CHAPITRE II - LES CONTRAINTES FINANCIÈRES

La souveraineté budgétaire de l'État est menacée à court terme par la montée de l'endettement public : au-delà du respect de nos engagements européens, c'est là le véritable enjeu de la lutte engagée pour réduire les déficits.

Le poids des prélèvements obligatoires exclut de solliciter à nouveau les recettes, et c'est une diminution sans précédent de la dépense publique qui devra s'opérer à partir de 1997.

I. DE LA RÉDUCTION DES DÉFICITS...

Le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire retient quatre raisons "qui motivent la réduction du déficit budgétaire" :

"- le déficit pèse sur le développement économique (...)

"- il faut redonner des marges de manoeuvre au budget de l'État (...)

"- l'effet "boule de neige" constitue à lui seul une raison de réduire rapidement le déficit (...)

"- la réduction du déficit doit nous permettre de participer à l'union monétaire. "

La diminution du déficit budgétaire, présentée comme un impératif depuis avril 1993, apparaît aujourd'hui comme une urgence absolue au moins pour deux motifs.

A. L'EFFET "BOULE DE NEIGE" DU DÉFICIT

1. Du creusement du déficit...

La récession de 1992-1993 a révélé avec brutalité l'ampleur de la dérive du déficit budgétaire : la commission Raynaud évaluait en avril 1996 le déficit "tendanciel" à 333 milliards de francs, la diminution des recettes par rapport aux prévisions étant estimée autour de 106 milliards de francs du fait du ralentissement de l'économie.

Ce quasi-doublement du déficit par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale justifiait en lui-même un effort d'économie, le Gouvernement se fixant au mois de juin 1993 un objectif de réduction du déficit de 333 à 317 milliards de francs.

Toutefois, la récession n'avait fait que révéler un phénomène déjà existant : le creusement autoalimenté du déficit.

2. ...à l'effet "boule de neige"

L'effet "boule de neige" du déficit est apparu clairement dans la loi du 24 janvier 1994 relative à la maîtrise des finances publiques : pour la première fois, une programmation du budget sur cinq ans permettait de faire apparaître le poids budgétaire du financement du déficit, avec une augmentation de la charge de la dette que ne suffisait plus à enrayer la simple maîtrise des dépenses.

C'est le poids de l'endettement public qui s'est alors révélé déterminant dans l'arrêt des orientations budgétaires pour les années à suivre : "la stabilisation, puis la réduction de l'endettement, est l'objectif prioritaire de la politique budgétaire. À moyen terme, seule la stabilisation de l'endettement permettra à l'État de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires. Le retour de la croissance ne suffirait pas, à lui seul, à compenser l'effet "boule de neige" de la dette (...) (Rapport annexé à la loi du 24 janvier 1994).

En effet, c'est la combinaison du solde primaire du budget (hors charges de la dette), mais aussi de l'écart entre taux d'intérêt et taux de croissance qui ont constitué les facteurs déclenchants de ce phénomène de "boule de neige". Des taux d'intérêt supérieurs aux taux de croissance ont enclenché un endettement cumulatif, qui n'aurait pu être enrayé que par un excédent primaire : au contraire, le solde primaire du budget s'est même révélé déficitaire à partir de 1992.

FRANCE - Budget État - Passage du déficit d'exécution (brut) au solde primaire

Source Cour des comptes

3. Illustrations

Calcul du solde primaire stabilisant la dette en 1996

Les relations décrites ci-dessus permettent de calculer le solde primaire stabilisant le ratio dette/PIB en 1996.

Sur la base d'une croissance du PIB en volume de 1,3 % en 1996 (et de 3,1 % en valeur), l'excédent primaire nécessaire en 1996 pour stabiliser la dette publique au sens de Maastricht à son niveau de 1995 (4.064,1 milliards de francs, soit 53,0 % du PIB) serait de 166 milliards de francs, soit 2,1 % du PIB, correspondant à un besoin de financement (y compris charges d'intérêt) des administrations publiques de 1,6 % du PIB en 1996 (à comparer aux 4 % actuellement prévus).

Simulation de l'évolution du ratio dette/PIB en 1996 et 1997

Compte tenu d'un déficit prévisionnel (4 % du PIB) supérieur au déficit permettant (selon le calcul présenté ci-dessus) de stabiliser le ratio dette/PIB, celui-ci passerait de 53 % en 1995 à 55,8 % en 1996.

