II. LA QUADRATURE DU CERCLE : UNE CROISSANCE DURABLEMENT FAIBLE, DES DETTES INSOUTENABLES ET DES BESOINS DE FINANCEMENT MASSIFS
Transition écologique, investissements massifs dans les infrastructures essentielles, adaptation des dispositifs de protection sociale et de sécurité : au moment même où les exigences de financement s'accroissent partout dans le monde et singulièrement en Europe, apparaissent, avec le XXIe siècle, un ralentissement structurel de la croissance et un niveau d'endettement sans précédent.
Selon les études disponibles, la transition énergétique nécessitera chaque année 3 voire 4 points de PIB d'investissements supplémentaires, soit 4 000 à 5 000 milliards de dollars par an pendant 25 ans au niveau mondial, sans tenir compte des éventuelles dépenses publiques pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages afin d'amortir notamment la hausse des prix de l'énergie27(*).
Or comment financer collectivement des transformations systémiques de long terme avec les instruments d'une économie conçue pour une croissance rapide, d'une époque désormais révolue ?
Au cours du temps, le décalage entre besoins croissants et marges de manoeuvre plus réduites a conféré à la dette un rôle central.
Pour Emmanuel Constantin, celle-ci est devenue « le carburant de la gigantesque machinerie financière et assurantielle qui permet de pousser plus loin les optimisations, de compenser les déséquilibres des uns avec ceux des autres », entre générations, entre actifs et retraités, entre territoires excédentaires et déficitaires, entre ménages vivant à crédit et ménages détenteurs de capitaux en quête de rendement.
Elle est ainsi devenue extraordinairement ambivalente au regard de la valeur que nous accordons à la résilience car tout à la fois nécessaire et source de profonde vulnérabilité.
« La dette est devenue une valeur économique centrale, addictive, en ascension constante et acceptée à des niveaux inouïs. Mais elle insère les acteurs dans un jeu d'interdépendances et de fragilités réciproques qui peut les priver des moyens de leurs ambitions. Quelle sera la valeur de la dette d'ici 2050, alors que le besoin de résilience pourrait la rendre moins attractive, mais le coût de la résilience la rendre bien plus nécessaire ? »
Emmanuel Constantin, audition par la délégation à la prospective, 8 avril 2025
La dette est ainsi devenue tout à la fois le symptôme de nos contradictions et un levier pour y répondre : symptôme, car elle traduit l'incapacité à arbitrer entre, d'une part, l'urgence et la soutenabilité du court terme, d'autre part, les investissements structurels nécessaires à la préservation du long terme, mais aussi levier, car elle semble permettre de différer l'effort financier nécessaire au changement systémique.
La dette cristallise ainsi la tension fondamentale entre le présent et l'avenir, entre ce que nous voulons préserver - nos modes de vie, nos infrastructures, nos protections sociales, les conditions de vie des générations futures - et ce que nous acceptons de sacrifier pour garantir la pérennité du monde dans lequel évoluent nos sociétés.
* 27 Patrick Artus, Marie-Paule Virard, Quelle France en 2050 face aux grands défis en Europe et dans le monde ?, Odile Jacob, 2024.