B. LES EFFORTS DE STRUCTURATION ET DE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE POUR LE SPORT DE TRÈS HAUTE PERFORMANCE

1. La mise en place du programme prioritaire de recherche « Sport de très haute performance »

La France a longtemps accusé un retard vis-à-vis de ses principaux concurrents sur les questions de recherche, d'innovation et d'utilisation de la data à des fins d'amélioration de la performance sportive.

Dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, le Gouvernement a lancé en 2020 le programme prioritaire de recherche (PPR) « Sport de très haute performance ». Financé à hauteur de 20 millions d'euros sur cinq ans par le plan France 2030, ce programme est piloté scientifiquement par le CNRS et géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Il associe des équipes de recherche et des fédérations sportives dans un triple objectif : apporter des solutions scientifiques et technologiques aux sportifs de haut niveau pour atteindre la performance optimale ; transposer les avancées de la recherche à la préparation des athlètes en s'appuyant sur des projets appliqués et innovants ; réduire le retard de la France vis-à-vis de ses concurrents en matière de recherche et d'innovation dans le domaine sportif.

Ce PPR s'articule autour de neuf défis thématiques :

- l'équilibre de vie et l'environnement de l'athlète ;

- la prévention et le traitement des facteurs de risque ;

- la cognition et la préparation mentale ;

- les interactions homme-matériel et l'optimisation du matériel ;

- l'apprentissage et l'optimisation du geste sportif ;

- la quantification des charges d'entraînement ;

- les big data et l'IA au service de la performance ;

- la performance dans son environnement ;

- les spécificités du domaine paralympique.

Deux appels à projets ont permis de financer 11 projets de recherche impliquant 21 fédérations olympiques et paralympiques. Par ailleurs, l'Agence nationale du sport a apporté un soutien financier à deux projets complémentaires : un projet transversal sur l'effet des cycles menstruels sur les performances (EMPOW'HER) et un projet en neurosciences en lien avec la Fédération française de badminton sur les effets d'un entraînement d'aide à la prise d'information et de décision sur la performance des badistes en vue des jeux Olympiques de Paris.

Le financement de 11115(*) projets de recherche

Le PPR a permis le financement de 11 projets de recherche appliquée, menés en partenariat avec des universités, des grandes écoles, des instituts de recherche, des fédérations sportives et des structures d'entraînement.

Le projet NEPTUNE s'est penché sur l'optimisation du geste en natation en utilisant les données et l'IA, incluant la dimension handisport. Trois principaux axes de recherche ont structuré ce projet. Le premier a été le suivi automatique et les stratégies de course, pour lesquels les nageurs ont été suivis en compétition grâce à des caméras aériennes et sous-marines, tandis que leur squelette était modélisé grâce à l'intelligence artificielle. Le deuxième axe portait sur la coordination motrice et la propulsion, pour lesquelles l'objectif était d'utiliser des capteurs miniatures et portables pour améliorer la technique de nage et optimiser les trajectoires. Le troisième axe s'est intéressé à la résistance de l'eau, l'objectif étant de minimiser la traînée de l'eau pour optimiser l'efficacité et l'économie de nage.

Le projet FULGUR a cherché à identifier les facteurs de risque de blessures et à optimiser les charges d'entraînement. Pour ce faire, les chercheurs se sont intéressés au sprint, en étudiant les impacts de la course à haute vitesse sur les muscles, en décrivant avec précision la mécanique du sprint. Les chercheurs ont également étudié le profil musculo-squelettique de chaque athlète afin de développer des programmes d'entraînement individualisé, principale mesure de prévention pour réduire les blessures.

