Intervention de
Bérangère Couillard,
présidente du Haut conseil
à l'égalité entre les femmes et les hommes
Je vous remercie de votre invitation et d'avoir convié le Haut Conseil à l'égalité à intervenir lors de ce colloque, ainsi que pour l'organisation de cet événement très intéressant.
Il est indispensable de parler de ce phénomène et de le faire connaître, car beaucoup l'ignorent. Mieux le comprendre, c'est aussi mieux agir. Je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour en parler.
Je souhaite aborder l'activité du Haut Conseil de l'égalité, et plus particulièrement le sexisme, le masculinisme et les dangers qu'ils représentent. Notre rapport majeur de 2025 sur l'état des lieux du sexisme en France, publié le 20 janvier dernier, revient sur de nombreux thèmes abordés ce matin. Son objectif initial est d'évaluer l'évolution du sexisme grâce à un baromètre et à des questions posées à plus de 3 000 Français, mais nous avons cette année poussé l'analyse plus loin.
Nous avons constaté une forte polarisation de la société sur les questions d'égalité. Les jeunes femmes sont de plus en plus conscientes que leur quotidien est plus difficile que celui des hommes ; elles sont donc plus engagées et plus sensibles au féminisme. À l'inverse, les jeunes hommes expriment un sentiment d'incompréhension, voire de rejet, des évolutions de la société et sont de plus en plus attirés par les idées sexistes et masculinistes.
Ce constat nous a poussés à étudier les raisons de cette polarisation. L'une de nos conclusions est que l'éducation est l'un des piliers de ce sexisme persistant et qu'il faut agir de toute urgence, car nous n'élevons pas nos filles et nos garçons de la même manière. Le Haut Conseil à l'égalité appelle donc depuis de nombreuses années à l'adoption d'un programme d'éducation à l'égalité adapté à tous les âges.
Ces cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, dits EVARS, permettront de sensibiliser les enfants à la connaissance et au respect de leur corps et de celui de l'autre, mais surtout de déconstruire les stéréotypes et les normes sociales inégalitaires. Jusqu'à cette année, moins de 15 % des élèves en bénéficiaient, alors que ces cours ont été rendus obligatoires en 2001, à raison de trois séances annuelles pendant toute la scolarité. Nous en sommes loin.
Nous nous réjouissons donc que les différents ministres de l'Éducation nationale aient déployé ce programme depuis la rentrée de septembre. Au sein du Haut Conseil à l'égalité, nous serons très vigilants quant à son application réelle. Nous avons la conviction que c'est un levier d'une importance cruciale pour l'émancipation des enfants et pour atteindre une société égalitaire. D'ailleurs, neuf Français sur dix se sont exprimés dans notre baromètre comme étant favorables à un tel programme, ce qui démontre que l'opposition à ces cours est certes bruyante, mais très minoritaire dans notre pays.
Cette mesure, qui est la plus plébiscitée dans notre baromètre, est aussi celle que 70 % des Français considèrent comme la plus efficace pour faire bouger les lignes. Nous devons embarquer les hommes dans ce combat ; nous n'arriverons pas à lutter contre le sexisme sans eux. Je le vois, vous le voyez, les publics, lors de nos interventions, sont trop souvent exclusivement féminins. Or, 65 % des Français estiment que les hommes ont une responsabilité directe dans le sexisme, et neuf sur dix souhaitent qu'ils s'engagent.
Ce sexisme ambiant alimente un autre phénomène dangereux : la culture du viol. La commission « violences faites aux femmes » du Haut Conseil à l'égalité s'est penchée sur le traitement judiciaire des viols et agressions sexuelles et a rendu ses conclusions. En France, d'après le service statistique du ministère de l'Intérieur, 153 000 personnes majeures se sont déclarées victimes de viols en 2022, dont 82 % de femmes. Le viol est un fléau, l'incarnation la plus violente du patriarcat. Mais les violences sexuelles envers les femmes n'apparaissent pas spontanément. Elles ne viennent pas de nulle part, ne font pas partie de la nature humaine et ne sont pas des pulsions masculines incontrôlables. Leur origine est sociale. Cette culture du viol a des conséquences très concrètes : des remarques anodines pour celui qui les prononce, mais fatales pour les victimes, jusqu'à des formules pour excuser les agresseurs et, surtout, une remise en cause permanente de la parole des femmes.
