INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 16 octobre dernier, la Commission européenne a adopté deux propositions de règlement relatives au pacte de stabilité et deux autres propositions de règlement relatives à l'euro. Ces quatre textes ont été soumis au Sénat, en application de l'article 88-4 de la Constitution, le 23 octobre.

Compte tenu de l'importance du dispositif proposé et du calendrier des travaux communautaires, la Délégation a commencé, dès le 29 octobre, d'examiner ces textes.

Afin que la procédure de mise en oeuvre de l'article 88-4 puisse permettre au Sénat de voter une résolution sur ces textes avant que le Conseil ne les adopte, la Délégation a, le 6 novembre, chargé son rapporteur, M. Xavier de Villepin, de déposer à titre personnel une proposition de résolution ; celle-ci a été déposée sur le Bureau du Sénat le 7 novembre.

De plus, afin que tous les sénateurs puissent disposer, en un seul document, des éléments d'information essentiels concernant ces propositions, elle a publié, le 12 novembre, un rapport d'information de M. Xavier de Villepin sur " la mise en place de l'euro ".

Enfin, elle a chargé son Président de demander l'inscription en séance publique de la proposition de résolution déposée par M. Xavier de Villepin.

Saisie par la commission des finances qui lui a demandé, par lettre du 21 novembre, de lui donner son avis sur ces propositions, la Délégation s'est réunie en toute hâte et a adopté, le 26 novembre, l'avis qui a été aussitôt communiqué à la commission des finances.

Malgré toute la diligence dont elle a fait preuve afin de déclencher, puis de soutenir la procédure qui devait conduire à l'adoption d'une résolution du Sénat sur ces textes fondamentaux pour la mise en place de la monnaie unique, la Délégation n'a pu que constater, le 10 décembre, que non seulement la proposition de résolution de M. Xavier de Villepin n'avait pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat du mois de décembre, mais que, à ce jour, la commission des finances n'avait encore retenu aucune date pour le premier examen de celle-ci. De ce fait, le Sénat se trouvera dans l'impossibilité d'adopter une résolution avant le Conseil européen de Dublin.

Certains membres de la Délégation ont d'autant plus regretté que le Sénat ne se soit pas prononcé sur ces textes qu'ils ont craint que l'on puisse interpréter ce silence comme une acceptation totale et sans nuance des propositions de la Commission européenne.

C'est pourquoi la Délégation a décidé de publier, sous la forme d'un rapport d'information, l'ensemble des travaux qu'elle a menés sur ces propositions depuis le 29 octobre jusqu'au 26 novembre, date à laquelle elle a adopté l'avis qui constitue à ce jour la seule expression d'un organe du Sénat sur ces textes.

I. LES RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION DU SÉNAT POUR L'UNION EUROPÉENNE

A. RÉUNION DU MARDI 29 OCTOBRE 1996

La réunion a été consacrée à une première information sur les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720 relatives à la mise en place de l'Euro (cadre juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de change).

M. Jacques Genton , président, a souligné que la réunion de la délégation portait sur sept textes communautaires : trois communications de la Commission, trois propositions de règlement qui devraient être adoptées prochainement par le Conseil ainsi qu'une dernière proposition de règlement, qui ne pourra être adoptée formellement par le Conseil qu'en 1998, mais devrait néanmoins faire prochainement l'objet d'un accord politique. Ces textes visent tous à permettre la mise en place de la monnaie unique. Six d'entre eux sont regroupés en deux documents déposés sur le Bureau du Sénat, en application de l'article 88-4, sous les numéros E 719 et E 720. Ces deux documents ont été enregistrés le 23 octobre 1996. D'après la circulaire du Premier ministre de juillet 1994, la délégation et le Sénat ont donc jusqu'au 22 novembre 1996 pour faire savoir au Gouvernement s'ils souhaitent s'exprimer à leur sujet.

M. Jacques Genton a ajouté que M. de Villepin, qui est depuis longtemps le spécialiste de la délégation du Sénat sur les questions monétaires, avait en conséquence souhaité que, sans tarder, la délégation soit le plus complètement possible informée sur le contenu de ces textes et sur leurs implications.

M. Xavier de Villepin a alors commenté un tableau mentionnant, pour chacun des Etats membres, sa situation au regard du respect des critères de convergence établis par le Traité de Maastricht. Il a souligné que la France poursuivait son objectif d'abaissement du déficit budgétaire selon le calendrier qu'elle s'est fixé, à savoir 5 % du produit intérieur brut (PIB) en 1995, 4 % en 1996 et 3 % en 1997.

Les propositions en cours d'examen résultent de l'accord intervenu au cours du Conseil européen de Madrid de décembre 1995 et du Conseil des ministres de l'économie et des finances qui s'est déroulé les 20 et 21 septembre 1996 à Dublin. Elles portent sur :

- le statut juridique de l'Euro ;

- le pacte de stabilité budgétaire auquel devront souscrire les pays de l'Union européenne qui adopteront une monnaie unique au 1 er janvier 1999 ;

- le fonctionnement du nouveau système monétaire européen (SME-bis).

Le pacte de stabilité budgétaire fait l'objet de deux propositions. La première est un règlement du Conseil relatif au renforcement de la surveillance et de la coordination des situations budgétaires ; il est fondé sur l'article 103, paragraphe 5, du Traité. La seconde est un règlement du Conseil relatif à l'accélération et à la clarification du déroulement de la procédure des déficits excessifs ; il est fondé sur l'article 104 C, paragraphe 14, du Traité.

Le premier règlement définit ce qu'est un " programme de stabilité ". Il comprend comme objectif l'excédent ou l'équilibre des finances publiques des Etats membres, les variations conjoncturelles annuelles du déficit budgétaire ne pouvant excéder 3 % du PIB. Le second règlement porte sur les sanctions applicables aux Etats qui ne respectent pas le critère d'équilibre des finances publiques. Il fixe un délai de dix mois à chaque pays pour le rétablissement de ses comptes publics, faute de quoi le Conseil pourra, à la majorité pondérée des deux tiers des Etats participant à l'Euro - la voix de l'Etat concerné n'étant pas prise en compte -, infliger des sanctions à ce pays. La sanction comprendra un montant fixe égal à 0,2 % du PIB plus un cinquième de l'écart entre le déficit réel et la valeur de référence maximale de 3 % fixée par le traité. La sanction sera néanmoins plafonnée à 0,5 % du PIB.

