B. FACE AUX CONTRAINTES BUDGÉTAIRES, TRANSFORMER LE FONDS ÉCONOMIE CIRCULAIRE EN UN PRÊT À TAUX ZÉRO
En tout état de cause, l'augmentation des moyens jusqu'en 2022 pouvait s'entendre dans un objectif de relance de l'économie, mais sa pérennisation soulève des questions. Malgré la baisse des financements constatée entre 2022 et 2024 (de 415,7 à 347,7 millions d'euros, soit une diminution de 16,4 %), les subventions étaient demeurées encore très supérieures à ce qu'elles étaient avant la pandémie : elles sont de 347,7 millions d'euros en 2024 contre 164,6 millions d'euros en 2020, soit une hausse de 111,2 %66(*).
Cette progression est d'autant plus paradoxale qu'en parallèle, la loi Agec a conduit à une forte augmentation du nombre de filières REP tout en étendant leur rôle. Il aurait été logique, dans le prolongement du principe pollueur-payeur, qu'à mesure que les producteurs eux-mêmes prennent de plus en plus en charge les coûts de gestion des déchets, les dépenses de l'État en soutien à l'économie circulaire puissent diminuer, dans la mesure où le fonds économie circulaire n'a pas vocation à intervenir dans les domaines couverts par les REP.
Interrogée sur ce paradoxe par le rapporteur spécial, l'Ademe a relevé que « les filières REP n'ont pas vocation, à date, à financer majoritairement l'investissement (au profit des soutiens au fonctionnement via la collecte et la prise en charge des couts de traitement des déchets en opérationnalité, ou en financement des collectivités). Le cas est inverse pour le fonds économie circulaire, qui soutient principalement l'investissement. » L'opérateur relève d'ailleurs que les filières REP « garantissent des flux dans les installations de recyclage. Ce n'est pas suffisant pour déclencher des investissements dans des capacités additionnelles. »67(*) Ainsi, le fait que les filières REP ne financent pas l'investissement contribuent à ce que le fonds économie circulaire comble un « vide » en intervenant, dans la pratique, dans l'ensemble des champs du traitement et de la prévention des déchets.
Les investissements dans les chaufferies à CSR par exemple, même si elles ne correspondent pas spécifiquement à certaines filières REP, offrent des débouchés pour les producteurs, et donc constituent indirectement des investissements qui bénéficient aux filières REP.
Le rapporteur spécial propose, dans la suite du rapport, de permettre aux filières d'assurer elles-mêmes les besoins en investissement pour gérer leurs déchets, avec un contrôle étroit de l'État pour s'assurer que ces investissements ne conduisent pas à des distorsions de concurrence.
En attendant que les filières REP puissent prendre en charge de tels investissements, ce qui peut potentiellement prendre plusieurs années, il est nécessaire de prévoir une phase de transition au cours de laquelle l'État continue de subventionner des projets en matière d'économie circulaire, mais à une échelle plus réduite, et avec des outils qui permettent une aide plus adaptée à la nature des projets. L'enjeu est d'identifier toutes les marges d'optimisation possibles.
À ce titre, un mécanisme intéressant est celui des prêts à taux zéro (PTZ). Si le PTZ le plus connu est celui qui est destiné à l'achat immobilier dans le neuf, il existe d'autres dispositifs, comme l'éco-PTZ pour la rénovation énergétique. Le rapporteur spécial a par ailleurs proposé l'instauration d'un prêt à taux zéro pour aider les particuliers à financer des travaux de prévention des risques, dans son rapport sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturels (« régime CatNat »)68(*). Ce dispositif a d'ailleurs été repris à l'article 7 de la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime CatNat, et celui-ci a fait l'objet d'un soutien du Gouvernement dans le cadre de l'examen en séance publique au Sénat.
L'avantage du PTZ est qu'il permet d'amorcer des projets, en leur faisant bénéficier d'un taux d'intérêt très avantageux par rapport au marché, tout en évitant un subventionnement direct de l'État, qui conduit nécessairement à transférer une partie du risque de l'entreprise à l'État. Par conséquent, il est un outil efficace pour limiter les effets d'aubaine.
Le PTZ est également une solution plus protectrice des finances publiques. Un prêt à taux zéro est déjà mis en oeuvre dans le domaine de la rénovation énergétique. Bien que l'éco-PTZ « rénovation énergétique », ait connu une progression importante sur les dernières années, passant de 35 574 éco-PTZ émis en 2019 à 82 049 en 2022, son coût est resté mesuré pour la puissance publique (42 millions d'euros en 2023, contre 39 millions d'euros en 2019), surtout en comparaison des subventions « MaPrimeRénov », qui ont représenté plus de 2 milliards d'euros en 2023.
Ce dispositif serait dans un premier temps déployé à une échelle réduite, afin d'en évaluer les coûts pour les finances publiques.
Il faut préciser en outre que cette recommandation ne concerne par les collectivités territoriales d'outre-mer. En raison du retard dans la mise en place des installations de traitement des déchets ainsi que du faible développement des filières REP, des subventions directes de l'État restent nécessaires dans ces territoires.
Recommandation : Diminuer progressivement les crédits du fonds économie circulaire en France métropolitaine pour les substituer par un dispositif de prêt à taux zéro pour les projets dont la rentabilité est longue. Dans un premier temps, ce dispositif serait déployé à petite échelle pour en évaluer les coûts.
* 66 Les chiffres retenus ici sont retranchés de France 2030 / des programmes d'investissement d'avenir (PIA), qui suivent une trajectoire propre.
* 67 Réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial.
* 68 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur le régime d'indemnisation des catastrophes, rapporteur Christine Lavarde, 15 mai 2024, page 62.