Section III - Troisième partie de session de 1995 (26-30 juin 1995).

A. - Exposé de M. Maris GAILIS, Premier ministre de Lettonie. ( 27 juin 1995 .)

M. Maris GAILIS, s'adressant à l'Assemblée, se déclare très honoré de s'adresser à cette Assemblée parlementaire qui a tant fait pour que les principes de l'État de droit s'enracinent dans la société européenne. Comme le disait un philosophe américain, la capacité de l'homme à faire le mai rend la démocratie nécessaire et sa capacité à faire le bien la rend possible.

« Même si l'enthousiasme qui a accompagné les premiers jours de l'indépendance est retombé, les aspirations démocratiques du peuple letton demeurent intactes et son désir de participer à la construction européenne est entier. Depuis septembre 1991, la Lettonie participe activement aux travaux de l'Assemblée parlementaire et, même lorsqu'elle n'était représentée que par des invités spéciaux, elle a tiré profit de cette ouverture. Les résultats les plus notables ont été enregistrés dans l'harmonisation de la législation avec les normes européennes et la loi sur la citoyenneté - qui a bénéficié des conseils de l'Organisation - fournit désormais un bon exemple d'intégration à la communauté nationale.

« Les relations avec l'Union européenne ont également pris un tour nouveau très récemment et M. GAILIS se félicite que son pays puisse être présent à l'inauguration, demain, du nouveau bâtiment destiné à la Cour européenne des droits de l'Homme. Il forme le voeu que celle-ci puisse poursuivre dans sa nouvelle maison l'oeuvre engagée pour la défense des individus et l'amélioration du système juridique des États membres. Il rappelle à cette occasion que l'Assemblée élira demain un juge à la Cour au titre de la Lettonie.

« En signant la Convention européenne des droits de l'Homme, la Lettonie a confirmé son engagement démocratique et européen et, dans les quatre années qui avaient précédé son adhésion, elle avait mis en oeuvre dans sa législation un grand nombre de normes européennes en trouvant des solutions qui, dans le domaine relativement peu exploré de la naturalisation, peuvent avoir valeur d'exemple pour d'autres pays. Il en va de même pour l'autonomie culturelle et le financement par l'État de l'éducation dans les langues minoritaires.

« La Lettonie a également signé le 11 mai dernier la Convention-Cadre sur la protection des minorités. M. GAILIS souligne à cet égard que, malgré l'indépendance, les Lettons sont encore en minorité dans les grandes villes du pays. Pourtant, son pays a accordé une large et généreuse protection aux minorités nationales, conformément à une tradition d'accueil qui a été particulièrement forte dans l'entre-deux-guerres, notamment à Riga. Aujourd'hui, les minorités bénéficient de toutes les assurances qu'elles pouvaient souhaiter concernant la protection de leurs droits.

« Dès qu'elle est devenue membre du Conseil, la Lettonie a signé la Convention européenne des droits de l'Homme et le Gouvernement s'est attaché à la tâche difficile de mettre en conformité l'édifice juridique letton avec les normes du Conseil, y compris dans la jurisprudence. II n'est pas aisé en effet de se débarrasser de l'héritage soviétique en la matière et de mettre en place un système fondé sur d'autres principes plus conformes à l'idéal de l'État de droit. Le Conseil de l'Europe a accompli à cet égard un travail considérable pour aider la Lettonie, même si l'opinion publique n'en a pas toujours conscience.

« C'est pourquoi va s'ouvrir prochainement à Riga un centre de documentation sur les activités du Conseil, afin d'informer l'opinion publique et en particulier les jeunes. Ceux-ci seront d'ailleurs mobilisés par la Semaine européenne de la jeunesse, qui aura lieu du 6 au 12 juillet, autour du thème "tous différents et tous égaux", dans le cadre de la campagne contre la xénophobie et l'intolérance. La loi sur la citoyenneté a d'ailleurs prévu la création d'un conseil de la naturalisation qui a commencé ses travaux en janvier.

« En outre, le 12 avril, le Parlement a adopté une loi sur les citoyens de l'ancienne Union soviétique qui clarifie leur statut et apporte aux résidents permanents des garanties solides.

« Cette loi permet aux résidents permanents en Lettonie de disposer d'un passeport qui autorise à tous une réelle liberté de mouvements.

« La Lettonie se félicite de la déclaration faite le 10 novembre 1994 par le Comité des Ministres sur le respect des engagements contractés par les États membres. Elle estime que la surveillance des engagements doit se faire selon une approche objective, qui mettra en exergue d'éventuels problèmes.

