TROISIÈME
PARTIE
PERMETTRE AUX FILIÈRES REP D'ASSUMER
LEURS
RESPONSABILITÉS
Malgré la loi Agec, le système des filières REP est resté à « mi-chemin ». Leurs missions ont été étendues, notamment dans les champs de l'éco-conception, du réemploi et de la réparation, et des objectifs ambitieux ont été énoncés. Toutefois, le modèle des REP n'a jamais réellement basculé du soutien au fonctionnement à la collecte à l'investissement. Les nouveaux outils de la loi Agec se sont concentrés sur des dispositifs à forte visibilité médiatique, comme les fonds réparation, sans néanmoins que les débouchés de ces politiques aient clairement été identifiés.
Par conséquent, les résultats des filières REP en la matière ont systématiquement été inférieurs aux objectifs, voire quasi inexistants dans certains cas. En parallèle, la trésorerie des filières a fortement progressé, les charges pour provisions futures ayant atteint la moitié du montant des éco-contributions en 2022, ce qui pose tout d'abord un problème en termes de gestion financière, et peut ensuite conduire à renforcer la méfiance envers l'ensemble du système des REP.
Le rapporteur spécial appelle à repenser l'investissement des REP dans un cadre général. Le risque est en effet que les éco-contributions progressent de plusieurs milliards d'euros, sans que les résultats des actions des éco-organismes ne soient clairement identifiables, ce qui conduirait inévitablement le secteur à une crise d'ampleur. Il importe donc que la trésorerie des REP soit mobilisée pour mener ces investissements.
Ce changement de paradigme devra également permettre à l'Etat de se désengager du soutien à l'économie circulaire et au traitement des déchets. En effet, le principe du « pollueur-payeur » ne s'arrête pas aux dépenses de fonctionnement, mais il doit aussi concerner l'ensemble des coûts relatifs à la gestion de la fin de vie des biens.
I. LES FILIÈRES REP N'ONT PAS ATTEINT LEURS OBJECTIFS
A. PLUS DE LA MOITIÉ DES FILIÈRES REP N'A PAS ATTEINT LES OBJECTIFS FIXÉS DANS LES CAHIERS DES CHARGES
1. Un risque de décorrélation entre la progression des éco-contributions et le taux de collecte et valorisation
La question de savoir si le montant des éco-contributions a progressé plus rapidement ou non que les taux de collecte, de valorisation et de recyclage ne fait pas encore entièrement consensus.
Les inspections générales ont notamment déterminé qu'à l'échelle de l'ensemble des éco-organismes entre 2010 et 2022, les tonnages collectés ont connu une augmentation proche de celle des éco-contributions. En revanche, la croissance des tonnages recyclés et valorisés a été inférieure à la progression des éco-contributions.
Évolutions des éco-contributions, de
la collecte,
de la valorisation globale et du recyclage (base 100 à
partir de 2010).
(en millions d'euros pour les éco-contributions, et en kilotonne pour les autres données)
Source : « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », Inspection générale des finances (IGF), Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), Conseil général de l'économie (CGE), juin 2024, page 58 de l'annexe II
À titre d'exemple, pour la filière des éléments d'ameublement, le coût par tonne produit mis sur le marché a quasiment doublé entre le premier agrément (2012-2017) et le troisième (2024-2029), passant de 64 euros / tonne à 124 euros / tonne. Ainsi, sur la période 2024-2029, 770 millions d'euros d'éco-contributions supplémentaires sont demandés par rapport à l'agrément de 2018-2023 pour un tonnage pris en charge qui augmente de 1,1 mégatonne, ce qui représente un coût de la tonne marginale de 700 euros.
Comparaison entre les éco-contributions
appelées et les taux de collecte
et de valorisation de la
filière REP des éléments d'ameublement
Période |
Focus |
Éco-contributions appelées (en milliards d'euros) |
Tonnages mis en marché (en Mégatonnes) |
Taux de collecte |
Taux de valorisation |
Coût technique (en euros / tonne mise sur le marché multiplié par le taux de collecte) |
Coût par tonne produit mis sur le marché (euros/ tonne) |
2012-2017 (1er agrément) |
Collecte et valorisation |
0,74 |
11,5 |
34 |
87 |
189 |
64 |
2018-2023 (2e agrément) |
Matières recyclées et éco-conception |
1,62 |
18,1 |
48 |
94,5 |
186 |
90 |
2024-2029 (3e agrément) |
Réemploi et réparation |
2,39 |
19,2 |
54 |
97 |
230 |
124 |
Note : l'éco-organisme Ecomaison a indiqué au rapporteur spécial que le coût technique et le coût par produit mis sur le marché du 3e agrément sont respectivement de 192 euros par tonne et 102 euros par tonne en déduisant les inflations et charges liées aux obligations issues de la loi Agec et du dernier cahier des charges.
Source : commission des finances, d'après des données transmises par France industrie et Ecomaison
Les inspections générales relèvent que dans cette filière, la hausse des éco-contributions s'explique en partie par une augmentation de 28,5 % du nombre d'adhérents à l'éco-organisme Éco-mobilier en 2022 par rapport à 202169(*). L'évolution de la contribution en euro par tonne de produit neuf résulte en outre à la fois de l'effet volume (augmentation des quantités de déchets collectés) ainsi qu'à un effet prix, lié aux obligations additionnelles notamment issues de la loi Agec (fonds réemploi, fonds réparation...).