L'ensemble des quinze Etats membres de l'Union européenne participent aux négociations et à l'adoption, avant la fin de 1996, du pacte de stabilité budgétaire. Toutefois les dispositions du traité précisées par ces deux règlements ne s'appliqueront qu'aux Etats participant à la monnaie unique :

- à compter du 1 er juillet 1998 pour les procédures de surveillance renforcées des déficits publics ;

- à compter du 1 er janvier 1999 pour l'application des sanctions de la procédure des déficits excessifs.

M. Xavier de Villepin a indiqué que le cadre juridique de l'utilisation de l'Euro s'appuyait sur deux propositions de règlements du Conseil. La première proposition de règlement, qui est relative à l'introduction de l'Euro, porte sur la confirmation du nom de l'Euro à la place du terme générique d'écu " employé dans le traité, sur la date d'introduction des billets et pièces libellées en Euro (1 er janvier 2002 au plus tard), sur la continuité des contrats libellés en écus ou en monnaies nationales et sur l'équivalence entre l'Ecu panier et l'Euro au taux de un pour un.

Ce règlement, qui est basé sur l'article 109 L du traité, ne pourra s'appliquer qu'à compter de 1998, lorsque la liste des pays participant à la monnaie unique sera connue. Or il semble nécessaire, dès maintenant, d'établir la sécurité juridique pour les opérateurs du marché. C'est pourquoi un second règlement, qui fixe certaines dispositions relatives à l'introduction de l'Euro, est proposé sur la base de l'article 235 du traité. Il a le même objet que le premier. Le rapporteur a souligné que le recours à l'article 235 du traité pourrait présenter un risque juridique dans la mesure où la Cour de justice des Communautés, dans son avis 2/94 du 28 mars 1996, avait marqué les limites de l'utilisation de cet article en déclarant qu'il ne peut ouvrir la voie à une modification du Traité.

M. Xavier de Villepin a encore indiqué que la mise en place d'un nouveau SME, demandée notamment par la France - d'abord au Conseil européen de Madrid de décembre 1995, puis au Conseil des ministres de l'économie et des finances de Vérone des 12 et 13 avril 1995 - était possible sur la base de l'article 103 § 5 du traité. A l'heure actuelle, la Commission n'a présenté qu'une communication, non assortie de propositions de législation formelle. Cette communication n'a pas été transmise au Parlement français dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution au motif qu'elle n'est pas accompagnée de propositions législatives formelles.

Le nouveau mécanisme de change incitera les Etats membres qui n'auront pas adopté la monnaie unique à des efforts de convergence et de discipline ; en ce sens, il devrait régir :

- les relations bilatérales entre l'Euro et les monnaies des Etats membres non participants, l'Euro étant le point d'ancrage du SME bis ;

- la fixation des taux pivots et des marges de fluctuations dans le cadre d'une procédure commune associant le Conseil, les gouverneurs de la Banque centrale européenne et des banques centrales des Etats membres non participants, ainsi que la Commission.

Les marges de fluctuations seraient larges et l'intervention aux marges serait automatique, sauf mise en péril de la stabilité des prix. Le rapporteur a souligné la réticence de la Grande-Bretagne sur ce dernier point. Il a encore indiqué que l'accord de la Grande-Bretagne était nécessaire pour l'adoption du règlement sur l'introduction de l'Euro avant la troisième phase de l'UEM ainsi que pour celle du règlement sur le pacte de stabilité, puisque ces textes doivent être pris à l'unanimité des Quinze.

M. Xavier de Villepin a expliqué que ces textes devraient faire l'objet d'un accord politique lors du Conseil européen des Chefs d'Etat et de Gouvernement qui se réunira à Dublin les 13 et 14 décembre prochain. Pour préparer les travaux du Conseil européen, le Conseil des ministres de l'économie et des finances examinera le 11 novembre prochain la communication de la Commission sur le nouveau système de change. Le Conseil des ministres des finances examinera le 2 décembre les propositions de règlement sur le statut de l'Euro et sur le pacte de stabilité financière, étant entendu qu'un des deux règlements concernant l'Euro (celui basé sur l'article 109 L § 4) ne pourra être formellement adopté par les Etats qu'à partir du moment où sera connue, en 1998, la liste des Etats faisant partie de la monnaie unique.

Compte tenu de ce calendrier, M. Xavier de Villepin a conclu que la délégation et le Sénat ne pouvaient intervenir efficacement qu'avant la réunion du Conseil européen et du Conseil des ministres des finances, c'est-à-dire avant le 2 décembre 1996. Devant l'importance de ces textes, il lui a semblé nécessaire d'ouvrir un débat, d'abord en délégation, puis ultérieurement en séance publique, après avoir entendu le ministre de l'économie et des finances le 14 novembre 1996.

M. Christian de La Malène s'est étonné du recours à des propositions de règlement du Conseil pour la mise en place d'un pacte de stabilité budgétaire en Europe. Il s'est demandé si un engagement d'une telle importance en matière de finances publiques - qui n'est pas sans implications constitutionnelles pour la France - pouvait résulter d'un acte communautaire ou s'il nécessitait un traité international. Il a rappelé que les parlements nationaux s'étaient constitués dans le passé pour consentir l'impôt et a souhaité que l'on examine si la Constitution française permettait de limiter ainsi le pouvoir budgétaire du Parlement.

M. Paul Loridant , exprimant son accord avec les propos de M. Christian de La Malène, a craint que l'entrée dans l'Union monétaire ne ressemble à l'entrée dans la vie monacale et que les Etats ne soient enserrés par des règles de plus en plus contraignantes. Notant que le nouveau mécanisme de change résultait d'une initiative de la Commission et du Conseil et qu'il n'était pas prévu par le Traité, il a estimé que le Parlement devait en être saisi. Le pouvoir exécutif s'est démuni du pouvoir monétaire en le remettant aux Banques centrales ; il est en train de s'amputer du pouvoir budgétaire ; il est temps, a poursuivi M. Paul Loridant, que l'on consulte les Français soit par la voix de leurs représentants au Parlement, soit par celle du référendum.

M. Gérard Delfau a déclaré que les questions formulées par M. Christian de La Malène lui paraissaient d'une grande importance. Tout en réservant en l'état ses conclusions, il a craint que le Gouvernement ne se soit imprudemment avancé et a estimé que le Parlement ne pouvait être dessaisi. Aussi la délégation du Sénat pour l'Union européenne doit-elle se saisir de ces propositions et provoquer un débat en séance publique, sanctionné par un vote. D'ici là, il convient de s'informer le plus complètement possible. Il s'est dit choqué de la prise de position récente d'un ministre allemand mettant en cause les déclarations d'un député français, ancien Premier ministre, M. Laurent Fabius. Le débat qui se noue actuellement et qui inquiète certains, a-t-il conclu, est essentiel et ne saurait être étouffé.