En 1997, sous l'hypothèse d'un taux de croissance de 2,8 %, d'une inflation de 2 %, d'une stabilisation des taux d'intérêt à leur niveau d'aujourd'hui et du respect de l'objectif de déficit public au niveau de 3 % du PIB, la dette publique atteindrait 56,9 %.

Simulation de l'évolution du ratio Dette/PIB en 1996-1997

1995

1996

1997

Dette au sens de Maastricht (en MdF)

4.064

4.417

4.697

Besoin de financement* (a)

Flux nets de créances (b)

Variation de dette = (a) + (b)

315

37

352

250

30

280

PIB

7.675

7.915

8.261

Taux d'intérêt à court terme

Taux d'intérêt à moyen-long terme

6,6

7,5

4,2

6,3

4,2

6,4

* Corrigé de coupons courus

Simulation de l'évolution du ratio dette/PIB de 1998 à 2000
sous
l'hypothèse d'une stabilisation du déficit public au niveau de 3 % du PIB

Le tableau ci-dessous décrit l'évolution de la dette publique sous l'hypothèse d'une stabilisation du déficit public au niveau de 3 % du PIB et sous les autres hypothèses macroéconomiques suivantes : taux de croissance en volume de 2,5 % par an (soit le taux de croissance potentiel généralement estimé de l'économie française), inflation de 2 % et maintien des taux d'intérêt à leur niveau actuel.

Dans ces conditions, le ratio dette/PIB passerait de 56,9 % en 1997 à 59,3 % en 2000.

Il s'en dégage ce paradoxe -apparent- que le seuil de 3 % fixé par le Traité de Maastricht ne suffit pas pour stabiliser le ratio dette/PIB dans les pays à endettement "moyen" tel que la France, alors qu'il est au contraire suffisant dans les pays à fort endettement (Belgique et Italie) 4 ( * ) .

Simulation de l'évolution du ratio Dette/PIB de 1998-2000

1998

1999

2000

Dette au sens de Maastricht (en MdF)

Dette au sens de Maastricht (en % du PIB)

4.986

57,7 %

5.287

58,5 %

5.600

59,3 %

Besoin de financement* (a)

Flux nets de créances (b)

Variation de dette = (a) + (b)

259

30

289

271

30

301

283

30

313

PIB

8.637

9.030

9.440

* Corrigé de coupons courus

La nécessité de réduire les déficits et de dégager un excédent primaire stabilisant la part de la dette publique dans le PIB apparaît ainsi en toute clarté. Cette conclusion est confortée par les effets finalement assez réduits d'une inflexion des taux d'intérêt sur les charges de la dette.

Incidence d'une baisse taux d'intérêts

Le tableau ci-dessous décrit l'incidence pour les charges de l'État d'une baisse d'un Point des taux à court et long terme en 1997-1999. Cette variante est calculée par rapport à un compte central fondé sur l'hypothèse d'une légère remontée des taux courts et d'une détente durable des taux longs.

L'économie est de l'ordre de 3,7 milliards de francs la première année, car seule la charge d'intérêt à court terme est initialement affectée. Les économies supplémentaires réalisées les années suivantes (5,5 milliards de francs supplémentaires en 1998, 3,9 milliards de francs en 1999) résultent de l'émission à moindre coût de nouveaux titres pour financer les amortissements et les déficits budgétaires des années 1997-1998.

Il convient toutefois de remarquer que ces résultats ne peuvent être utilisés de façon mécanique, car ils sont fortement sensibles aux hypothèses retenues en matière de calendrier et de structure des émissions de titres d'État (part du court et du moyen-long terme). Ils dépendent également des hypothèses de finances publiques sur le moyen terme, les écarts au compte central étant évidemment liés au niveau et à l'évolution de la dette publique retenus dans ce calcul.

4. L'effet d'éviction des dépenses

a) La logique pluriannuelle

Déjà, la loi quinquennale de maîtrise des finances publiques tirait, en janvier 1994, les conséquences de la réduction du déficit sur le freinage des dépenses : compte tenu de la progression, même ralentie, de la charge de la dette, les autres charges de l'État devaient diminuer à partir de 1995.

b) 1994 : l'utilisation des plus-values fiscales

L'exécution du budget de 1994 a permis de contenir le déficit, comme prévu, à moins de 300 milliards de francs, mais l'évolution des dépenses : + 2,3 % , a été nettement supérieure à la norme quinquennale de + 0,5 %.

