B. UN DÉFICIT DE SUIVI AU NIVEAU FRANÇAIS EN L'ABSENCE DE RISQUE À COURT TERME

La Commission européenne réalise donc un suivi de l'exposition du budget européen, qui pourrait être encore davantage documenté et surtout comporter des analyses plus prospectives, mais qui apparaît néanmoins satisfaisant à court terme. Il s'agit toutefois d'une institution européenne soucieuse des intérêts de l'Union. En particulier, quand elle analyse les passifs éventuels couverts par la marge de manoeuvre, la Commission européenne vise avant tout à s'assurer que la marge de manoeuvre budgétaire suffit à assurer le paiement des passifs éventuels de l'Union européenne : l'analyse ne porte en rien sur les contributions supplémentaires pouvant être appelées auprès des États membres.

En effet, le rapport de la Commission sur les passifs éventuels définit un cadre d'évaluation fondé l'article 210, paragraphe 3, du règlement financier, sur la « Responsabilité financière de l'Union » qui dispose que « les passifs éventuels découlant de garanties budgétaires ou de l'assistance financière qui sont supportés par le budget sont jugés supportables si leurs prévisions d'évolution pluriannuelle sont compatibles avec les limites définies par le règlement fixant le cadre financier pluriannuel prévu à l'article 312, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le plafond des crédits annuels pour paiements énoncé à l'article 3, paragraphe 1, de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 » (soit le plafonds de dépense défini pour le cadre financier pluriannuel et le plafonds de recettes fixé par la décision ressources propres).

En d'autres termes, les analyses réalisées par la Commission ont pour objectif de s'assurer que les ressources maximales que l'UE est en mesure de prélever en une seule année au titre de la décision ressources propres (plafond des ressources propres) suffisent à financer les dépenses découlant du CFP ainsi que tout passif éventuel.

Le rapporteur spécial a donc interrogé l'administration financière française sur l'existence d'un suivi des potentiels appels à contribution futurs de la France causés par l'exposition du budget européen, pour la réponse suivante : « Le chiffrage d'un risque lié à la headroom (NB : la marge de manoeuvre) pour les États membres nécessiterait de réaliser des scénarios de défaut d'un ou plusieurs États membres (ou de l'Ukraine) au titre d'un (ou plusieurs) dispositif d'assistance financière couvert par la headroom. La direction du Budget ne procède pas à de tels travaux.

Dès lors, toute hypothèse de chiffrage serait purement conventionnelle, voire maximaliste, en se basant sur l'ensemble des passifs couverts par la headroom.

Par ailleurs, il est rappelé qu'un défaut sur un dispositif d'assistance financière couvert par la headroom n'impliquerait pas nécessairement un ressaut de contribution nationale pour les États membres. D'autres leviers pourraient être activés en amont, comme des redéploiements sur le budget de l'UE, ou la mobilisation de marges disponibles (instrument de flexibilité). »

Comme vu précédemment, les passifs éventuels couverts par la marge de manoeuvre sont en très forte hausse, laquelle devrait se poursuivre dans les prochaines années. Si les risques semblent aujourd'hui maîtrisés, il n'est malheureusement pas possible d'être aussi affirmatif à moyen terme :

- premièrement, l'exposition repose en grande partie sur des prêts aux États membres qui apparaissent aujourd'hui solvables. Dans un contexte de hausse de l'endettement et de montée du souverainisme, on ne peut exclure que certains États remettent en question leurs engagements sur tout ou partie de la dette souscrite au niveau européen ;

- deuxièmement, l'exposition au conflit ukrainien est de plus en marquée et cette situation pourrait s'accentuer dans les prochaines années. Si les sommes en jeu sont moindres, la probabilité de défaut est supérieure et devra être étudiée avec attention, passée les périodes de grâce de 10 ans accordées sur ces prêts ;

- troisièmement, les administrations financières françaises ont-elles-même reconnu le besoin de disposer de plus d'informations sur l'exposition du budget européen à moyen terme ;

- quatrièmement, l'administration financière européenne dispose assurément d'outils pour limiter tout ressaut de la contribution française, mais d'une part, ces outils ne suffiraient pas seuls à combler un choc important et, d'autre part, ils ne créent pas de richesse, ils contribuent simplement à atténuer les chocs.

S'agissant de sujets complexes, impliquant une multitude de décisions successives sur des instruments souvent conçus pour repousser et diffuser le risque, la tentation est grande d'éviter le sujet et de remettre à plus tard la gestion du risque occasionné par l'exposition du budget européen, en attendant que celui se matérialise effectivement.

Le rapporteur spécial est convaincu que les sommes en jeu sont trop importantes pour être ignorées et que le risque induit par certains instruments financiers est significatif. Il estime donc que le Parlement doit être mieux informé de l'évolution de l'exposition du budget européen et du risque d'un ressaut de la contribution nationale. Il recommande donc la communication d'une information enrichie et régulière à ce sujet, notamment dans le cadre de la documentation budgétaire. A minima, cette information pourrait être constituée d'une estimation maximaliste du risque encouru chaque année par le budget français, pondérée par une appréciation plus qualitative de l'administration financière sur la réalité de ce risque.

Recommandation n° 8 : Communiquer régulièrement au Parlement l'exposition du budget de l'UE, les passifs éventuels couverts par la marge de manoeuvre et le risque d'une hausse future de la contribution française au budget l'Union européenne (direction du budget).

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