M. Jacques Genton , président, a souligné que la mise en place d'un nouveau système monétaire européen avait été demandée par les Français, et répondait à une préoccupation exprimée par des groupes parlementaires du Sénat et des membres de la délégation.

M. Xavier de Villepin a répondu aux différents intervenants. De son point de vue, les propositions d'actes proposées par la Commission européenne s'inscrivent parfaitement dans le cadre juridique du Traité de Maastricht : elles ne constituent pas une surprise et s'inspirent directement de l'esprit du traité. Le nouveau mécanisme de change européen est indispensable pour éviter de nouvelles dévaluations compétitives comme celles qu'on a connu en 1992. Le pacte de stabilité est également souhaitable pour une meilleure efficacité des finances publiques des Etats. Il convient néanmoins d'examiner les éventuelles difficultés juridiques qui pourraient se poser et suivre les développements de ces questions dans les autres Etats membres de l'Union européenne.

La délégation a ensuite entendu M. Jean-Paul Fitoussi, Président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Celui-ci a d'abord répondu aux quatre questions qui lui avaient été posées par M. Xavier de Villepin.

La première question portait sur l'éventuel effet récessif que pourrait avoir le pacte de stabilité budgétaire s'il s'accompagnait d'une politique restrictive de la Banque centrale européenne.

M. Jean-Paul Fitoussi
a estimé que l'on était confronté à une incertitude quant au comportement des autorités monétaires et quant au comportement des autorités politiques, dans la mesure où l'on ne sait pas encore quel sera le contrepoids politique à la Banque centrale européenne. De manière générale, une politique monétaire restrictive entrave la réduction du déficit budgétaire, car elle en accroît le coût en termes d'emplois et d'activités, tandis qu'une politique monétaire expansionniste facilite la réduction de l'endettement des Etats. Si la politique monétaire européenne était trop restrictive, les efforts pour respecter le pacte de stabilité pourraient être d'autant plus déstabilisateurs pour l'activité et l'emploi que les Etats arriveront, lors de l'adoption de la monnaie unique, à la limite des critères. La question fondamentale, a poursuivi M. Jean-Paul Fitoussi, est de savoir comment un Gouvernement peut agir pour régler les problèmes quotidiens des populations dont il a la charge lorsqu'il n'a plus la maîtrise ni de la politique monétaire, ni de la politique budgétaire ; une bonne politique structurelle ne peut en effet compenser les effets d'une mauvaise politique macro-économique.

La seconde question concernait les éléments qui devraient être pris en compte pour influer sur la parité de l'Euro.

Un pays, a expliqué M. Jean-Paul Fitoussi, est dans une situation de compétitivité satisfaisante si trois conditions sont simultanément réunies : il doit avoir un taux d'inflation voisin de celui de ses partenaires ; il ne doit pas avoir de déséquilibre extérieur important dès lors que le taux d'intérêt est supérieur à son taux de croissance ; il doit avoir une situation d'emploi et de croissance similaire à celle des autres pays. Si les deux premières conditions sont remplies pour la France et pour l'Europe, en revanche l'Europe - et la France en particulier - souffrent depuis la fin des années 80 d'un chômage de masse qui prouve que les conditions d'une bonne compétitivité économique ne sont pas réunies. L'explication tient à une surévaluation des monnaies européennes, notamment du mark, de l'ordre de 20 % par rapport au dollar. On peut craindre une surévaluation identique de l'Euro. Cette situation est particulièrement défavorable lorsque l'inflation est faible ou inexistante, comme c'est le cas actuellement. On inflige alors aux entreprises une perte de compétitivité qui ne peut être compensée que par la baisse de la masse salariale (licenciements et modération salariale).

M. Jean-Paul-Fitoussi a estimé que, pour la future parité de l'Euro, il était essentiel de prendre en compte ces quatre variables (différence des taux de chômage, différence des taux de croissance, différence des taux d'inflation et différence des déficits extérieurs) qui constituent autant d'éléments objectifs déterminant les parités d'équilibre ; il a souligné que cette analyse était cohérente avec les différentes théories économiques, qu'elles soient libérales ou interventionnistes.

La troisième question était relative à l'évolution du cours des devises européennes à l'approche de la troisième phase de l'Union monétaire.

M. Jean Paul Fitoussi a indiqué que les périodes de transition sont souvent des périodes de grande instabilité pour les marchés financiers du fait des opportunités de spéculation qui se présentent dans ces circonstances. " Peut-on faire l'Euro autrement que par surprise ? " s'est alors interrogé M. Jean-Paul Fitoussi, car, à ses yeux, le délai contenu dans le traité n'est pas fondé en logique économique et il pourrait refléter, aux yeux des marchés, l'indétermination des Etats membres qui s'acheminent vers l'UEM " comme à contrecoeur ". On sait qu'une spéculation peut se nourrir d'éléments très divers, comme la chute d'une institution financière, une croissance plus vive dans un pays que dans un autre, la faiblesse du dollar. Ce sont là autant de phénomènes qui rendent plus risquée la période de transition.

La quatrième question visait les moyens dont pourraient disposer les Etats de la zone Euro pour réagir d'un point de vue macro-économique en cas de choc asymétrique .

M. Jean-Paul Fitoussi a estimé que, dès lors qu'ils ne disposeraient ni de la politique monétaire, ni de la politique de change, ni de la politique budgétaire globale, les Etats confrontés à un choc asymétrique n'auraient que des marges de manoeuvre extrêmement limitées, sinon nulles. Tout au plus les pays participant à la monnaie unique pourraient-ils alors apprécier si ce choc asymétrique constitue une " circonstance exceptionnelle " permettant d'accorder une marge de manoeuvre plus grande aux pays concernés.

D'après la théorie économique, il y a plusieurs moyens de réagir à un choc asymétrique dans une zone monétaire unique. Le premier consiste à compenser partiellement le choc par l'accroissement du déficit budgétaire. Le second à faire jouer la solidarité budgétaire entre les pays européens, ce qui impliquerait l'existence d'un budget fédéral important. Le troisième à utiliser la flexibilité des prix et des salaires ; celle-ci ne jouant qu'à moyen terme, cela impliquerait que le pays concerné soit soumis à une croissance relative du chômage par rapport à ses voisins pendant une période qui pourrait durer au moins une décennie. M. Jean-Paul Fitoussi a conclu qu'il ne semblait pas rationnel d'imaginer que l'on puisse lier les Gouvernements par un pacte budgétaire en cas de choc asymétrique et qu'il faudrait alors choisir, soit de nouer davantage les solidarités européennes, soit de laisser une marge de manoeuvre budgétaire aux Gouvernements européens.