« La Lettonie met tout en oeuvre pour harmoniser sa législation avec les impératifs européens, mais il serait naïf de croire que le seul fait d'adhérer au Conseil de l'Europe garantisse la fin de toute violation des droits de l'homme. Afin de prévenir ce type d'incident, forcément mineur et isolé, le Gouvernement letton a adopté un programme national pour la protection des droits de l'homme. Un projet de loi sur la création d'un bureau des droits de l'homme en Lettonie a été soumis au Parlement pour une première lecture.

« Il a pour but de fournir une information au public sur les droits de l'homme, sur les droits et les responsabilités de chacun, d'examiner les pétitions individuelles et d'y trouver des solutions négociées. S'il faut bien reconnaître que les valeurs fondamentales de l'Europe ne sont pas encore complètement garanties en Lettonie, celle-ci n'y arrivera que grâce à une intégration complète dans le tissu commun de l'Europe.

« De nombreuses mesures ont été prises afin de rendre l'économie compatible avec celle de l'Europe. L'inflation est en baisse. Les exportations vers l'Occident ont augmenté de quelque 50 % et les capitaux étrangers sont attirés grâce à une monnaie forte et un climat politique stable. Les réformes économiques ont pu être réalisées dans une période très brève.

« La Lettonie est heureuse d'avoir pu signer l'Accord Europe, à Luxembourg, le 16 juin. Celui-ci contribuera à une plus grande coopération avec l'Union européenne.

« En vue d'harmoniser sa législation avec celle de l'Union européenne, la Lettonie a créé un bureau pour l'intégration européenne. Le chemin est encore long, mais la Lettonie s'y est engagée pleinement. Elle est aidée dans son développement permanent par le Conseil de l'Europe et par l'Union européenne, qui mettent en oeuvre des programmes communs d'aides ciblées sur les besoins essentiels. La Lettonie devra coordonner les activités des organisations européennes, afin d'éviter les doubles emplois coûteux.

« La Lettonie se félicite de l'adhésion au Conseil de l'Europe de la Moldova, pays aux riches traditions. Elle est également favorable aux réformes qui ont été engagées en Albanie. Face à l'élargissement du Conseil de l'Europe, la Lettonie estime que cette Organisation doit continuer à défendre des objectif élevés, au risque de perdre sa crédibilité. La demande d'adhésion de la Fédération de Russie devra être examinée, mais il reste du chemin à faire à la Russie pour prouver sa volonté démocratique. Elle devra respecter davantage les obligations internationales. Ainsi, des officiers de l'armée russe se trouvent toujours illégalement en Lettonie. D'autre part, l'Ukraine a fait des efforts appréciables pour mettre ses lois en concordance avec les impératifs européens.

« La Lettonie organise ses premières élections démocratiques. Elle a beaucoup appris de ses erreurs passées et des organisations internationales qui lui apportent aide, conseil et soutien. En tant que pays membre le plus récent, elle connaît les efforts que doivent accomplir les candidats à l'adhésion et tient à leur faire part de son expérience.

« Le 4 avril dernier, les télévisions du monde ont montré la destruction du radar d'alerte précoce de Skundra, qui était le symbole le plus visible de la présence de l'Armée rouge en Lettonie : ce fut en quelque sorte un adieu à l'héritage soviétique et ce géant menaçant sera bientôt remplacé par une forêt. La Lettonie entend maintenant participer de la façon la plus active au concert européen, en bénéficiant de tous ses droits mais en se pliant à tous les engagements souscrits lors de son adhésion. »

B. - Discours de M. Josef ZIELENIEC, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, Président du Comité des Ministres, et question de M. Jean VALLEIX, député (RPR). ( 28 juin 1995 .)

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c'est la première fois que j'ai le plaisir, depuis que la présidence du Comité des Ministres incombe à la République tchèque, de présenter aux membres de cette Assemblée le rapport sur les activités du Comité des ministres. Toutefois, je souhaite auparavant souligner combien je me félicite de l'excellente coopération qui existe entre ces deux organes et à laquelle vous avez, Monsieur le Président, largement contribué par vos efforts personnels. J'ai également l'honneur de m'adresser à vous le jour qui précède l'inauguration du nouveau bâtiment des Droits de l'Homme par le Président de la République tchèque, M. Vaclav Havel, un événement dont l'importance symbolique n'échappera à personne.

