B. LE FONDS VERT : UNE POLITIQUE À L'AVENIR INCERTAIN.

Annoncé en août 2022, le fonds vert, dont la dénomination exacte est le « fonds d'accélération pour la transition écologique dans les territoires » (programme 380 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ») a été mis en place dans la loi de finances initiale pour 202349(*). Il a vocation à subventionner des projets issus des collectivités territoriales en faveur de la transition écologique, dans des domaines variés tels que la rénovation énergétique, l'économie circulaire, les transports, la prévention des risques, ou la renaturation des villes, entre autres.

Depuis sa première année d'existence, il finance le soutien au tri à la source des biodéchets, ainsi que des programmes de valorisation des biodéchets, notamment par le compostage ou la méthanisation.

Les dispositifs financés par le volet « biodéchets » du fonds vert sont proches de ceux pris en charge par le fonds économie circulaire, la différence se situant au niveau de la source des déchets : « Dans un objectif de complémentarité des fonds, la mesure biodéchets du fonds vert a été dédiée aux projets de collectivités traitant un flux de biodéchets issu majoritairement des ménages (par rapport au flux des producteurs assimilés, comme des traiteurs, petits restaurants...). Le fonds économie circulaire a permis de soutenir les projets d'acteurs économiques ou pour les collectivités dont le volume de biodéchets provenait en majorité des acteurs économiques et assimilés. »50(*)

Cette distinction, utile en gestion, n'était pas suffisante pour justifier l'inscription de ces financements dans deux programmes différents - le programme 181 « Prévention des risques » pour le FEC, et le programme 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires » pour la mesure « biodéchets » du fonds vert51(*). Ce chevauchement constitue un problème récurrent du fonds vert.

En effet, d'une part la majorité des mesures du fonds vert provenait du plan de relance, alors même que ces dispositifs devaient normalement être temporaires, sans que cela ait été clairement indiqué lors de la présentation du programme. D'autre part, le Gouvernement a choisi de réunir l'ensemble des financements du fonds vert au sein d'un programme unique, alors même que certaines politiques relèvent déjà d'autres versants de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », notamment la biodiversité (programme 113) et la prévention des risques (programme 181)52(*).

La procédure de traitement des dossiers du volet « biodéchets » est différente de celle des autres mesures du fonds vert. Ce ne sont en effet pas les préfets de département qui procèdent à la sélection, mais les préfets de région, et l'Ademe assure l'essentiel de la gestion et du suivi des dossiers, à l'instar du fonds économie circulaire.

Traitement des dossiers déposés pour le fonds vert
au titre de la mesure « biodéchets »

L'Ademe fait le suivi global de la mesure biodéchets via les outils d'instruction et de reporting internes à l'agence et propose des bilans à la DGPR et à la DGALN dans le cadre des politiques prioritaires du gouvernement. Plus précisément, l'Ademe a proposé à la DGALN la nature des dépenses éligibles à la mesure biodéchets du fonds vert, pour la création du cahier d'accompagnement.

Le processus d'instruction d'une demande de soutien est celui-ci :

- les porteurs déposent leur demande d'aide sur la plateforme Démarches Simplifiées ;

- les préfets de département peuvent être consultés sur le dossier ;

- la direction régionale de l'Ademe concernée instruit le dossier, en coordination avec la DREAL. Les préfets de département peuvent être consultés sur l'aide proposée ;

- le préfet de région procède à la sélection des projets lauréats et à la détermination du montant de la subvention attribuée ;

- la direction régionale de l'Ademe contractualise l'aide (imputation sur la ligne comptable dédiée) avec contreseing du préfet de région. Elle assure également le suivi du dossier, jusqu'à son solde.

Source : réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial

Un peu plus de 100 millions d'euros ont été versés dans le cadre du fonds vert en 2023 et en 2024, pour 389 dossiers. Le montant médian est de 99 110 euros, tandis que le montant moyen est de 274 970 euros, ce qui signifie que les montants des dossiers financés présentent des disparités significatives, quoique moindre que pour le fonds économie circulaire.