M. Alain Richard a alors demandé quelle pourrait être la réaction de la Banque de réserve fédérale américaine pour le cas où les autorités monétaires européennes, convaincues par l'argumentation développée par l'orateur, chercheraient à faire baisser de quelque 15 % ou 20 % la valeur relative de l'Euro par rapport au dollar.

M. Jean-Paul Fitoussi a répondu que l'Europe ne pouvait que gagner en pareil cas. En effet, c'est par la baisse des taux d'intérêt que l'on peut faire baisser la valeur d'une monnaie. Même si la baisse des taux d'intérêt en Europe incitait les Etats-Unis à baisser leurs propres taux d'intérêt, cette baisse se poursuivrait en Europe, ce qui ne pourrait qu'avoir des effets positifs, même s'il ne s'ensuivait pas de modification dans la parité de l'Euro avec le dollar. Il a ajouté que l'Euro permettrait à l'Europe d'avoir une stratégie de change et qu'il était lui-même favorable à la création de l'Euro dans le mesure où l'on utiliserait cette possibilité de stratégie de change.

M. Alain Richard a demandé à M. Jean-Paul Fitoussi s'il estimait que la plongée du déficit budgétaire français, qui est passé de 2 % à 6 % du produit intérieur brut en 1993-1994, avait aidé la France en termes de croissance.

M. Jean-Paul Fitoussi a répondu que, pour l'ensemble des économistes, c'était la politique monétaire qui avait engendré le déficit public en France. La politique monétaire suivie par notre pays, consistant à appliquer la même politique monétaire restrictive que l'Allemagne qui devait alors répondre au choc que constituait l'unification, l'a conduit à connaître le taux d'intérêt réel court qui fut à la fois le plus élevé de son histoire (à l'exception de quatre ans pendant les années trente) et le plus élevé du monde, et cela alors même que la France ne connaissait aucun problème d'inflation. Cet accroissement considérable des taux d'intérêt réels français, à contrecourant de la conjoncture, a provoqué un effondrement des taux d'investissement et une baisse de la croissance. Il en est résulté un effondrement des recettes publiques et, par là même, une augmentation du déficit budgétaire. Il eût été préférable, a ajouté M. Jean-Paul Fitoussi, de réévaluer le mark, ce qui n'aurait mis en danger ni la construction européenne, ni le système monétaire européen.

M. Yves Guéna a souligné la complexité du problème que pose le niveau de parité entre l'Euro et le dollar ; d'une part, on souhaite que l'Euro soit une monnaie forte ; mais, d'autre part, on sait qu'il serait bon que le dollar soit réévalué par rapport à l'Euro. La question est d'autant plus inquiétante que, si la Réserve fédérale a son Gouvernement derrière elle, on ne sait pas quelle autorité politique pourra être aux côtés de la Banque centrale européenne. Enfin, M. Yves Guéna a déclaré que, pour lui, un Gouvernement qui ne maîtriserait ni la politique monétaire, ni la politique budgétaire, ne serait plus un Gouvernement.

M. Xavier de Villepin s'est étonné du pessimisme des propos de M. Jean-Paul Fitoussi et a estimé que les phénomènes nouveaux, qui ne manqueront pas de suivre la mise en place de la monnaie unique, auront sans nul doute des effets positifs pour l'Europe.

M. Paul Loridant a renouvelé son interrogation quant à la possibilité de réguler un système monétaire centralisé en Europe sans cohérence du pouvoir politique.

M. Jean-Paul Fitoussi a précisé que ses critiques portaient sur la notion même de pacte de stabilité et non sur la monnaie unique ; il a ajouté que l'Europe avait jusqu'à présent payé des primes de risque excessives parce qu'il y avait des taux de change intraeuropéens et que l'adoption de la monnaie unique devrait permettre d'éliminer cette contrainte ; il a estimé en conséquence que le pire était derrière nous. Quant au pacte de stabilité, ce sera une contrainte ou non selon le taux de croissance. Enfin, a-t-il conclu, le vrai problème tient à l'absence de répondant politique réel à la Banque centrale européenne.

La délégation a ensuite entendu M. Hervé Hannoun, sous-gouverneur de la Banque de France.

M. Hervé Hannoun
a répondu aux questions suivantes posées par M. Xavier de Villepin :

- la Grande-Bretagne a manifesté une certaine réticence lors des négociations pour l'adoption du nouveau mécanisme de change dans la troisième phase de l'UEM. Le fait que la Commission européenne n'a pas déposé de législation formelle en la matière signifie-t-il que le Royaume-Uni pourrait subordonner son absence d'opposition sur les mesures du pacte de stabilité à un fonctionnement minimum du SME-bis ?

- quels éléments devrait-on prendre en compte pour la détermination de la future parité de l'Euro ?

- quels peuvent être les effets de la disparition du mark comme monnaie de réserve des Banques centrales nationales et comment peut évoluer le cours des principales devises européennes à l'approche de la troisième phase de l'UEM ?

- le projet de règlement relatif au cadre juridique de l'Euro peut-il se fonder juridiquement sur l'article 235 du Traité, compte tenu des limites posées par la Cour de justice au recours à cet article ?

- dans le cas où la Conférence intergouvernementale modifierait la pondération des votes des différents Etats au sein du Conseil, cette nouvelle pondération serait-elle applicable aux décisions concernant les sanctions prévues à l'article 104 C, § 11 ?

B. RÉUNION DU MERCREDI 6 NOVEMBRE 1996

La délégation a procédé à un échange de vues sur les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720 relatives à la mise en place de l'euro (cadre juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de change).

M. Xavier de Villepin a tout d'abord rappelé le calendrier d'examen des propositions d'actes communautaires qui ont été transmises au Sénat le 23 octobre 1996 dans le cadre de l'article 88 alinéa 4 de la Constitution.

Ces propositions devraient faire l'objet d'un accord politique lors du Conseil européen des Chefs d'Etat et de Gouvernement qui se réunira à Dublin les 13 et 14 décembre prochain. Le Conseil des ministres de l'économie et des finances examinera le 11 novembre 1996 la communication de la Commission sur le nouveau système de change. Le Conseil des ministres des finances examinera le 2 décembre les propositions de règlement sur le statut de l'euro et sur le pacte de stabilité financière, étant entendu qu'un des deux règlements concernant l'euro (celui basé sur l'article 109 L §4) ne pourra être formellement adopté par le Conseil qu'à partir du moment où seront connus, en 1998, le nom des Etats faisant partie de la monnaie unique.