La progression des dépenses du budget général s'explique essentiellement par une ouverture de 32 milliards de francs de crédits dans le collectif de fin d'année, correspondant à une plus-value fiscale de même montant liée à une évaluation trop pessimiste des recettes. "Les principales ouvertures ont porté sur les budgets civils : financement de l'allocation de rentrée scolaire (4,6 milliards de francs), lutte contre l'exclusion (3,4 milliards de francs), intérêts sur la dette et garanties (3 milliards de francs hors remboursements et dégrèvements), emploi et formation professionnelle (3,3 milliards de francs), RMI (2,7 milliards de francs), aides personnelles au logement (2,2 milliards de francs), dotation générale de décentralisation (2,1 milliards de francs), dévaluation du franc CFA (2,1 milliards de francs). De même, une ouverture de 2,6 milliards de francs portait sur les dépenses militaires ordinaires (opérations extérieures)" (Direction du Budget).

c) 1995 : une sollicitation des recettes non fiscales

Dans le cadre de la loi quinquennale de maîtrise des finances publiques, le projet de loi de finances pour 1995 prévoyait une croissance des charges strictement égale à celle des prix, soit + 1,9 %. Les crédits initiaux nets se sont finalement établis à 1.487,6 milliards de francs, soit + 2,3 %.

Toutefois, devant la dégradation des recettes fiscales et la décision de ne pas affecter les recettes de privatisation au budget général, la loi de finances rectificative du 4 avril 1995 a dû aménager le scénario de la loi quinquennale : le déficit budgétaire de l'État devait désormais s'inscrire dans une diminution de l'ensemble des déficits publics à 5 % en 1995, 4 % en 1996, 3 %en 1997.

Le déficit annoncé pour 1995 a été en définitive de 323 milliards de francs, soit 4,2 % du PIB.

Selon la Cour des comptes, ( "Contribution en vue du débat d'orientation budgétaire", 30 avril 1996), le total des dépenses effectives s'établirait en 1995 à 1.596,7 milliards de francs, soit une progression de + 2,9 %. Les recettes auraient progressé de 5,3 %, sous l'effet d'une sollicitation importante des recettes non fiscales : 163,7 milliards de francs, soit + 9,7 %, avec notamment l'inscription d'un prélèvement de 18,5 milliards de francs sur le fonds de réserve et de garantie des caisses d'épargne, et un versement de 15 milliards de francs de la Caisse des dépôts et consignations.

Toutefois, la Cour estime que la progression des charges réelles a été supérieure, en raison de trois phénomènes :

1°) l'augmentation du taux de TVA affecté au BAPSA de 0,4 à 0,7 %, qui a permis de réduire de 18,7 à 9,1 milliards de francs le montant de la subvention du budget général à ce budget annexe.

2°) la création d'un compte d'affectation spéciale, le "fonds pour l'accession à la propriété", doté de 1 milliard de francs, qui a permis d'éviter d'abonder à due concurrence le budget de l'urbanisme.

3°) le report sur 1996 de 11,9 milliards de dépenses en équipement militaire, liée aux annulations (de régulation) et à la non disponibilité de fait des crédits reportés.

Au total selon la Cour des comptes, "une variation de l'ordre de 4 % traduirait mieux la situation réelle" de l'augmentation des charges.

d) 1996 : des choix difficiles

Compte tenu de l'objectif de réduction du déficit budgétaire de l'État à 3,5% du PIB, et d'une augmentation des recettes évaluée à + 5%, le taux de progression des dépenses est fixé par la loi de finances à + 1,8 %, inférieur à celui de la hausse des prix prévisionnelle (+ 2 %).

Étant donné la progression spontanée des dépenses de dette et de personnel de 33 milliards de francs, l'objectif d'accroissement total des dépenses contenu à 30 milliards de francs a imposé une marge de manoeuvre négative de - 3 milliards de francs.

* 4 Dans ces pays en effet, un déficit de 3 % signifie un excédent primaire élevé (6 % pour la Belgique, 8 % pour l'Italie) suffisant pour stabiliser la dette. L'Italie est par ailleurs un parfait exemple de la dynamique "explosive" de la dette : celle-ci est passée de 60 à 120 % du PIB entre 1980 et 1995, rendant l'ajustement nécessaire aujourd'hui pour stopper cette évolution particulièrement drastique.

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