Le projet D-DAY a visé à optimiser les trois dernières semaines de préparation des nageurs de l'équipe de France précédant les jeux Olympiques puis Paralympiques de Paris 2024. Le programme a comporté trois étapes pour diminuer la fatigue des nageurs. Les chercheurs ont d'abord évalué la qualité de sommeil des nageurs grâce à des questionnaires, mais aussi grâce aux outils de la médecine du sommeil, comme des accéléromètres portés au poignet durant la nuit ou des capteurs frontaux pour enregistrer l'activité cérébrale. Une fois le niveau de fatigue cumulée estimé, des méthodes de diminution du niveau de fatigue ont été validées, telles que le recours à la cryostimulation, qui soumet les nageurs à des projections d'air à - 110 degrés pendant trois minutes après chaque entraînement. À partir de ces résultats, le but du programme a été d'accompagner les athlètes vers une routine de récupération adaptée et individualisée, selon leurs profils biomécanique, physiologique et psychologique. Les améliorations de performances sont estimées à 2 %, ce qui est considérable dans un sport de haut niveau.

Le projet TEAM-SPORTS s'est intéressé à la cognition et à la préparation mentale dans le sport de haut niveau, plus particulièrement pour les sports collectifs comme le rugby, le football, le volley-ball et le handball. Le but a été d'optimiser le management et d'améliorer les performances individuelles dans un contexte de groupe. Pour ce faire, le projet a cherché à mieux comprendre les phénomènes d'identité collective par une approche de l'identité sociale et de la théorie des émotions intergroupes. Ce projet de psychologie sociale et sportive s'est donc intéressé aux interactions, aux émotions, aux processus cognitifs et au contrôle moteur.

Le projet PARAPERF avait pour objectif de maximiser les chances d'obtenir un titre aux jeux Paralympiques de Paris autour de trois axes.

Le premier a consisté à analyser les performances des athlètes français, à modéliser leur trajectoire de progression et à les situer dans le contexte concurrentiel de leur discipline. L'objectif était de développer et d'adapter ces méthodes d'analyse aux spécificités des disciplines paralympiques, afin de mettre à disposition des staffs des outils d'aide à la décision. Cet axe de recherche devait permettre de caractériser les trajectoires de chaque athlète afin d'améliorer sa performance en fonction de son potentiel.

Le deuxième axe a visé à optimiser les performances des athlètes en fauteuil, 12 sports sur les 22 représentés aux jeux Paralympiques exigeant l'utilisation de fauteuils roulants manuels. L'objectif était d'optimiser chaque couple athlète-équipement par une évaluation individualisée et d'anticiper les risques de blessures en fonction de l'ergonomie et des conditions de pratique.

Le troisième axe a consisté à appréhender les facteurs socio-environnementaux favorables à la très haute performance en caractérisant les environnements psychosociaux les plus favorables. Cet axe a débouché notamment sur l'élaboration de guides destinés aux intervenants et aux athlètes.

Le projet Du carbone à l'or olympique a visé l'optimisation du matériel pour les épreuves de voile, sport très technologique dans lequel le matériel a un fort impact sur les performances. L'idée a été d'améliorer les propriétés mécaniques des matériaux, de permettre une meilleure interaction entre l'homme et son matériel et d'améliorer la confiance de l'athlète en lui-même et en son équipement.

Le projet HYPOXPERF 2024 a étudié les effets de l'entraînement en hypoxie sur la performance des sportifs. L'état d'hypoxie est utilisé par les sportifs pour augmenter leur ventilation, leur fréquence cardiaque et leur débit sanguin. Les performances sportives sont alors optimisées par l'augmentation de la production d'hémoglobine, et donc par une optimisation de la capacité de transport de l'oxygène par le sang. Ce programme a permis d'identifier les réponses hypoxiques individuelles en utilisant un entraînement en altitude/hypoxie. Il a également permis de valider certaines méthodes d'exposition ou d'entraînement hypoxiques pour les athlètes afin de maximiser leurs performances.

Le projet PerfAnalytics a exploité l'analyse vidéo et la biomécanique pour objectiver la performance gestuelle dans plusieurs disciplines, telles que l'escalade, le BMX, la gymnastique, la boxe ou la lutte. Par la numérisation des séquences sportives, la traduction de ces données en identificateurs de performances et la modélisation en biomécanique, ce projet a travaillé sur l'analyse du mouvement, le traitement vidéo, la biomécanique des mouvements et les statistiques du sport.