M. Xavier de Villepin a ensuite souligné que, à l'occasion de la présentation de ces textes devant la délégation le 29 octobre 1996, il avait constaté que l'ensemble des intervenants estimaient qu'il ne serait pas compréhensible que le Sénat ne se prononce pas dans le cadre des dispositions de l'article 88 alinéa 4, en raison même de l'importance de la question abordée et malgré les différentes appréciations du sujet qui sont apparues au cours de cette réunion.

Rejoignant la position que M. Alain Lamassoure avait défendue plusieurs fois devant le Sénat lorsqu'il était ministre des affaires européennes, M. Xavier de Villepin a indiqué qu'il souhaitait que le Sénat ait un débat en séance publique sur ce sujet. Pour qu'il puisse y avoir un tel débat, il faut que la procédure prévue s'engage rapidement. C'est la raison pour laquelle le rapporteur a fait savoir qu'il avait préparé, à titre personnel, une proposition de résolution qui sera transmise, pour examen, à la commission des finances. Des amendements pourront y être apportés. Un débat pourra alors s'engager en séance publique si la Conférence des présidents décide l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de résolution.

M. Xavier de Villepin a encore souligné que, à ses yeux, il est important que les sénateurs disposent des informations nécessaires pour que chacun puisse se forger sa propre opinion. A cette fin, il a proposé de préparer, au nom de la délégation, un rapport d'information qui, à la différence de sa proposition de résolution, ne se prononcerait pas sur les textes communautaires qui sont soumis pour examen par le Parlement, mais qui rassemblerait - aussi objectivement que possible - les éléments d'information permettant d'éclairer ces textes difficiles.

M. Robert Badinter a tenu à attirer l'attention du rapporteur sur un problème juridique, qui, à ses yeux, est très important et parfaitement méconnu, à savoir celui de la dénomination de la monnaie unique sous le vocable de l'euro. Il a rappelé que le Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht avait fixé, le nom de cette monnaie : l'écu. Or cette dénomination est distincte de la question de la définition de la monnaie. Cette dénomination est contenue dans plusieurs articles du Traité. Par exemple l'article 109 F point 3 précise que, en vue de préparer la troisième phase, l'Institut monétaire européen (IME) " supervise la préparation technique des billets de banque libellés en écus ". Il a insisté sur le fait que, à partir du moment où le traité précise qu'il s'agit de billets " libellés en écus ", le Traité de Maastricht a manifestement choisi l'écu comme nom de la monnaie unique. Il a encore ajouté que le fait que l'article 109 G indique que " la composition en monnaies du panier de l'écu reste inchangé ", signifie que la valeur de la monnaie unique correspond à la pondération actuelle de l'écu. Il s'est demandé si le changement de dénomination, invoqué pour des motifs culturels en Allemagne, ne risquait pas d'avoir des conséquences juridiques importantes à l'égard des dispositions du traité. Il s'est en particulier demandé si, à l'occasion du changement de nom décidé de manière politique par le Conseil européen de Madrid, les négociateurs avaient pensé aux effets de ce changement de nom sur l'équilibre juridique contenu dans le traité et si le droit dérivé, qui est maintenant proposé, était compatible avec le droit originel des traités.

Insistant sur son adhésion au principe de la monnaie unique, M. Robert Badinter a cependant expliqué que l'écu est un nom qui est maintenant parfaitement connu des marchés internationaux de capitaux. De son point de vue, ce nom, qui a été fixé par le traité, ne peut être changé par le Conseil des ministres qui n'a pas la compétence suffisante. Seul un autre traité pourrait permettre ce changement de dénomination. Il conviendrait donc de profiter de l'actuelle conférence intergouvernementale pour procéder à ce changement de nom. Ce problème essentiel est très précisément posé par l'article 2 de la proposition de règlement du Conseil concernant l'introduction de l'euro, qui stipule que " la monnaie des Etats membres participants est l'euro ".

M. Christian de La Malène , exprimant son accord avec les propos tenus par M. Robert Badinter, a déclaré que, si le Conseil voulait changer le nom de la monnaie unique, il devait alors procéder dans le cadre d'un traité international soumis à ratification. Il s'est en outre étonné à nouveau du recours à des propositions de règlement du Conseil pour la mise en place à la fois d'un pacte de stabilité budgétaire en Europe et pour la définition du statut juridique de l'euro. Il s'est encore interrogé sur l'éventuelle compatibilité de ces textes, en particulier dans leur dispositif budgétaire et fiscal, avec la Constitution.

M. Denis Badré a évoqué la question des sanctions prévues par le pacte de stabilité budgétaire. Il s'est demandé s'il était possible d'imaginer que les sanctions financières qui seront infligées à un groupe d'Etats - ceux participant à l'euro - qui ne sera pas le groupe des Quinze de l'Union européenne, soient versées au budget communautaire, qui, lui, bénéficie aux Quinze Etats, et notamment à ceux des Etats qui auront refusé la discipline budgétaire de la zone euro. Le précédent ainsi constitué lui a semblé dangereux pour la poursuite de la construction européenne dans la mesure où on pénaliserait financièrement les Etats qui veulent aller plus vite et plus loin dans des coopérations renforcées au profit d'autres Etats qui refuseraient ces coopérations.

M. Xavier de Villepin , tout en confirmant l'analyse de M. Denis Badré, a indiqué que les pays qui seront en dehors de l'euro ne pourraient être seulement des observateurs critiques car l'objectif du dispositif proposé est de créer une cohésion d'ensemble dans les Quinze pays européens.

A la demande de M. Jacques Genton, M. Robert Badinter a accepté d'étudier de manière plus approfondie la question posée par le changement de nom de la monnaie unique en vue de la prochaine réunion de la délégation.

M. Jacques Genton a alors indiqué qu'il résultait de l'échange de vues :

- d'une part que le rapporteur allait déposer à titre personnel une proposition de résolution afin que la procédure de l'article 88-4 puisse s'engager sans tarder, proposition de résolution qui intégrerait notamment les questions soulevées par MM. Robert Badinter et Denis Badré ;

- d'autre part que la délégation publierait un rapport d'information rassemblant les éléments d'information objectifs disponibles sur ce sujet.

Enfin, la délégation a chargé son président de demander l'inscription en séance publique de la proposition de résolution déposée par M. Xavier de Villepin sur les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720.

C. RÉUNION DU MARDI 12 NOVEMBRE 1996

La délégation a examiné le rapport d'information de M. Xavier de Villepin sur la mise en place de l'Euro : cadre juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de change (E 719 et E 720).

Après avoir précisé les thèmes abordés par le rapport, M. Xavier de Villepin a indiqué que celui-ci était destiné à donner à tous les sénateurs les principaux éléments d'information au sujet des propositions d'actes communautaires E 719 et E 720, et qu'il ne prenait pas position au sujet de ces deux textes.