« Lorsque le Comité des Ministres s'est réuni, à l'occasion de sa 96 e session ministérielle en mai dernier, nous avons axé les débats sur l'architecture institutionnelle de notre continent ou, pour employer une image légèrement différente, nous avons examiné la place et le rôle de notre Organisation dans le paysage institutionnel européen, actuellement en pleine évolution, à la lumière notamment des conséquences de l'élargissement de l'Organisation, à la suite du Sommet de Vienne.

« À cet égard, les ministres ont réitéré leur souhait d'accepter les États candidats à l'adhésion dès que possible, tout en maintenant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe, telles qu'elles sont énoncées dans la Déclaration de Vienne.

« J'aimerais à présent rendre hommage au rôle que votre Assemblée a joué pour maintenir ces normes et ces valeurs, assumant pleinement ses responsabilités en préparant ses avis sur les demandes d'adhésion, chaque demande étant examinée selon ses propres mérites. Hier, vous avez donné un avis positif sur la demande d'adhésion de la Moldova et nous pouvons toujours nous attendre à ce que demain, après que les commissions responsables aient procédé à un examen tout aussi minutieux du dossier, l'Assemblée pourrait se prononcer également sur le cas de l'Albanie.

« J'ai le plaisir de vous informer que je rentre d'une visite de ce pays, visite qui était en partie en rapport avec la procédure en cours par l'adhésion de l'Albanie au Conseil de l'Europe.

« Je tiens à rappeler que le Comité des Ministres a, pour sa part, décidé lors de sa session en mai dernier de renforcer le dialogue politique et les programmes de coopération avec les pays candidats à l'adhésion afin de les encourager à poursuivre sur la voie de la démocratie, de la protection des droits de l'homme et de l'État de droit.

« Dans le cadre de ce dialogue politique, nos délégués ont eu un échange de vues le mois dernier avec le ministre des Affaires étrangères du Bélarus, M. Uladzimir Syanko, peu de temps après le premier tour des élections parlementaires, à l'occasion duquel votre Assemblée a envoyé une mission d'observation, et après le quadruple référendum organisé dans ce pays. À la suite du second tour des élections et compte tenu des commentaires formulés par les observateurs de cette Assemblée, nos délégués ont décidé, la semaine dernière, de mettre davantage l'accent sur la liberté des médias dans le cadre de nos programmes de coopération avec ce pays. Cette décision s'inscrit bien dans ce que j'appellerai une "stratégie de préadhésion", sans que celle-ci ne préjuge du moment d'une telle adhésion.

« En outre, nos délégués examinent actuellement la demande d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine, demande signée par le regretté ministre des Affaires étrangères M. Irfan Ljubjankic, qui, peu de temps après, devait être victime de la violence qui ravage son pays depuis trois ans. J'aimerais rappeler, à ce propos, ce qu'a déclaré le Président de la République tchèque, M. Vaclav Havel, au Sommet de Vienne :

"L'ex-Yougoslavie constitue pour l'Europe la première grande épreuve et, actuellement, la plus manifeste depuis le début de l'ère qui a pris naissance avec la fin de la Guerre froide."

« Lors de notre session ministérielle de mai, nous avons déclaré que le processus d'élargissement devait s'intégrer dans une stratégie européenne globale. Par conséquent, nous avons mis l'accent sur la nécessité de poursuivre et d'approfondir notre coopération avec l'Union européenne et avec l'O.S.C.E.

« Cette session a été marquée par les interventions des plus remarquables du ministre délégué français aux Affaires étrangères et du ministre hongrois des Affaires étrangères, qui assuraient respectivement la présidence du Conseil de l'Union européenne et celle de l'O.S.C.E. Nous avons examiné les moyens d'approfondir cette coopération dans des domaines tels que les institutions démocratiques, les réformes juridiques, la protection des minorités nationales et les mesures visant à créer un climat de confiance.

« Pour ce qui est de l'Union européenne, nous espérons qu'une nouvelle réunion "quadripartite" avec le président du Conseil de l'Union européenne et le président de la commission européenne pourra avoir lieu avant la fin de la présidence tchèque, à la suite de celle tenue à Paris le 7 avril dernier, à l'occasion de laquelle il a été décidé de réexaminer l'arrangement de 1987 conclu entre les deux institutions.

