DEUXIÈME PARTIE
LA
FORTE ÉROSION DU LIEN ENTRE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET
PROGRÈS HUMAIN INTERROGE SUR CE QUE NOUS SOUHAITONS
RÉELLEMENT VALORISER DANS NOTRE ÉCONOMIE
I. DES RUPTURES PLANÉTAIRES QUI NOUS FONT PAYER « LES ADDITIONS DE NOS ADDICTIONS »
A. 2050 : UNE NOUVELLE GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE OÙ LA VALEUR ENVIRONNEMENTALE DES ACTIFS SERA TRÈS CONVOITÉE
En l'espace de trente ans, la Chine s'est imposée comme la deuxième économie mondiale en termes de PIB. Sous réserve des nombreuses incertitudes économiques et géopolitiques et de certaines vulnérabilités (dette, crise immobilière, démographie), les projections économiques tendent à indiquer qu'elle pourrait dépasser largement les États-Unis en 2050, avec, selon le CEPII13(*), un PIB économique 44 % plus élevé.
Cette trajectoire reposerait sur une croissance ralentie mais constante, la conservation d'une forte base industrielle et une domination en parité de pouvoir d'achat. La politique d'accompagnement des entreprises technologiques chinoises (plan Made In China 2025) fait de la Chine le principal concurrent de la puissance américaine dans le domaine des hautes technologies, de l'intelligence artificielle et pour l'accès à l'énergie et aux matières premières, avec une attention particulière portée à l'environnement et la décarbonation dans le cadre de ce que certains qualifient de « projet civilisationnel ».
À l'horizon 2050, l'accentuation de la rivalité sino-américaine aurait redessiné la géographie économique, marquée par un recul de la place de l'Europe dans le monde. L'Inde pourrait avoir pris la troisième place mondiale (quatrième si l'on prend l'UE dans son ensemble), avec un PIB trois fois supérieur à celui du Royaume-Uni. L'accès aux ressources rares et la performance environnementale procureraient un avantage compétitif dans une économie où la valeur environnementale des actifs deviendra une valeur très convoitée.
« Nous entrons, en cette ère d'hyperinnovation, dans une logique où la valeur économique réside de plus en plus dans la valeur des actifs, valeur qui se comprend “en négatif” pour une entreprise qui, par exemple, fonctionnerait de façon non conforme à nos critères moraux. [...]
Lorsque nous changeons de modèle, nous avons besoin de créer des actifs, comme ceux qui permettent d'améliorer la gestion de l'eau, la qualité de l'air, la biodiversité, qui sont des éléments non monnayables, mais ont pourtant une réelle valeur économique. [...] La notion de valeur au sens strict est probablement dépassée. Nous sommes obligés d'intégrer d'autres valeurs que celle des flux, qui reste trop souvent en économie la valeur de référence.
Philippe Dessertine, audition par la délégation à la prospective, 24 juin 2025
Dans une économie toujours financiarisée, ultra-numérisée et immatérielle, fortement interdépendante, certaines régions du monde pourraient continuer de raisonner selon des logiques de valeurs très différentes des valeurs européennes, lesquelles pourraient être de plus en plus difficiles à défendre, tandis que le besoin de protection des populations serait croissant.
* 13 La lettre du CEPII, « Horizon 2050 : où la dynamique actuelle mène-t-elle l'économie mondiale ? », n° 421, octobre-novembre 2021.