B. UN VIEILLISSEMENT DÉMOGRAPHIQUE MONDIAL QUI BOULEVERSE LA NOTION DE VALEUR ÉCONOMIQUE ET MET EN TENSION LES MODÈLES ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

Les dernières projections démographiques de l'ONU14(*) indiquent que la population mondiale va poursuivre sa croissance pendant 50 à 60 ans, pour passer de 8,2 à 10,3 milliards d'habitants en 2080, avant d'entamer une baisse progressive au tournant du siècle. La population de l'Afrique subsaharienne devrait doubler d'ici 2050. L'Inde, qui compte aujourd'hui 1,4 milliard d'habitants, restera le pays le plus peuplé du monde, devant la Chine.

Dans une centaine de pays, la population en âge de travailler (20-64 ans) va croître jusqu'en 2054, laissant entrevoir pour ceux-ci un « dividende démographique » sous réserve d'un investissement dans l'éducation, la santé et les infrastructures.

La part de quelques régions et pays dans la population mondiale et le poids des jeunes dans leur population en 2020, 2050 et 2100

Source : https://www.diploweb.com/Graphique-La-part-de-quelques-regions-et-pays-dans-la-population-mondiale-et-le-poids-des-jeunes.html

Globalement cependant, en raison de l'espérance de vie croissante15(*) et de la baisse des niveaux de fécondité, la population mondiale vieillit. D'ores et déjà, un habitant sur quatre dans le monde réside dans un pays dont la démographie décline.

En 2018, pour la première fois dans l'histoire du monde, les personnes âgées de 65 ans ou plus étaient plus nombreuses que les enfants de moins de 5 ans. Dès les années 2030, les personnes âgées de plus de 80 ans seront plus nombreuses que les enfants de moins d'un an. En 2080, elles seront plus nombreuses que les moins de 18 ans.

Comme l'affirme Philippe Dessertine, « une population humaine de plus en plus âgée entraînera une évolution forte de la manière de penser le système économique et la valeur des différents actifs économiques ; cela a déjà commencé »16(*).

La proportion décroissante de la population en âge de travailler exercera une pression grandissante sur les systèmes de protection sociale (santé, retraite, dépendance) : le ratio de soutien potentiel, qui compare le nombre de personnes en âge de travailler à celui des plus de 65 ans, diminue dans le monde entier.

C. DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE ET HABITABILITÉ DU MONDE : LA PERSPECTIVE D'UNE INSOLVABILITÉ PLANÉTAIRE ?

· L'exceptionnel d'aujourd'hui sera la norme de demain

Au cours de leur vie, les générations nées dans les années 2020 connaîtront sept fois plus d'épisodes de chaleur extrême, deux fois plus de sécheresses et d'incendies de forêt et trois fois plus d'inondations et d'années de mauvaises récoltes que les personnes nées en 1960.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) souligne ainsi que « les années les plus chaudes que nous avons vécues jusqu'à présent seront parmi les plus fraîches d'ici une génération »17(*).

Aucune partie du monde n'est épargnée par le dérèglement climatique et la multiplication des phénomènes extrêmes, en particulier le continent européen qui se réchauffe le plus rapidement, deux fois plus vite que la moyenne mondiale.

En France métropolitaine, pour un scénario d'émissions intermédiaire correspondant globalement à la réalisation des engagements de réduction des émissions de GES des États, le réchauffement atteindrait + 3,8 °C en 2100 par rapport à la période 1900-1930, contre + 2,7 °C sur l'ensemble de la planète18(*).

· L'objectif de limiter la hausse à + 1,5 °C d'ici 2030 déjà hors d'atteinte

Dans une récente étude qui actualise les principaux indicateurs de suivi du climat à l'échelle mondiale, une équipe internationale de scientifiques souligne que l'objectif de limiter le réchauffement climatique à + 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle, tel que fixé par l'accord de Paris de 2015, est d'ores et déjà hors de portée, les perspectives tracées par le GIEC se réalisant plus rapidement que prévu19(*) : ce dernier estimait en 2023 que la hausse de la température moyenne mondiale aurait chaque année entre 30 % et 60 % de chance de dépasser 1,5 °C au début des années 2030.

En 2024, la hausse de la température moyenne mondiale a atteint + 1,52 °C par rapport à l'ère préindustrielle, dont 1,36 degrés attribuable aux activités humaines et le reste à la variabilité naturelle du climat. La décennie 2015-2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec une moyenne de + 1,24 °C de réchauffement, dont 1,22 °C d'origine anthropique.

En raison de l'inertie de nos sociétés, les scientifiques concluent que la neutralité carbone ne pourra être atteinte d'ici la fin de la décennie.

