités économiques pour nos petits enfants, 19308(*)

La prospérité, fondée sur un renouvellement technologique continuel et une croissance économique plus rapide que la croissance démographique, a permis l'élévation du niveau de vie, la réduction de la pauvreté, l'allongement de l'espérance de vie et, plus globalement, une amélioration concrète des conditions de vie pour une large partie de la population dans les pays industrialisés. La croissance du revenu par tête s'est imposée comme un indicateur central de la prospérité.

Un siècle après Keynes, la croissance économique continue d'être valorisée non dans l'objectif ultime d'atteindre un état stationnaire d'abondance mais comme un outil indispensable pour garantir le bien-être collectif et une condition dont découlent toutes les autres : pour le ministère de l'économie et des finances français, « la croissance est la quête perpétuelle des politiques économiques »9(*).

B. LA VALEUR ÉCONOMIQUE : AGENT PACIFICATEUR DANS UNE SOCIÉTÉ DEVENUE PLUS HÉTÉRONOME

En tournant les sociétés vers la recherche de croissance, de productivité, de consommation et un objectif commun de prospérité matérielle, la valeur économique a joué après-guerre un rôle unificateur et stabilisateur dans les démocraties : elle est apparue comme un terrain d'entente possible avec pour horizon commun la reconstruction.

« Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, nous avions des niveaux d'augmentation de notre PIB par la productivité dix fois plus élevés, avec des augmentations de 5 à 6 % par an. Cela a permis de réaliser de nombreux changements structurels qui sont passés inaperçus, notamment la réduction du temps de travail et l'investissement. »

Antonin Bergeaud, audition par la délégation à la prospective, 27 mai 2025

Parallèlement, comme le soulignent Emmanuel Constantin et Jérôme Batout10(*), la place prise par la valeur économique a fait glisser la société vers un fonctionnement plus hétéronome, où les finalités collectives tendent à résulter de logiques de gestion et d'optimisation davantage que de délibérations morales et collectives et où la politique économique a progressivement supplanté l'économie politique par une dévitalisation du débat politique.


* 7 Op. cit.

* 8 John Maynard Keynes, La Vertu et le Bonheur, suivi de Possibilités économiques pour nos petits-enfants, Les Belles Lettres, 2021. Cité par Jérôme Batout (op. cit.).

* 9  https://www.economie.gouv.fr/facileco/culture-economique/les-grands-principes-economiques/la-croissance.

* 10 Audition par la délégation à la prospective le 8 avril 2025. Voir aussi leur article « Croissance, crise et dépérissement de la politique », Le Débat, n° 182, 2014.

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