Le projet REVEA a utilisé la réalité virtuelle pour renforcer les capacités motrices et réduire les blessures, afin de réaliser des entraînements plus intenses sans augmenter les charges physiques associées. Elle permet aussi une évaluation objective des performances et des progrès des athlètes. Ce projet s'est intéressé principalement à la gymnastique, à la boxe et à l'athlétisme, disciplines dans lesquelles la réalité virtuelle peut améliorer la performance motrice des athlètes.

Le projet TrainYourBrain a exploré les interactions entre régulation mentale, fatigue et performance en escrime. Il a cherché à optimiser la préparation mentale des escrimeurs en vue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. L'escrime est un sport exigeant en termes de préparation mentale et un match peut basculer à un seul point près. Ce projet a caractérisé les exigences physiques et mentales spécifiques ainsi que la gestion de la fatigue tout au long de la compétition d'escrime au plus haut niveau de performance. Il s'est également intéressé aux stratégies de régulation nécessaires pour affronter une décision de l'arbitre et les émotions. Des méthodes innovantes d'entraînement psycho-physiologiques pour développer des stratégies adaptées de régulation perceptives, attentionnelles et émotionnelles ont été mises au point et évaluées auprès des athlètes. Un entraînement en endurance mentale a ainsi été mis en place auprès des escrimeurs pour leur permettre de mieux résister à la fatigue.

Le projet THPCA a cherché à modéliser et optimiser la production et la dissipation d'énergie dans les sports cyclistes et d'aviron. Dans ces deux sports, l'objectif est de maximiser la vitesse, ce qui implique de maximiser la puissance développée par l'athlète, de minimiser la dissipation d'énergie et d'optimiser le couplage entre l'athlète et son équipement. Le programme a étudié chacun de ces trois axes.

Source : Ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Au cours des six dernières années, les projets PPR « Sport de très haute performance » ont donc accéléré le rapprochement des communautés scientifiques, des fédérations sportives et du réseau Grand Insep (RGI)116(*) afin de mieux comprendre les éléments constitutifs de la performance dans les différentes disciplines sportives et d'identifier les besoins des entraîneurs des sportifs médaillables. Cent trente sportives et sportifs du cercle haute performance identifiés par l'Agence nationale du sport (ANS) ont pu bénéficier de cet accompagnement scientifique.

2. La structuration des sciences du sport
a) Une recherche longtemps cantonnée dans les laboratoires des Staps

La recherche sportive « à la française » a longtemps été principalement menée dans les laboratoires des unités de formation et de recherche des Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) qui s'intéressent à toutes les thématiques en relation avec le sport, les activités physiques sportives et artistiques ainsi qu'avec les sciences du comportement et du mouvement humains. La filière Staps regroupe une cinquantaine de structures universitaires réparties sur l'ensemble du territoire.

Parallèlement, d'autres structures de recherche, notamment dans les écoles d'ingénieur, ont travaillé avec des fédérations sportives. Ces projets de recherche et de coopération ont été financés par des appels à projets régionaux ou européens.

Enfin, jusqu'à la création de l'Agence nationale du sport, l'Insep disposait d'une enveloppe de 500 000 euros par an pour financer entre 20 et 30 projets de recherche. Entre 2009 et 2020, ce sont près de 200 projets qui ont été financés, favorisant le dialogue entre le monde scientifique et le monde sportif et contribuant au développement de collaborations souvent durables.

La désignation en 2017 de Paris comme ville organisatrice des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a permis d'accélérer la structuration de la recherche autour du sport de haut niveau.

b) Le lancement du programme Sciences2024

Le programme Sciences2024 est un programme de recherche collectif consacré à l'accompagnement des athlètes français dans leur quête de titres aux jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Lancé officiellement en septembre 2018, il regroupe 14 membres fondateurs : l'École polytechnique, le CNRS, l'école Centrale Lyon, l'École des Ponts ParisTech, les Arts et Métiers, l'Ensta, l'École navale, l'ENS de Lyon, l'ENS de Paris, l'ENS de Rennes, l'ESCPI, l'Insa de Lyon, l'Insep et le Centre national des sports de la Défense (CNSD).