Pourquoi est-ce que je vous parle de tout cela ? Simplement parce que cette société-là, c'est la société que les masculinistes défendent avec détermination. Ce contrôle des hommes sur les femmes, cette acceptation de la violence et de la domination, c'est le coeur de leur utopie. Ce sont ces fantasmes qu'ils crient à pleins poumons sur les réseaux sociaux à nos enfants, à nos garçons, à grand renfort de soi-disant formations pour devenir des « mâles alpha » et, plutôt, pour apprendre à humilier les femmes au quotidien. Le rapport sur l'état du sexisme en France publié en 2025 dressait déjà les conclusions d'une société qui changeait radicalement. Il évoquait alors les masculinismes. Les discours des antiféministes se sont durcis, leurs actions se multiplient et l'on assiste à un renforcement des stéréotypes de genre dans l'espace public.
Ce sexisme nourrit des thèses masculinistes qui développent une vision inégalitaire et essentialisante des rapports femmes-hommes. Ces discours se revendiquent comme un mouvement parallèle au mouvement féministe, comme si la haine des femmes et la promotion de la violence pouvaient être mises au même niveau que la lutte pour l'égalité et l'émancipation. Nous avons fait une erreur gravissime ces dernières années, et plus largement depuis l'émergence des réseaux sociaux. Les droits acquis et le relatif progrès obtenu ont pu nous faire croire que les masculinistes étaient anecdotiques. C'est faux. C'est un phénomène de masse, protéiforme et porté par une pluralité de vecteurs : réseaux sociaux, communautés en ligne, influenceurs, espaces de sociabilité, mouvements citoyens anti-choix. Ce phénomène s'est même mué en actions terroristes. C'est un phénomène général, qui n'est pas seulement animé par quelques figures montantes. Nous parlons de réseaux militants actifs, de mieux en mieux financés par des fonds privés étrangers venant de différentes parties du monde et portés par des courants politiques conservateurs, voire fascistes, qui voient là une nouvelle corde à ajouter à leur arc antirépublicain.
Je veux donc vous remercier d'avoir ouvert ce débat au Sénat, de travailler à mieux connaître ce phénomène et à trouver la meilleure façon de le combattre. Au Haut conseil à l'égalité aussi, nous nous sommes emparés du sujet. Conscients de son ampleur, nous consacrerons notre rapport 2026 sur l'état du sexisme en France spécifiquement à ces mouvements, en analysant leur idéologie, leur mode d'action et leurs effets. Nous avons intégré au rapport et au baromètre des éléments de mesure spécifiques permettant d'évaluer la porosité de la population au discours masculiniste. Ce rapport comportera un ensemble de recommandations à destination des pouvoirs publics, afin d'apporter des réponses concrètes, coordonnées et à la hauteur des enjeux. Nous ne pouvons pas regarder le train passer. Nous ne pouvons pas rester passifs face à ces discours et à ces actions qui empoisonnent le cerveau de nos enfants et de nos adolescents. Nous devons maintenant agir.
Mme Annick Billon. - Merci beaucoup chère Bérangère Couillard pour ce discours engagé et profondément inspirant.
Il me revient de conclure à la place de la présidente Dominique Vérien, qui a dû nous quitter.
Vous l'aurez compris, le masculinisme est l'expression de la détestation des femmes, le droit des hommes à exercer un contrôle sur elles. Sa diffusion est massive et dangereuse pour notre société, notre démocratie, la vie en société et les valeurs de la République. Elle n'a pas de frontières.
Il y a urgence à agir pour freiner, pour arrêter cette diffusion. Elle touche notamment les jeunes garçons en France, au moment de leur construction. L'urgence est donc absolue.
Il est aussi urgent de prendre conscience, de nommer les choses, de se donner les moyens d'agir. Ces moyens vont de l'éducation au blocage des sites, avec de nombreuses pistes qui ont été évoquées.
Je remercie toutes celles et ceux qui ont contribué à ce colloque : les intervenantes et intervenants pour la qualité de leurs analyses ; les collègues sénatrices et sénateurs pour la qualité de leurs questions ; et vous toutes et tous, ici présents, pour l'intérêt et l'engagement que vous manifestez dans cette réflexion.
L'égalité entre les femmes et les hommes est un principe fondamental de notre démocratie et de la vie en société. Lutter contre la diffusion des discours masculinistes, c'est donc un enjeu vital et c'est défendre notre démocratie elle-même.
Ce sera donc le travail de la délégation aux droits des femmes dans les prochaines semaines, avec nos trois rapporteures, Laurence Rossignol, Béatrice Gosselin et Olivia Richard, qui ont entamé ce matin une immersion pour lancer ces travaux.