« Tout comme cette Assemblée - je fais là allusion au rapport sur la politique générale de M. Masseret et à la Recommandation 1267 adoptée lors de votre dernière session parlementaire - le Comité des Ministres n'a pas attendu le Conseil européen, qui vient de se réunir à Cannes, pour engager sa propre réflexion sur un éventuel apport de notre Organisation à la conférence intergouvernementale de l'Union européenne qui s'ouvrira l'année prochaine. Nous poursuivons cette réflexion de manière intensive. Un comité ad hoc de délégués a été créé et votre Assemblée peut espérer recevoir sous peu une réponse à la recommandation présentée au nom de la commission des questions politiques, que, permettez-moi de l'ajouter, je me réjouis d'accueillir à Prague le 18 septembre prochain. Nous maintiendrons avec l'Assemblée les contacts nécessaires d'ici là.

« En ce qui concerne les relations avec l'O.S.C.E., je peux vous informer qu'il y a de fortes chances que nous tenions une deuxième réunion de haut niveau, dans le droit-fil de celle inaugurée sous la présidence de mon prédécesseur en février dernier, réunissant les deux présidents en exercice et les deux secrétaires généraux.

« Le séminaire sur la tolérance que notre Organisation et l'O.S.C.E. ont récemment organisé conjointement à Bucarest du 23 au 26 mai 1995 est un bon exemple d'une coopération des plus constructives. Cet événement a été l'occasion d'émettre d'importantes idées et de proposer des lignes directrices pour la campagne contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance, qui fut lancée lors du Sommet de Vienne et à laquelle nous attachons la plus grande importance. J'attends avec intérêt les conclusions de votre débat cet après-midi. Dans le cadre de ces activités, je soutiens pleinement la Semaine européenne de la jeunesse qui doit avoir lieu dans deux semaines.

« Je prends note avec intérêt du fait que, durant cette session, vous entendrez le président de l'Assemblée parlementaire de l'O.S.C.E., M. Frank Swaelen.

« Notre dernière session ministérielle a également été l'occasion d'exprimer notre satisfaction quant à l'adoption des modalités de mise en oeuvre de la "Déclaration sur le respect des engagements pris par les États membres du Conseil de l'Europe", adoptée en novembre dernier.

« Cette déclaration stipule notamment que :

"Le Comité des Ministres examinera les questions du respect des engagements concernant la situation de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit dans tout État membre qui lui seront référées :

"- par des États membres, ou

"- par le Secrétaire Général, ou

"- sur la base d'une recommandation de l'Assemblée parlementaire."

« En effet, la semaine dernière, nos délégués ont adopté une réponse intérimaire à la Recommandation 1266 (1995) relative à "l'intervention militaire turque dans le nord de l'Irak et au respect par la Turquie des engagements concernant la réforme constitutionnelle et législative".

« Vous avez certainement pris connaissance du texte de la réponse dans son intégralité ; je ne vous en rappellerai donc pas le contenu. Cette réponse contient bien une référence à notre déclaration sur le respect des engagements ainsi que sur "les possibilités offertes par les modalités non discriminatoires et coopératives" approuvées à la session ministérielle du 11 mai 1995.

« Le Comité des Ministres suivra de près le parachèvement, aussi rapide que possible, des réformes visant à consolider la démocratie et

à renforcer la protection des droits de l'homme en Turquie et ne manquera pas d'informer l'Assemblée parlementaire de l'évolution de ce dialogue.

« Nous espérons également que ce dialogue contribuera à surmonter les difficultés rencontrées actuellement en Turquie et nous souhaitons qu'un dialogue semblable puisse être engagé au sein de l'Assemblée parlementaire.

« La présidence tchèque attache une grande importance au "troisième pilier" de notre Organisation, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, créé il y a un an. J'en veux pour preuve la participation à la deuxième session du Congrès le mois dernier, au nom du Comité des Ministres, de notre Vice-Premier ministre, M. Jan Kaldova.

« Comme vous, Monsieur le Président, j'ai reçu récemment, du Président Tchernoff, le rapport du Congrès sur la démocratie locale en Albanie qui constitue un élément précieux pour évaluer la demande d'adhésion de ce pays.

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, les priorités de la présidence tchèque, qui a pris effet le 11 mai 1995 et prendra fin après notre réunion ministérielle en novembre prochain, sont de deux types : d'abord celles qui découlent essentiellement du Sommet de Vienne et ensuite celles qui reflètent la place de la République tchèque en Europe :

« - l'élargissement du Conseil de l'Europe et ses conséquences ;

« - une politique budgétaire sobre et bien ciblée de notre Organisation ;

« - la complémentarité de l'Organisation avec les autres institutions internationales ;

« - le respect des engagements pris par les États membres.