Le rapporteur a ensuite indiqué que la controverse au sujet du pacte de stabilité se poursuivait au sein du Conseil, notamment sur les " circonstances exceptionnelles " permettant à un Etat membre de ne pas encourir de sanctions financières alors qu'il ne respecte pas les dispositions du pacte. L'Allemagne souhaite en effet que la notion de " grave récession " soit définie précisément comme un recul du produit intérieur brut d'au moins 2 % pendant quatre trimestres de suite ou en moyenne annuelle.

Concluant son propos, il a souhaité que les propositions E 719 et E 720 soient examinées en temps utile par le Sénat dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution. Il a rappelé qu'il avait dans ce but déposé, à titre personnel, une proposition de résolution dont la commission des finances avait été saisie.

Ainsi qu'il avait été convenu précédemment, M. Robert Badinter a alors apporté certaines informations supplémentaires concernant la dénomination de la monnaie unique. Il semble, a-t-il indiqué, que l'on se trouve à cet égard dans une situation juridique sans précédent. Le terme " ECU " ou " Écu " a été retenu à l'origine car il renvoyait à la fois à un sigle britannique (European currency unit) et au nom d'une ancienne monnaie française, datant de Saint Louis. Dans la version française du traité, il est fait référence à l'" Écu ", qui apparaît dans de nombreux articles, et notamment à l'article 3 A et à l'article 109 L, paragraphe 4. Dans cette optique, le mot " Écu " ne renvoie pas seulement à un instrument de compte, à une définition de la monnaie, mais apparaît aussi comme étant le nom de la monnaie elle-même. Dans la version allemande du traité, c'est le mot " ECU " (en majuscules) qui est utilisé, et le Gouvernement allemand estime qu'il renvoie seulement à une définition, sans être également le nom de la monnaie unique. La version anglaise, comme la version italienne, retiennent le même graphisme ; la version espagnole, qui retient le pluriel du mot " écus " (en minuscules), semble par là plus proche de la version française. On se trouve donc en présence de graphismes différents, alors que toutes les versions du traité font également foi. On notera toutefois que l'utilisation d'un sigle, dans l'ensemble des versions linguistiques du traité, est toujours précédée d'une référence à ce que ce sigle recouvre, alors que l'expression ECU, même lorsqu'elle figure en majuscules, ne fait l'objet d'aucune explication. De plus, les versions étrangères semblent mentionner le terme ECU comme s'il s'agissait de la dénomination de la monnaie unique (ainsi, par exemple, dans la version anglaise, " a single currency, the ECU... ").

M. Robert Badinter a ensuite rappelé que le Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, avait tranché en faveur de la thèse allemande, et décidé que le mot " écu ", dans le traité, devrait être considéré comme un " terme générique " renvoyant à une définition et ne constituant pas une dénomination. Cependant, a-t-il poursuivi, une décision du Conseil européen ne peut modifier un traité dûment ratifié. Si l'on admet que la dénomination " écu " résulte du traité, celui-ci doit être révisé pour que le nom de la monnaie unique soit l'" euro " : la proposition de règlement incluse dans la proposition d'acte communautaire E 720 ne peut être un instrument juridique adéquat.

M. Robert Badinter a ensuite indiqué qu'il s'était entretenu sur le sujet avec des juristes renommés pour leur connaissance des institutions européennes. Il semble, a-t-il poursuivi, que l'argument le plus fort pour considérer que le traité retient le mot " Écu " comme nom de la monnaie unique figure dans le libellé de l'article 109 L, paragraphe 4. Ce texte indique très précisément que l'" Écu ", dès l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'UEM, sera " une monnaie à part entière ". Or, que signifie le passage à la troisième phase, sinon la disparition de l'Écu comme instrument de compte, puisque, après cette date, il ne fait plus référence à un panier de monnaies ? Le mot "Écu " s'appliquant à la monnaie unique dans la troisième phase de l'UEM ne semble donc pas pouvoir jouer d'autre fonction que celle du nom de la monnaie unique.

M. Robert Badinter a alors exprimé la crainte que cette incertitude ne puisse être utilisée par des adversaires de la monnaie unique, en servant de fondement à un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes, soit directement, soit par la voie d'une question préjudicielle. Mettant en avant un souci de sécurité juridique, il a donc souhaité que la Conférence intergouvernementale consacre l'appellation " euro ", tout en indiquant que, à titre personnel, il aurait préféré que l'on gardât l'appellation " écu ".

M. Christian de La Malène s'est étonné que les Etats membres aient ratifié des traités qui ne sont pas exactement identiques, et non un même traité. Il s'est demandé si la Cour de justice se reconnaîtrait compétente pour un tel litige.

M. Robert Badinter a précisé que seul le graphisme distinguait les différentes versions. Mais, a-t-il poursuivi, la proposition E 720 tranche, quant à elle, d'une manière uniforme et devrait s'appliquer à tous les Etats membres : on peut dès lors se demander comment elle pourrait être compatible avec toutes les versions du traité.

M. Jacques Habert a estimé que la proposition E 720 n'apportait pas de garanties suffisantes de sécurité juridique et qu'il était donc souhaitable que le problème soit réglé par la Conférence intergouvernementale.

M. Jacques Genton a confirmé que le Conseil européen, tout en étant l'instance européenne la plus élevée, ne disposait pas du pouvoir de modifier les traités.

M. Pierre Fauchon , tout en exprimant une certaine nostalgie pour le mot " Écu ", a souligné que la construction européenne était une action politique de portée historique. En l'occurrence, a-t-il poursuivi, l'essentiel est la volonté politique de se doter d'une monnaie unique, la question de l'appellation étant secondaire. Il n'est pas porté atteinte à la volonté des signataires puisque la modification de la dénomination s'est faite avec l'accord de tous. Au demeurant, un recours est impossible puisque, au Conseil européen de Madrid, un accord unanime s'est dégagé entre les Etats. Si un recours avait été possible, a-t-il ajouté, il aurait de toute manière suffi d'appliquer le principe " pas de nullité sans grief " ou bien de considérer la décision du Conseil européen comme un " acte de gouvernement " insusceptible de recours. Concluant son propos, il a estimé que la controverse sur le pacte de stabilité était plus grave et plus inquiétante que celle sur le nom de la monnaie unique.

M. Robert Badinter a précisé qu'il ne s'agissait pas d'une question de nullité accessoire, mais d'une question de compétence : or la Cour de justice est particulièrement attentive aux questions de compétences. Peut-on modifier le traité -à supposer que l'introduction du nom " euro " en soit bien une modification- sur la base de son article 235, alors que la Cour de justice a récemment affirmé, dans un avis rendu en 1996, que cet article ne pouvait être employé dans ce but ? Il a ajouté que, de toute manière, la question du changement de nom de la monnaie ne pouvait être considérée comme mineure.