Nombre de dossiers et montants financés
par la mesure « biodéchets » du fonds vert

Année

Nombre de dossiers

Montant moyen

(en euros)

Montant médian

(en euros)

Montant total

(en millions d'euros)

2023

201

301 175

93 326

60,5

2024

188

246 952

122 078

46,4

Total

2023-2024

389

274 970

99 110

106,9

Source : commission des finances, d'après les données transmises par l'Ademe

Le versant « biodéchets » du fonds vert a en majorité financé des projets portés par des syndicats mixtes fermés (28 % du montant total) ainsi que des communautés d'agglomération (23,6 %). Les dossiers portés par les métropoles, dont le nombre est relativement faible rapporté au total (13 sur 389), bénéficient en revanche des montants les plus importants, avec un montant médian de 1,2 million d'euros.

Sur l'ensemble du montant des financements du fonds vert (107 millions d'euros), environ 2,4 millions d'euros n'ont pas été affectés à des collectivités territoriales, mais à des entreprises.

Cependant, sur les 33 dossiers identifiés par le rapporteur spécial comme finançant des entreprises, 28 concernent l'entreprise d'intérim Adecco France, pour un montant de 1,7 millions d'euros. Interrogée sur ces dossiers en particulier, l'Ademe n'a pas apporté de réponses convaincantes au rapporteur spécial : « la mise en oeuvre du fond vert se fait pour l'essentiel par de l'intérim financé par les frais de gestion. Pour les mesures du fond vert, ces frais de gestion s'élèvent à 1,5 % du montant des mesures concernées. La Direction des ressources humaines a lancé un appel d'offres en 2024 pour la période 2025 - 2028, Adecco a remporté le marché. C'est donc avec lui que nous recourons à l'intérim. »53(*)

Le financement par les crédits du fonds vert de ces frais de gestion n'est pas une évidence. Cette pratique n'est mentionnée nulle part dans le projet annuel de performances du programme 380, et n'est pas non plus évoquée dans le dernier rapport sur l'exécution budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durable » de la Cour des comptes54(*). Il est donc indispensable de clarifier cette situation.

Les cinq autres dossiers concernent bien des entreprises spécialisées dans le traitement des déchets. La possibilité de financer des établissements privés est bien prévue dans le cahier d'accompagnement de la mesure « soutien au tri à la source et à la valorisation des biodéchets », dans la mesure où ces établissements agissent dans le cadre du service public de gestion des déchets (SPGD). Cependant, même si ces dossiers sont peu nombreux, et représentent une part relativement faible du fonds vert (700 000 euros), il convient de veiller à l'absence d'effet d'éviction envers les collectivités territoriales, le fonds vert ayant été créé pour financer des projets issus de collectivités territoriales.

Types d'organismes financés par le fonds vert au titre de l'action « biodéchets »

Type de structure

Nombre de dossiers

Part des dossiers

Montant total

(en euros)

Part du montant total

Montant médian

(en euros)

Syndicats mixtes fermés (SMF)

85

21,9 %

29 969 383

28,0 %

166 562

Communautés d'agglomération (CA)

90

23,1 %

25 190 632

23,6 %

181 591

Métropoles

13

3,3 %

15 424 462

14,4 %

1 233 440

Communautés de communes (CC)

139

35,7 %

13 856 156

13,0 %

62 208

Syndicats mixtes ouverts (SMO)

14

3,6 %

12 473 091

11,7 %

112 580

Établissements publics territoriaux (EPT)

5

1,3 %

3 542 045

3,3 %

259 450

Communes

4

1,0 %

2 145 541

2,0 %

29 715

Communautés urbaines (CU)

7

1,8 %

1 951 633

1,8 %

183 932

Entreprises

32

8,2 %

2 410 236

2,3 %

64 700

Total

389

100 %

106 963 178

100 %

99 110

Source : commission des finances, d'après les données transmises par l'Ademe

Répartition des financements du fonds vert action « biodéchets »
selon le type de collectivités territoriales

Source : commission des finances, d'après les données transmises par l'Ademe

Le projet qui a reçu le plus de financement du fonds vert est celui d'une unité de méthanisation de biodéchets à la Réunion, pour un montant de 8,8 millions d'euros. Cette subvention est deux fois plus élevée que celle du second projet, celui de modernisation de la plateforme de compostage de biodéchets d'Aspach-Michelbach.