« En outre, nous aimerions démontrer par notre action que la République tchèque figure naturellement comme partie intégrante d'une Europe démocratique et qu'en plus elle est bien placée pour partager sa propre expérience de la transformation démocratique avec les pays qui se trouvent sur le chemin qui mènent à l'adhésion au Conseil de l'Europe ou qui y ont adhéré dans un passé récent.

« Je suis ravi de pouvoir dire que ces priorités coïncident largement avec les thèmes choisis pour la réunion de notre Comité Mixte vendredi prochain, qui devrait permettre la poursuite du dialogue fructueux entre les ambassadeurs et les membres de cette Assemblée.

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, permettez-moi de conclure en affirmant combien j'apprécie ce premier contact avec votre Assemblée dans son ensemble et avec chacun de ses membres, y compris avec ceux qui ont déposé des questions, auxquelles je me ferai un plaisir de répondre. »

Question de M. Jean VALLEIX .

« Monsieur le Président du Comité des Ministres, pouvez-vous apporter des précisions, dans la perspective de Maastricht II, sur l'état d'avancement de la réflexion des gouvernements membres du Conseil de l'Europe et sur l'approche des pays d'Europe centrale et orientale à l'égard de la conférence intergouvernementale de 1996 ? »

Réponse de M. ZIELENIEC . - « Je puis informer M. Valleix que les Délégués des Ministres ont décidé, à leur réunion de la semaine dernière, de créer un groupe de travail ad hoc ouvert à toutes les délégations et ayant pour mandat de commencer immédiatement à travailler à un document concis et équilibré sur la place et le rôle du Conseil de l'Europe dans la construction européenne, document qui pourrait constituer un apport à la préparation de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne en 1996.

« Le groupe de travail a tenu sa première réunion cette semaine et a examiné son programme de travail sous la présidence du représentant permanent de l'Espagne, ce pays assurant la présidence de l'Union européenne, le 1 er juillet 1995, et la présidence du Groupe de réflexion de l'Union européenne sur la conférence intergouvernementale. Le groupe se réunira à nouveau avant que les Délégués ne reprennent la discussion de la question au début de septembre.

« J'ajouterai que le groupe de travail tient compte des paragraphes pertinents de la Recommandation 1267 (1995) de l'Assemblée relative à la politique générale du Conseil de l'Europe, à laquelle les Délégués donneront une réponse dans les plus brefs délais.

« En ce qui concerne la seconde partie de la question de l'honorable parlementaire, j'aimerais souligner le fait que je prends la parole devant votre Assemblée en ma qualité de Président du Comité des Ministres et non pas en tant que représentant d'un groupe de pays d'Europe centrale et orientale. Par conséquent, je ne pourrais pas vous informer des approches individuelles de ces pays. Je pourrais vous donner quelques détails sur l'approche tchèque à la Conférence intergouvernementale, mais je ne considère pas cela approprié pour la même raison. »

LE PRÉSIDENT . - La parole est à M. Valleix pour poser une question supplémentaire.

M. Jean VALLEIX . - « Je tiens d'abord à remercier M. le Président du Comité des Ministres car, comme tous mes collègues, j'ai été très intéressé par les informations qu'il nous a apportées, et nous souhaitons un plein succès à ce groupe de travail.

« Monsieur le Président, d'aucuns parlent actuellement d'ancrage du Conseil de l'Europe à l'Union européenne. Ce n'est pas du tout mon analyse. Le Conseil de l'Europe est à la fois le notaire des droits de l'homme et le forum paneuropéen le mieux adapté à l'évolution de notre Europe.

« Dans cet esprit, quel est votre jugement en ce qui concerne l'identité du Conseil de l'Europe par rapport à l'Union européenne ? »

M. IELENIEC est persuadé à titre personnel que le Conseil de l'Europe a un rôle spécifique à jouer dans la défense des valeurs démocratiques et il pense que les différentes institutions européennes ont des fonctions complémentaires.

C. - Discours de M. Ingvar CARLSSON, Premier ministre de Suède, et question de M. Jean VALLEIX, député (RPR). ( 28 juin 1995 .)

