D. EFFONDREMENT DE LA BIODIVERSITÉ : UNE REMISE EN CAUSE DES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES DONT ON NE MESURE PAS TOUS LES EFFETS
La surexploitation des ressources, la destruction des habitats, le changement climatique, la pollution de l'air, de l'eau et des sols et, dans une moindre mesure, l'introduction d'espèces envahissantes, sont des causes majeures d'érosion de la biodiversité23(*).
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Au cours du temps, la masse des humains a été dépassée par celle du bétail utilisé pour l'alimentation humaine, laquelle a également dépassé la masse des mammifères sauvages, réduite à peau de chagrin en étant divisée par 6 en 100 000 ans. L'agriculture et l'élevage ont appauvri la diversité des plantes et des animaux : 9 plantes parmi les 6000 espèces cultivées représentent aujourd'hui deux tiers de la production végétale ; 14 espèces d'oiseaux et de mammifères fournissent plus de 90 % de l'alimentation carnée. La biomasse des insectes a quant à elle diminué de 75 % en 27 ans tandis que 30 % des arbres sont menacés d'extinction. L'indice planète vivante (IPV) montre une baisse moyenne de la taille des populations de vertébrés (en nombre d'espèces et d'individus), les plus touchées étant les espèces « spécialistes », qui ne peuvent survivre que dans des conditions environnementales et d'alimentation très précises. |
Or la variété des formes de vie sur la Terre est pour l'humanité une condition existentielle. Et nous ne mesurons pas toute la valeur des services écosystémiques apportés par la biodiversité aux êtres-humains et à la planète, indépendamment des qualités intrinsèques de la nature et du devoir moral qui nous conduit à ne pas vouloir la détruire.
Si l'on s'en tient à la valeur instrumentale des écosystèmes, ceux-ci sont une condition essentielle du bon fonctionnement de l'économie24(*).
L'impact du recul de la biodiversité sur
l'économie
en % du PIB, à l'horizon de
2050
Source : Adapté de Roxburgh et al. (2020)
Selon le Commissariat général au développement durable (CGDD), plus de 40 % des titres détenus par les institutions financières françaises sont émis par des entreprises qui seraient fortement ou très fortement dépendantes d'au moins un service écosystémique25(*). Or la comptabilité traditionnelle ne considère pas les pressions exercées sur l'environnement et les risques qui en découlent pour les sociétés.
Plus globalement, de fortes incertitudes rendent difficiles les tentatives de valorisation des écosystèmes :
- l'ensemble des bienfaits que peut apporter la nature ne sont pas encore connus ; les recherches sur le vivant conduisent régulièrement à envisager de nouvelles applications potentielles dans un contexte où il reste encore de très nombreuses espèces à découvrir ;
- on ne connaît pas encore toutes les conséquences d'une diversité amoindrie. Des interdépendances complexes et des interactions constantes existent entre les humains et les autres êtres-vivants, comme l'a révélé avec force la crise généralisée du covid-19 et le laisse entrevoir la progression des zoonoses. Les scientifiques ignorent s'il existe un seuil de perte de biodiversité à ne pas dépasser.
Les dynamiques écosystémiques entraînent « des non-linéarités, des phénomènes complexes, des propriétés émergentes, des phénomènes d'emballement qu'on peut avoir du mal à prédire, en particulier parce que les évolutions actuelles des écosystèmes sortent du périmètre d'échantillonnage, de ce que nous connaissons et avec lequel nous calibrons nos modèles. [...] On doit gérer un processus très peu connu, très complexe avec de nombreuses propriétés émergentes peu anticipables, et qui met en jeu deux types de valeur, instrumentale et non instrumentale ».
Lauriane Mouysset, audition par la délégation à la prospective, 27 mai 2025
Les chercheurs insistent néanmoins sur les effets boule de neige qui peuvent entraîner une cascade de disparitions d'espèces. À titre d'exemple, selon le Réseau Action Climat et l'Ademe, avec un réchauffement de + 2 °C en 2050, 99 % des coraux auront disparu dans les Antilles françaises. Cet effondrement des écosystèmes qui concentrent 25 % de la faune marine rompra la chaîne alimentaire26(*).
En tout état de cause, comme l'indique la chercheuse Virginie Courtier-Orgogozo, cette situation « nous entraîne dans une trajectoire qui altèrera profondément et durablement les conditions de vie des générations futures ».
* 23 Les données chiffrées ici présentées sont reprises de la leçon inaugurale de la chercheuse Virginie Courtier-Orgogozo, « Penser le vivant autrement », prononcée au Collège de France le jeudi 9 février 2023.
* 24 En s'appuyant sur le consentement à payer des personnes interrogées, l'économiste Robert Costanza a tenté d'évaluer en 1997 les services gratuits rendus par les écosystèmes, autrement dit leur contribution au bien-être. Ces services représenteraient près du double de la valeur du PIB mondial. Robert Costanza et al., « The value of the world's ecosystem services and natural capital », Nature 387, 1997 : https://doi.org/10.1038/387253a0.
* 25 CDC Biodiversité, « Comptabilité écologique : intégrer pour transformer », dossier de la MEB (mission économie de la biodiversité) n° 43, mars 2023.
* 26 Réseau action France en partenariat avec l'Ademe, « La France face au changement climatique : toutes les régions impactées », 2024 : https://reseauactionclimat.org/la-france-face-au-changement-climatique-toutes-les-regions-impactees/.