En ce qui concerne la répartition territoriale des financements : la Martinique, la Guyane et La Réunion ont perçu un montant nettement plus élevé de subvention par habitant, ce qui est compréhensible au regard des besoins de ces territoires. Toutefois, dans le même temps, il apparaît que la Guadeloupe a peu mobilisé le fonds vert, et qu'aucun dossier n'a fait l'objet d'un financement à Mayotte.

En France métropolitaine, la Bretagne a particulièrement bénéficié du fonds vert, pour un montant de 3,2 euros par habitant, les autres régions se situant entre 0,7 et 1,8 euro par habitant.

Répartition territoriale des dossiers financés par le fonds vert
action « biodéchets »

Région

Nombre de dossiers

Part des dossiers

Montant total (en euros)

Montant par habitant

(en euros)

Part du montant total

Montant médian

(en euros)

Bretagne

21

5,9 %

11 198 063

3,2

11,8 %

247 284

La Réunion

5

1,4 %

10 950 879

12,4

11,6 %

40 000

Grand Est

25

7,0 %

9 936 724

1,8

10,5 %

125 620

Auvergne-Rhône-Alpes

70

19,7 %

9 480 240

1,2

10,0 %

72 565

Île-de-France

19

5,4 %

9 274 316

0,7

9,8 %

320 960

Provence-Alpes-Côte d'Azur

22

6,2 %

7 733 462

1,4

8,2 %

135 060

Occitanie

42

11,8 %

6 560 554

1,1

6,9 %

70 689

Nouvelle-Aquitaine

32

9,0 %

6 432 693

1,0

6,8 %

142 547

Normandie

20

5,6 %

4 672 931

1,4

4,9 %

183 300

Pays de la Loire

33

9,3 %

4 564 198

0,7

4,8 %

96 784

Martinique

5

1,4 %

3 496 910

10,0

3,7 %

804 700

Hauts-de-France

19

5,4 %

2 989 900

0,5

3,2 %

79 159

Centre-Val de Loire

20

5,6 %

2 908 700

1,1

3,1 %

40 140

Bourgogne-Franche-Comté

16

4,5 %

2 668 222

1,0

2,8 %

78 187

Guyane

4

1,1 %

1 877 317

6,4

2,0 %

447 400

Guadeloupe

2

0,6 %

52 268

0,1

0,1 %

26 134

Total

355

100 %

94 797 377

1,4

100 %

97 797

Note : le montant par habitant a été déterminé à partir de l'estimation de la population au 1er janvier 2024 réalisé par l'Insee, parue le 16 janvier 2024.

Source : commission des finances, d'après les données transmises par l'Ademe

Répartition territoriale des dossiers financés par le fonds vert action « biodéchets »

(euros/habitant)

Source : commission des finances, à partir des données transmises par l'Ademe. Carte réalisée avec Khartis et openstreetmap

La mesure « biodéchets » du fonds vert est une politique très récente, et ainsi, comme l'a indiqué l'Ademe au rapporteur spécial, il est encore trop tôt pour en faire une première évaluation : « aucun dossier fonds vert biodéchets n'est arrivé au terme du projet, il n'est donc pas possible de dresser un bilan à ce jour »55(*). En effet, les collectivités mettent en moyenne 3 à 4 ans pour déployer une solution de tri. À l'issue des projets, il est demandé aux porteurs de remettre une attestation de la population desservie par les solutions installées sur le territoire et de l'évolution des tonnages « ordures ménagères résiduelles »56(*) en début et fin de projet.

L'opérateur estime cependant, selon des estimations provisoires, que les projets de solution de tri engagés ont touché 14 millions d'habitants (4,5 millions en gestion de proximité et 9,5 millions en collecte séparée) et ont permis de collecter 422 000 tonnes de biodéchets.