M. Ingvar CARLSSON, s'adressant à l'Assemblée, rappelle, tout d'abord, que le Conseil de l'Europe est l'enfant de grands visionnaires de l'après-guerre qui se sont fondés sur l'héritage de la civilisation européenne - démocratie politique, idées de liberté, d'égalité et de solidarité, patrimoine culturel diversifié - pour promouvoir leurs idéaux. Nombreux sont les hommes politiques et les simples citoyens qui ont contribué au succès de l'Institution et imposé comme norme la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales. Cette oeuvre de consolidation de la démocratie se continue chaque jour et maintenant tous les Européens attendent avec impatience l'élargissement du Conseil.

L'orateur fait référence au film 1900 de Bernardo Bertolucci, qui raconte l'histoire contrastée de deux enfants nés en cette première année du siècle : un fils de grand propriétaire terrien joué par Robert De Niro, et un fils de journalier joué par Gérard Depardieu. Comme le siècle, ce film est l'histoire du fascisme, de la guerre, du progrès social ; le tracteur remplace les chevaux et les deux hommes échappent au rôle qui leur était apparemment dévolu en raison de leur naissance. C'est aussi l'histoire des pauvres qui s'organisent tandis que l'ordre ancien s'effondre.

Les hommes politiques ne sont pas des metteurs en scène : ils n'ont pas le pouvoir de créer ou de recréer la réalité, mais ils peuvent influer sur elle en édictant des lois, ils peuvent la façonner par leurs décisions économiques ou la part qu'ils prennent au débat public. Présentement, leur tâche est de jeter les bases de la société européenne du XXI e siècle et, si l'on imagine maintenant deux enfants nés en l'an 2000, la question à se poser est de savoir comment les aider à tirer le meilleur de leur vie. Il faut installer sur le continent une démocratie commune. Entre Sarajevo et Maastricht, entre le scénario de la désintégration et celui de l'intégration, il faut choisir le second. Il faut élargir l'Union européenne et commencer aussi tôt que possible les négociations avec les pays de Visegrad et les pays Baltes, en vue de leur adhésion pleine et entière. Il faut mettre au point un processus de décision qui soit efficace lorsque les États membres seront deux fois plus nombreux qu'aujourd'hui. Quant aux États candidats, il leur revient de se préparer à cette échéance et la Suède est prête à les y aider. En bref, l'Union européenne doit être réellement européenne, et non plus seulement une union de l'Europe de l'Ouest.

Il faut créer ensemble une démocratie qui mérite la confiance des citoyens parce qu'elle prendra en charge leurs préoccupations de tous les jours. L'Europe des peuples doit recevoir autant d'attention que l'Europe monétaire. L'économie doit en effet être mise au service des citoyens, et non l'inverse. Actuellement, la dette, les déficits et le chômage sont des fléaux qui ont placé la politique sous la dépendance des marchés financiers. Si l'on n'y remédie, les campagnes électorales de demain ne porteront pas sur les choix de l'avenir, mais sur les coupes à opérer dans les budgets !

En dépit d'une situation assez sombre, l'orateur croit que le climat économique va s'améliorer. On a parlé de « fin de l'histoire » et certains, jugeant sous l'influence de leur propre apathie face au chômage de masse, proclament qu'il n'y aurait plus de développement économique possible. Mais il reste encore beaucoup de besoins à satisfaire. Ceux qui ont renoncé doivent être aveugles aux possibilités de croissance future. La société de l'information et du savoir-faire est devenue une réalité, il faut satisfaire les besoins des personnes âgées, renforcer l'éducation et le secteur de la santé. L'unification de l'Est et de l'Ouest peut donner naissance à un énorme potentiel économique et il faut d'urgence reconstruire l'Europe en recherchant un développement durable.

Le problème est moins une croissance sans emplois que le chômage sans croissance. Il faut s'imposer une discipline budgétaire, mettre en pratique une stratégie de l'emploi et de la croissance partagée. Des propositions ont été faites et il ne faut pas les laisser échapper. La consommation publique doit se traduire par des investissements. L'argent actuellement utilisé pour compenser le chômage, pour verser des subventions ou pour renforcer les capacités militaires doit être employé à donner du travail. Rien n'est plus coûteux économiquement que les tensions sociales ou la criminalité.

Traditionnellement, la gauche a toujours été préoccupée par ce problème de l'emploi.

Si les Européens souhaitent éviter que la situation des nouvelles générations ne soit pire que la leur, il est temps qu'ils sortent de leurs tranchées et qu'ils réalisent ensemble ce qu'un État isolé ne peut plus faire seul pour stimuler l'investissement et la production. Réduire les déficits permettrait de diminuer le chômage de moitié dans dix ans. Et quel meilleur objectif pourrait-on avoir que de donner aux jeunes un bon emploi bien rémunéré, de leur assurer une citoyenneté fondée sur le respect des droits fondamentaux de la personne ?