Les membres de Sciences2024 ont été impliqués dans quatre projets de recherche financés par l'ANR dans le cadre du programme prioritaire de recherche « Sport de très haute performance » : le projet NePTUNE co-porté par l'École des Ponts ParisTech, le projet Du carbone à l'Or porté par l'ESPCI et l'École navale, le projet REVEA porté par l'Inria et le projet THPCA (Très haute performance en cyclisme et aviron) porté par l'École polytechnique. Au total, Sciences2024 a été impliqué dans plus de 50 projets de recherche concernant des disciplines aussi variées que le tir à l'arc, l'aviron, le rugby à XV, le cyclisme, l'athlétisme, la voile, le tennis de table, la boxe ou encore la natation. Les disciplines académiques mobilisées ont été principalement la physique, la mécanique et les mathématiques.

c) La création du groupement de recherche Sports et activités physiques

Le groupement de recherche (GDR) Sports et activités physiques a été créé en 2019 dans le cadre de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Il avait pour objectif de fédérer, dans une perspective de recherches pluri et interdisciplinaires, l'ensemble des acteurs du sport et de l'activité physique, en mettant en synergie les laboratoires de recherche, les industriels du sport et les usagers que sont les fédérations sportives, leurs athlètes et les citoyens.

Parmi les quatre axes scientifiques du GDR, deux correspondent directement aux problématiques soulevées dans la présente étude :

les facteurs humains et sociaux de la haute performance : le GDR vise à lever les verrous de la performance identifiés sur le terrain par les entraîneurs et les équipes de France à travers le développement de recherches interdisciplinaires ;

sports, santé et bien-être : cet axe entend explorer les freins et leviers à la pratique physique à toutes les étapes de la vie et examine les effets distincts et combinés de l'inactivité physique et de la sédentarité sur la santé physique et mentale ainsi que l'optimisation de l'activité physique adaptée.

Piloté par le CNRS, le GDR regroupe 150 laboratoires et plus de 1 100 chercheurs. Près de la moitié d'entre eux sont issus des sciences de la vie (physiologie, neurosciences et biomécanique), mais les sciences humaines et sociales sont également bien représentées (37 % des chercheurs). À l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, six sociétés savantes se sont coordonnées autour de la problématique « les enjeux des Jeux » et ont organisé plusieurs congrès et manifestations. Par ailleurs, un Réseau thématique pluridisciplinaire (RTP) dénommé Sports et sociétés a été fondé et a dressé l'état de l'art selon quatre axes : éducation et inclusion ; santé et bien-être ; emploi et tourisme sportif ; relations et circulations internationales.

Afin de promouvoir la recherche dans les domaines du sport et de l'activité physique, le GDR a lancé un programme de contrats doctoraux, dont plusieurs ont permis de soutenir des projets de recherche du programme Sciences2024.

À l'occasion d'une conférence117(*) dédiée à la recherche au service du sport et du parasport, Jean-François Robin, alors responsable adjoint du département de la recherche de l'Insep, a montré l'impact des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sur la structuration de la recherche autour du sport de haut niveau : « Il y a six ans, 76 chercheurs étaient identifiés comme travaillant sur le sport de haut niveau, aujourd'hui, ils sont près de 2 000. »


* 115 12 projets ont été retenus à la suite de l'appel à projets. Toutefois, le projet BEST-Tennis n'a pas été reconduit à l'issue de la première évaluation.

* 116 Il s'agit d'une organisation en réseau des centres d'entraînement et de formation de haut niveau maillant le territoire français (Creps, Écoles nationales, Centre national des sports de la Défense).

* 117 Conférence organisée le 29 juillet 2024 par le ministère chargé de la recherche et de l'enseignement supérieur au Club France.

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