Régions de France a précisé au rapporteur spécial que « concernant l'efficacité de la mesure biodéchets du fonds vert, une évaluation conjointe est en cours dans certaines régions en lien avec l'ADEME dont les résultats ne sont pas encore disponibles », tout en soulignant que « plusieurs régions interviennent en cofinancement des projets financés par le fonds vert ou l'ADEME sur les biodéchets. »57(*) La région Île-de-France a relevé néanmoins que « l'absence de réflexion conjointe sur le cahier des charges des projets soutenus et des modalités d'aides n'a pas permis une efficacité complète »58(*).

L'avenir de la mesure « Soutenir le tri à la source et la valorisation des biodéchets » au sein du fonds vert est incertain. Lors d'un échange avec le cabinet de la ministre de la transition écologique, il avait été indiqué au rapporteur spécial que ce dispositif était entré en extinction en 2025. Cette information est particulièrement étonnante, dans la mesure où rien n'indiquait, ni dans le projet annuel de performance (PAP) pour 2025 ni dans les réponses au questionnaire budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durable » que cette politique serait remise en cause cette année.

En outre, une édition pour 2025 du Cahier d'accompagnement des porteurs de projet et des services instructeurs de la mesure « Soutien à la source et à la valorisation des biodéchets » a été publiée en mars de cette année59(*), et aucune personne auditionnée n'a évoqué la fin de cette mesure. L'appel à projets du dispositif précise certes que « les projets présentés en 2025 ne seront financés par le Fonds vert qu'à la condition d'être portés par des collectivités n'ayant aucun autre mode de financement possible ou au vu de leur situation particulière »60(*), mais cette restriction - qui relève surtout de la bonne gestion budgétaire - n'est pas synonyme d'une extinction de la mesure.

Dans ce contexte, il serait souhaitable de clarifier quel est le devenir de la mesure « biodéchets » au sein du fonds vert. Il ne serait pas acceptable que l'ensemble des subventions s'arrête dans la pratique dès 2025, alors que les parlementaires ont adopté le fonds vert avec ce dispositif encore présent.


* 49 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 50 Réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial.

* 51 Ce n'est d'ailleurs pas la première politique du fonds vert qui présente ce problème : les financements de la Stratégie nationale biodiversité 2030 étaient initialement inscrits dessus, alors qu'ils relevaient du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », tandis que les mesures relatives à l'adaptation au changement climatique auraient dû être intégrées à la politique de prévention des risques naturels.

* 52 Sur ce dernier point, la Cour des comptes a considéré que le fonds vert « porte atteinte au principe de spécialité » et que « le programme 380 est en recouvrement avec au moins deux autres programmes de la mission : le programme 113 s'agissant de l'accompagnement de la stratégie nationale de la biodiversité et le programme 181 s'agissant de la prévention des risques naturels. Le cadrage volontairement très souple de ce nouveau programme et les modalités de pilotage ne permettent pas d'apprécier pleinement la portée de ces recouvrements, ni les éventuels effets de substitution, y compris vis-à-vis des financements européens. » Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » de l'exercice 2023, avril 2024, page 7.

* 53 Réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial.

* 54 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, mission Écologie, développement et mobilités durables, avril 2025.

* 55 Réponses de l'Ademe au questionnaire du rapporteur spécial.

* 56 Les « ordures ménagères résiduelles » désignent la part des déchets qui restent après les collectes sélectives.

* 57 Réponses de Régions de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 58 Réponses de Régions de France au questionnaire du rapporteur spécial.

* 59 Le cahier d'accompagnement est disponible en ligne, sur le site « www.ecologie.gouv.fr » : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/Cahier%20accompagnement_Axe1_Biod%C3%A9chets.pdf

* 60 Appel à projets « soutenir le tri à la source et à la valorisation des biodéchets » publié sur « www.aides-erritoires.beta.gouv.fr » : https://aides-territoires.beta.gouv.fr/aides/soutenir-le-tri-a-la-source-et-la-valorisation-des-biodechets-1/

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