Plus généralement, une partie de la décorrélation entre l'évolution des contributions et les quantités de déchets valorisés et recyclés est attendue, et ne signifie pas nécessairement que les éco-organismes et les systèmes individuels ont perdu en efficacité. À mesure que le taux de valorisation et de recyclage progresse, les déchets qui restent à être traités sont les plus coûteux et difficiles.
Il est estimé que pour respecter les objectifs des cahiers des charges entre 2022 et 2030, il faudrait une multiplication par cinq des tonnages collectés. Le risque est donc réel que la progression des éco-contributions devienne décorrélée de la progression des taux de collecte et de valorisation dans les années à venir.
2. Les objectifs de collecte et de recyclage ne sont pas atteints pour plus de la moitié des filières REP
Lorsque l'on prend comme référence les objectifs réglementaires, le bilan des filières REP est décevant. Au niveau global, en 2023, 40 % du gisement de déchets soumis à une REP échappait encore à la collecte, ce qui représentait 6,6 millions de tonnes de déchets. En effet, sur les 8 filières qui disposent d'un objectif de collecte, seules trois l'ont accompli en 2023, et une filière ne l'a atteint que pour l'une de ses deux sous-catégories.
Tableau des objectifs de collecte des filières REP en 2023
Filières |
Objectif de collecte (milliers de tonnes, sauf précision contraire) |
Collecte effective (milliers de tonnes, sauf précision contraire) |
Taux d'accomplissement |
Éléments d'ameublement |
1260,3 |
1292,2 |
102,5 % |
Bateaux |
8 769 unités |
2 928 unités |
33,4 % |
Dispositifs médicaux perforants (standards) |
1,09 |
1,12 |
102,8 % |
Dispositifs médicaux électroniques |
0,09 |
0,06 |
66,7 % |
Équipements électriques et électroniques ménagers |
1 159,6 |
844,5 |
72,8 % |
Équipements électriques et électroniques professionnels |
247,5 |
165,2 |
66,7 % |
Lubrifiants |
182,7 |
239 |
130,8 % |
Piles et accumulateurs portables |
16,7 |
20,1 |
120,4 % |
Pneus |
556,5 |
533,1 |
95,8 % |
Textiles, linges, chaussures |
279,0 |
267,9 |
96,0 % |
Note 1 : les filières « dispositifs médicaux performants » et « dispositifs médicaux électroniques » sont des sous-catégories de la filière des dispositifs médicaux. De même, les filières équipements électriques et électroniques ménagers et professionnels sont deux sous-catégories d'une seule filière.
Note 2 : concernant la filière « équipements électriques et électroniques professionnels », le « mémo REP 2023 » de l'Ademe présente un objectif pour cette filière, mais le cahier des charges de la filière ne mentionnait des objectifs de collecte qu'à partir de l'année 2024.
Source : commission des finances, d'après le « Mémo REP 2023 » de l'Ademe
Alors qu'un tiers des filières atteignaient leurs objectifs en 2022, le taux est de 44 % en 2023 (en comptant la filière des dispositifs médicaux comme une « demi-réussite »). La filière ameublement en particulier a atteint son objectif de collecte en 2023, alors que ce n'était pas le cas l'année précédente. Cependant, le seuil de la moitié des filières ayant atteint leurs objectifs n'est toujours pas atteint.
Tableau des objectifs de recyclage des filières REP en 2023
(milliers de tonnes)
Filières |
Objectif de recyclage |
Recyclage effectif |
Taux d'accomplissement |
Ameublement |
627,0 |
543,4 |
86,7 % |
Emballages ménagers |
4110,0 |
4122,0 |
100,3 % |
Lubrifiants |
179,3 |
181,9 |
101,5 % |
Papiers |
976,3 |
955,3 |
97,8 % |
Produits chimiques cat. 3 à 10 |
2,5 |
1,85 |
74 % |
Source : commission des finances, d'après le « Mémo REP 2023 » de l'Ademe
Ainsi, la conjonction de la non-atteinte des objectifs inscrits au niveau réglementaire, avec dans le même temps une augmentation du volume des éco-contributions sans que les débouchés ne soient clairement visibles, peut conduire à rendre l'ensemble du système des filières REP de moins en moins acceptable pour les producteurs.
Le rapport de Marta de Cidrac et Jacques Fernique rapporte ainsi que « cette hausse exponentielle engendre, comme le relèvent le Medef et France Industrie devant les rapporteurs, un manque d'acceptabilité de la part des producteurs, qui ne perçoivent pas une amélioration équivalente des performances environnementales des filières. »70(*)
La loi Agec avait tenté de remédier à cette difficulté en étendant les capacités des filières REP, avec les éco-modulations et les fonds destinés au réemploi et à la réparation. Toutefois, ces nouvelles politiques n'ont pas davantage produit les effets escomptés.
* 69 « Performances et gouvernance des filières à responsabilité élargie du producteur », IGF, IGEDD, CGE, juin 2024, page 63 de l'annexe II.
* 70 Rapport d'information fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), rapporteurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique, 25 juin 2025, page 28.