Ceux que la morale à elle seule ne convainc pas devraient être convaincus par les impératifs économiques de l'absurdité des discriminations. Le problème n'est pas de savoir si l'Europe peut se permettre d'offrir l'égalité des chances mais de savoir si elle peut se permettre sexisme et racisme. Or, les Européens, qui considèrent avoir mis au point un système économique évolué, ont de l'égalité des chances une vision plutôt restrictive : mieux vaut, si l'on cherche un emploi, ne pas être une femme, ne pas être trop jeune et ne pas être immigré, surtout de couleur. Mieux vaut, aussi, être issu d'une famille qui a pu financer les études indispensables. Et, pourtant ! ce ne sont ni la couleur, ni la race, ni la religion qui doivent déterminer la situation d'un individu, mais bien ses qualités personnelles.

Lors de la conférence sur l'islam qui s'est tenue à Stockholm, l'un des participants a souligné qu'il ne pouvait y avoir d'affrontements entre civilisations car ceux qui s'affrontent ne sont pas civilisés. Quant à Gandhi, interrogé un jour sur ce qu'il pensait de la civilisation occidentale, il avait répondu : « Une civilisation occidentale ? Ce ne serait pas une mauvaise idée... » comment ne pas voir que l'identité européenne commune serait bien davantage que la simple addition des identités nationales ?

Quant à l'Union européenne, elle doit se faire le champion du libre-échange. Il n'y a aucune excuse à l'édification de barrières commerciales. L'Union devrait être le partenaire du reste du monde et notamment du tiers monde et privilégier la définition et l'application d'un ordre économique équitable et démocratique.

Les progrès accomplis récemment en matière de désarmement auraient semblé inconcevables il y a quelques années seulement. La Suède a été d'autant plus choquée par la décision française de reprendre les essais nucléaires, décision que M. Carlsson regrette profondément. Les générations futures doivent pouvoir compter sur l'engagement en faveur de la paix et du désarmement nucléaire de leurs aînés. La sécurité n'est pas seulement la sécurité militaire et elle n'est plus limitée aux États, mais étendue aux peuples. La Guerre froide a pris fin et il faut savoir s'adapter aux nouvelles réalités en définissant un système de sécurité coopératif et transparent, ce qui est parfaitement possible.

Le rôle du Conseil de l'Europe est vital puisqu'il s'acharne à faire respecter les droits de l'homme et qu'il contribue ainsi à la prévention des conflits. Mais l'Union européenne doit parvenir à se doter d'une politique étrangère et de sécurité commune et consacrer davantage de moyens à cet objectif. Une force de travail permanente devrait être créée à cette fin, qui travaillerait en coopération très étroite avec l'O.S.C.E. Il est également parfaitement concevable d'imaginer une Europe « immunisée » contre la guerre et sachant régler les conflits non par l'usage de la force mais par celui du droit.

Concevable, certes, mais quand ? M. Carlsson n'est pas en mesure de fournir un calendrier. Plus on avancera lors de la conférence intergouvernementale de 1996 et mieux ce sera, mais il ne s'attend à aucune révision déchirante, ne serait-ce que parce que les dispositions prévues dans le Traité de Maastricht n'ont pas encore été toutes mises en oeuvre. Un cadre juridique existe qui peut encore être amélioré, il espère pour sa part qu'il sera débattu publiquement de l'Europe que veulent les citoyens. Toute décision doit être claire et offerte au débat.

Les citoyens souhaitent que les hommes politiques se préoccupent davantage de leurs problèmes. Le conflit entre fédération et confédération devrait pouvoir se résoudre par une division du travail : la commission et le Parlement doivent avoir le droit de lancer les procédures et de prendre l'initiative - même si le Parlement parle de codécision tandis que les décisions effectives doivent être prises au plus près des citoyens dans le cadre national. Ce qui importe donc pour répondre aux attentes des opinions publiques est moins un changement institutionnel de l'équilibre du Conseil qu'une transparence accrue.