M. Yves Guéna s'est déclaré d'accord avec M. Pierre Fauchon pour ne pas accorder une grande importance au nom de la future monnaie unique, mais a estimé que le problème ne pouvait être réglé de manière définitive que par la Conférence intergouvernementale, l'article 235 du traité ne pouvant constituer une base suffisante. Que le traité sur l'Union européenne ait été adopté par référendum, a-t-il souligné, n'empêche pas de le modifier par la voie parlementaire.

M. Denis Badré , tout en convenant que l'élément politique devait primer, a souligné que cette primauté devait s'exercer dans des conditions juridiques incontestables. Il convient, a-t-il poursuivi, de suivre une procédure rigoureuse pour la mise en place de la monnaie unique, en veillant dans un souci de sécurité juridique à faire disparaître, autant que possible, tous les éléments de flou et d'incertitude qui pourraient subsister. Il est souhaitable de préciser comment la décision du Conseil sur la liste des Etats participants s'articulera avec le contrôle du Parlement allemand. Il est également nécessaire de bien préciser la répartition des compétences entre les formations plénières du Conseil et celles composées seulement des Etats participant à la monnaie unique.

M. Jacques Genton a estimé que les débats de la commission des finances, puis de la séance publique, pourraient permettre de dissiper les zones d'ombre.

M. Christian de La Malène a souhaité que la délégation soit associée à l'examen des textes et que celui-ci comporte une procédure écrite permettant d'obtenir du Gouvernement des réponses écrites. Il s'est par ailleurs interrogé sur le rôle du Parlement européen dans la procédure d'adoption de ces textes.

M. Xavier de Villepin a souligné que la commission des finances pourrait s'appuyer sur les travaux de la délégation et a estimé que l'essentiel était de permettre l'expression du Parlement sur ces propositions importantes et, sur certains points, controversées.

M. Christian de La Malène a estimé que l'article 88-4 de la Constitution avait précisément été introduit dans ce but.

Le rapport de M. Xavier de VILLEPIN

La mise en place de l'euro

a été publié sous le n° 74 (1996-1997)

D. RÉUNION DU JEUDI 14 NOVEMBRE 1996

La délégation a entendu, en commun avec la commission des Finances, la commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères, M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, sur les modalités du passage à l'euro.

Dans un propos introductif , M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances , a rappelé les principales étapes qui ont précédé le sommet de Dublin et rappelé qu'en 2002, l'euro sera utilisé, concrètement, par tous les Français. Il a insisté sur le fait que le passage à la monnaie unique constituait une " étape fondamentale " de la construction européenne et souligné l'importance de la monnaie européenne pour donner un poids aux ambitions légitimes des Européens.

Il s'est fait le défenseur des " critères de Maastricht " qui, selon lui, constituent un code de bonne conduite destiné à assurer la convergence des politiques économiques européennes. Il a indiqué que la France respectait, pour l'instant, quatre des cinq critères et que la détermination dont elle ferait preuve, alliée aux résultats obtenus, constituerait le meilleur moyen de faire entendre sa voix. Il a ajouté qu'avec ou sans les critères de convergence, il était de toute façon indispensable d'assainir la situation de nos finances publiques.

M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, a ensuite indiqué que, forte de sa crédibilité monétaire retrouvée depuis le sommet de Cannes, la France avait su, avec constance et sans ostentation, contribuer à la mise en place d'un mécanisme qui succédera, le moment venu, au système monétaire européen (SME).

S'agissant du pacte de stabilité, dont il a rappelé que la paternité revenait à M. Théo Waigel, il a indiqué que ce pacte constituait, en quelque sorte, le " règlement de copropriété " de la future Union monétaire. Concernant le conseil de stabilité, le ministre de l'économie et des finances a indiqué que cette instance devrait permettre aux responsables politiques de prendre la place naturelle qui leur revenait dans la conduite de la politique monétaire européenne, afin de déterminer la parité externe de la monnaie. Mais il a reconnu que cette idée ne recueillait pas encore l'assentiment de tous nos partenaires.

M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, a émis le souhait que les Français parviennent à une " conscience collective " européenne sur la nécessité de la monnaie unique et qu'ils se gardent d'attiser des " débats théologiques stériles ". L'objectif, a-t-il indiqué, est avant tout de mettre notre pays en situation de tirer le plus grand profit du passage à la monnaie unique.

De ce point de vue, il a fait observer que la première préoccupation du Gouvernement consistait à faire en sorte que nos entreprises soient en mesure de se préparer, très en amont, au passage à l'euro car l'anticipation est la clé du succès.

La seconde préoccupation, a-t-il ajouté, est de ne laisser personne au bord du chemin, car l'euro n'est pas l'affaire des puissants, mais bien l'affaire de tous. C'est pour cette raison que le Gouvernement a mis en place un plan de communication et que le ministère des finances a constitué en son sein une " mission euro " destinée à assurer la coordination de l'ensemble des administrations concernées par le passage à la monnaie européenne.

M. Alain Lambert, rapporteur général , a indiqué que l'opinion publique redoutait que les politiques restrictives menées conjointement par les Etats membres en vue de mettre en place la monnaie unique n'aient des effets par trop récessifs sur la conjoncture économique. Par ailleurs, il a estimé que les parlementaires craignaient une perte de la maîtrise des instruments de la politique économique dès lors que l'on ne disposera plus ni de la politique budgétaire ni de la politique monétaire. Puis, il a demandé si le Gouvernement avait l'intention de proposer une politique économique européenne qui aille au-delà de la simple convergence des politiques nationales et qui constitue une véritable politique coopérative. Enfin, il a interrogé le ministre sur le rôle du conseil de stabilité.

En réponse, M . Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances , a précisé que la baisse des taux d'intérêt avait d'ores et déjà permis une réduction des frais financiers et que la monnaie unique n'aurait pas pour effet de détruire l'autonomie des politiques budgétaires. S'agissant du conseil de stabilité, il a indiqué que cette instance aurait en charge la détermination de la valeur externe de la monnaie, détermination qu'il n'était pas question de confier à la future Banque centrale européenne.

M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, a rappelé que la délégation du Sénat pour l'Union européenne s'était penchée sur les modalités de la mise en place de l'euro et que, à la suite des réflexions menées au sein de la délégation, il avait déposé une proposition de résolution en vue d'un débat public. Il a ensuite interrogé le ministre sur le nouveau mécanisme de change européen, qui ne fait actuellement l'objet que d'une communication de la Commission, et sur la marge de manoeuvre dont disposerait la France dans le cas où elle serait touchée par un choc économique asymétrique.