Sans infléchissement du rythme d'émission, le budget carbone résiduel, entendu comme le total des émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser pour préserver les chances de maintenir le réchauffement sous les + 1,5 °C - soit 130 milliards de tonnes de CO2 - ne correspond qu'à trois années d'émissions à compter de 2025, voire moins en tenant compte des émissions de méthane qui continuent d'augmenter20(*).

Or dès 2023, les émissions de GES ont atteint le niveau record de 55 milliards de tonnes équivalent CO2, essentiellement du fait de la combustion des énergies fossiles et de la déforestation. La concentration de CO2 dans l'atmosphère était 50 % plus importante qu'à l'époque préindustrielle.

Cette évolution entraîne des phénomènes irréversibles, parmi lesquels la fonte des glaciers et des calottes glaciaires ainsi que la hausse du niveau marin (+ 3,91 mm par an entre 2006 et 2024, soit deux fois plus que le rythme observé depuis 1901), que seule une réduction la plus rapide possible des émissions de GES pourrait limiter car « chaque dixième de degré compte ».

· Des chocs économiquement sous-valorisés

Dans ce contexte, le coût des sinistres climatiques est appelé à s'accroître, France Assureurs estimant qu'il est déjà quatre fois plus important qu'il y a trente ans.

Dans un rapport publié par l'École britannique d'actuariat21(*) en collaboration avec l'Université d'Exeter sur les risques financiers liés au réchauffement climatique pour les entreprises et les organisations publiques, un risque ultime d'« insolvabilité planétaire » est identifié en l'absence d'intervention politique immédiate pour changer de cap.

Les auteurs de l'étude soulignent que les techniques habituelles de gestion des risques se concentrent en général sur des risques isolés, sous-estimant les risques en cascade. Or la dégradation des ressources naturelles telles que les forêts et les sols ou l'acidification et la pollution des océans ont un effet multiplicateur sur les conséquences du changement climatique.

« Si plusieurs points de bascule sont déclenchés, il pourrait exister un point de non-retour, après lequel il deviendrait impossible de stabiliser le climat. [...] Si rien n'est fait pour y remédier, les situations de mortalité de masse, les déplacements massifs de population, une forte contraction économique et les conflits deviendront plus probables. »

Rapport de l'École britannique d'actuariat en collaboration avec l'Université d'Exeter, janvier 2025

Au total, ils estiment que le PIB mondial pourrait perdre 50 % de sa valeur entre 2070 et 2090 en raison des divers chocs climatiques (sécheresses, inondations, incendies, effondrement des écosystèmes).

Cette perspective, liée à la profonde déstabilisation des fondements physiques et biologiques de nos économies, doit alerter sur le risque majeur de décroissance structurelle que nous courons désormais.

Sont ainsi pointées l'urgence de choisir un autre modèle de croissance, plus respectueux du monde vivant et de nos ressources, et la nécessité de faire évoluer nos indicateurs de référence, afin de privilégier des mesures allant dans le sens de la soutenabilité écologique, du bien-être humain et de la résilience des sociétés.

Une interdépendance des risques économiques, sociaux et environnementaux22(*)


* 14 ONU, Perspectives de la population dans le monde, 2024.

* 15 L'ONU indique que l'espérance de vie à la naissance passerait de 64,2 ans en 1990 à 77,4 ans en 2054. Mais les habitants des pays les plus pauvres vivent encore 7 ans de moins que la moyenne mondiale actuelle (73,3 ans en 2024).

* 16 Audition par la délégation à la prospective le 24 juin 2025.

* 17 Friederike Otto, co-auteure du sixième rapport d'évaluation AR 6 du GIEC, 2023.

* 18 Scénario SSP2-4.5.

* 19 Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence, Earth Syst. Sci. Data, 17, 2641-2680, 2025 : https://essd.copernicus.org/articles/17/2641/2025/.

* 20 Pour un réchauffement limité à + 2 °C, le budget carbone à ne pas dépasser est estimé à 1 050 millards de tonnes de CO2, ce qui correspond à environ 25 années d'émissions à rythme d'émission inchangé.

* 21 Institute and Faculty of Actuaries, « Planetary Solvency - finding our balance with nature, Global risk management for human prosperity », janvier 2025 : https://actuaries.org.uk/media/wqeftma1/planetary-solvency-finding-our-balance-with-nature.pdf

* 22 Source : Sandy Trust et Zahrah Fauzee, « A contribution to the “Compendium of practice from a Global Community of Ministries of Finance and Leading Organizations: Economic analysis and modeling tools to assist Ministries of Finance in driving green and resilient transitions” », juin 2025.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page