Lorsque l'Europe parlera d'une voix unique on pourra rendre moins étroits les liens avec les nations mais, actuellement, les petits pays ne comprendraient pas qu'ils soient écartés du processus de décision. Le débat théologique sans fin sur la souveraineté et la subsidiarité ne doit pas cacher l'essentiel : il faut plus d'Europe, plus de coopération, plus de politique et de décisions politiques, fondées sur une vision du potentiel réel du continent. Les responsables doivent penser qu'ils jettent les bases de la société dans laquelle leurs enfants et leurs petits-enfants vivront, ils doivent préparer non pas les prochaines élections mais le prochain siècle et se préoccuper en priorité non de leurs électeurs mais des générations futures.

À une question sur le problème de la sécurité qui se poserait en de nouveaux termes dans la mesure où le Traité de Maastricht établit un lien entre l'Union et l'U.E.O. : dans la perspective d'une conférence intergouvernementale, la neutralité suédoise ferait sans doute objet de débat, M. CARLSSON a répondu qu'il pense qu'en effet le thème de la sécurité sera abordé lors de cette conférence. Pour le deuxième pilier, l'Union européenne a fait appel à l'Union de l'Europe occidentale comme instrument de la coopération entre les États membres. Ceux-ci ont cependant le choix entre adhérer ou non à l'U.E.O. : en ce qui la concerne, la Suède a décidé de n'y être qu'un observateur attentif.

Quant à ce qui se passera à long terme, il est évidemment difficile de le prévoir mais la Suède est bien déterminée à ne pas opposer son veto à une coopération militaire plus étroite au sein de l'Union ou à un renforcement de l'U.E.O. Celle-ci se transformera peut-être, par exemple, en instrument de maintien de la paix. Cela ne gênerait nullement la Suède qui, même lorsqu'elle appliquait une politique de neutralité stricte, a participé à toutes les opérations de maintien de la paix et qui aujourd'hui entretient 1 300 soldats dans l'ex-Yougoslavie. Le pays refusera de s'isoler ou de se soustraire à sa part du fardeau commun. Mieux même, il entend mener une politique de coopération active comme le prouvent les propositions que vient d'énoncer M. Carlsson en faveur d'un système d'alerte précoce. Cela étant, la situation évolue rapidement et des possibilités nouvelles s'ouvriront peut-être dans cinq ou dix ans.

M. Jean VALLEIX, député (RPR) , a interrogé M. CARLSSON en ces termes :

« Monsieur le Président, nous n'avons jamais autant parlé de défense dans cette enceinte. Vous-même, M. le Premier ministre, avez introduit avec force le sujet, en évoquant les expériences nucléaires françaises. À cet égard, les observateurs ont pu vous rendre compte du débat qui s'est instauré, la semaine dernière, à l'U.E.O.

« J'ai noté votre engagement au sujet de la Bosnie, mais j'ai relevé des propos contradictoires. Vous souhaitez une sécurité commune, tout en parlant de pays « militairement non alignés ».

« Vous avez aussi parlé d'une capacité militaire qui pourrait s'orienter - pourquoi pas, étant donné la fin de la Guerre froide ? - vers une réduction. Cependant, comment pourrons-nous assurer la sécurité commune si tous les pays réduisent leurs moyens ?

« Ma question est par conséquent la suivante, Monsieur le Premier ministre : comment conciliez-vous un désengagement, vers lequel vous semblez orienter votre propre pays - sur le plan militaire, compte tenu des réductions budgétaires, et dans un contexte de repli de l'industrie des armements générant des problèmes d'emploi - avec une sécurité tant de la Baltique que de l'Europe à laquelle vous avez porté intérêt ?

« Se dessine, à mon sens, plutôt une contradiction qu'une perspective de conciliation. »

M. CARLSSON répond à M. Jean VALLEIX que l'histoire de la Suède montre que ce pays est loin de s'être isolé du reste du monde, La Suède est un membre particulièrement actif des Nations Unies et les forces qu'elle a détachées fréquemment au service du maintien de la paix s'élèvent à 75 000 hommes. Elle a par ailleurs mis au point des matériels militaires sophistiqués, ce qui lui a coûté très cher, et contribué ainsi à la sécurité européenne commune. Mais le fait est que la Guerre froide est terminée et que les problèmes de sécurité se posent maintenant d'une manière différente. Les institutions existantes doivent être adaptées aux nouvelles réalités et il faut absolument renforcer la coopération transfrontalière.

Les questions de défense, qui relevaient traditionnellement des Parlements nationaux, doivent être traitées autrement si l'on veut agir efficacement. En tout état de cause, la Suède ne s'isolera pas : elle entend bien, au contraire, donner des preuves pratiques de son engagement européen et de son sens des responsabilités.

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