En réponse, M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, a insisté sur l'absolue nécessité d'aboutir à un cadre monétaire stable afin d'assurer la prospérité de notre économie. A cet égard, il a indiqué que, lorsque l'euro entrerait en vigueur, la France serait en mesure de maîtriser les deux-tiers de " l'aléa monétaire " pesant sur son commerce extérieur, soit 92 % de son produit intérieur brut. Il a, par ailleurs, estimé que le " SME bis " ne pourrait être " formalisé " que lorsque la Banque centrale serait mise en place. Il a ajouté que le nouveau mécanisme de change reposerait sur une décision intergouvernementale et qu'il n'y aurait pas d'adhésion obligatoire. L'incitation à l'adhésion résulte de la nécessité d'être depuis au moins deux années dans le mécanisme pour pouvoir participer à l'euro.

Par ailleurs, il s'est montré sceptique quant à la nécessité de quantifier la gravité de la récession justifiant les " circonstances temporaires exceptionnelles " et permettant d'échapper aux pénalités applicables en cas de non respect du pacte de stabilité. Il serait très imprudent, selon lui, d'arrêter un critère de récession unique pour tout le monde car la gravité de celle-ci peut varier selon les pays ; les petits pays peuvent ainsi être amenés beaucoup plus vite que les autres vers des déficits importants. Il a encore indiqué que l'Allemagne avait évoqué le critère d'une récession d'au moins 2 % du PIB, mais que la France n'avait jamais connu de récession d'une telle ampleur depuis la deuxième guerre mondiale.

M. Jacques Genton, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne , a tenu à rappeler le souhait unanime de la Délégation que la proposition de résolution déposée par M. Xavier de Villepin fasse l'objet d'un large débat en séance publique.

M. Maurice Schumann a constaté que l'euro provoquerait en fait une mutilation de l'Union européenne et que les dévaluations compétitives des pays qui ne feront pas partie du SME bis pourraient continuer de jouer. Il a émis le souhait d'une consultation populaire sur l'entrée dans la monnaie unique et s'est déclaré surpris que, dans l'exposé préliminaire du ministre, la question du chômage n'ait aucunement été abordée. Il a souhaité savoir comment empêcher la Banque centrale de prononcer des sanctions contre les pays faisant partie de l'euro qui ne respecteraient pas les critères de stabilité. Enfin, il a demandé qui serait compétent pour juger des " circonstances exceptionnelles ".

M. Denis Badré a interrogé le ministre sur le pacte de stabilité dont il a regretté le nom - trop proche de celui d'austérité - et la teneur, exclusivement budgétaire. Selon lui, limiter la mise en place de l'euro à un " règlement de copropriété " constituerait une erreur. Il s'est également étonné que l'on puisse admettre que le produit des sanctions infligées aux pays ayant en partage la monnaie unique puisse bénéficier à des pays ne l'ayant pas adopté.

M. François Trucy a interrogé le ministre sur la force de l'euro par rapport au dollar et au yen.

M. Paul Loridant a indiqué que le pouvoir politique avait déjà renoncé au pouvoir monétaire au profit de la banque centrale, et qu'avec le pacte de stabilité, il était en train de renoncer au pouvoir budgétaire et même de satisfaire le souhait ancien de M. Valéry Giscard d'Estaing d'inscrire dans la Constitution l'équilibre de la loi de finances. Il s'est interrogé sur la finalité de l'euro - s'agit-il d'un projet économique ou d'un projet politique - et sur le rôle d'une Banque centrale - stabilité des prix ou contribution au bien-être social ? Il a encore demandé si la conversion en euros des prêts contractés en monnaie nationale donnerait lieu, au profit des banques, à des frais de dossier. Enfin, il a souhaité que le Parlement français soit consulté sur le passage à la troisième phase de l'union monétaire, à l'instar du Parlement allemand.

M. Roland du Luart a demandé s'il était envisageable, une fois la monnaie unique mise en place, de laisser flotter l'euro par rapport au yen et au dollar.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souligné le " déficit démocratique " des décisions concernant la monnaie unique. Elle a interrogé le ministre sur la composition et les pouvoirs du conseil de stabilité.

M. Christian de la Malène a douté de la capacité de la France à conserver une politique économique autonome après la mise en place de la monnaie unique. Il a estimé qu'il ne pourrait y avoir de monnaie sans lien étroit avec le politique et que, si l'on voulait la monnaie européenne, il faudrait faire un pouvoir européen et un Etat européen.

M. Michel Caldaguès a souhaité savoir quels seraient, au-delà des " formules incantatoires ", les apports concrets de l'euro. A cet égard, il a reconnu que la maîtrise de l'aléa monétaire constituait indiscutablement un apport concret. Mais en quoi l'euro constituera-t-il une réponse à la mondialisation ? Et, pour le rapport de parité de l'euro avec le dollar, en quoi une monnaie forte permettra-t-elle de lutter contre une monnaie qui n'est pas assez appréciée ? Enfin, il s'est déclaré surpris qu'aucune réponse n'ait été donnée aux propositions de M. Alain Peyrefitte en faveur du maintien des monnaies nationales pour les échanges intérieurs.

M. Robert Badinter a fait remarquer que, dans la version française du Traité de Maastricht, et notamment dans son article 3 A, l' " écu " représentait non seulement la future unité de compte européenne, mais aussi le nom de cette unité, alors que, dans la version allemande, la référence à l' "ECU" ne préjugeait en rien de sa dénomination. Or, a-t-il poursuivi, si l'écu est véritablement la dénomination de la monnaie unique, un simple règlement ne suffira pas à modifier celle-ci et il faudra avoir recours à une modification du traité. Il a encore indiqué qu'on ne saurait être trop prudent sur cette question, compte tenu de la volonté de certains Etats de différer le passage à la monnaie unique.

M. Yves Guéna a demandé si les Allemands étaient vraiment partisans du passage à l'euro et si le pacte de stabilité n'était qu'une " proposition allemande " ou déjà une décision communautaire. Il a encore indiqué que le prix à payer pour l'euro lui semblait être une quasi-stagnation et qu'il aurait été souhaitable de disposer de plus de temps pour réduire les déficits publics. Il a craint que la monnaie unique ne se traduise par une perte de souveraineté dans la conduite de la politique économique. Enfin, établissant un parallèle historique entre le passage à la monnaie unique et l'unification allemande au XIX e siècle, qui est née du " Zollverein " et où la Prusse a joué le rôle de fédérateur, il s'est demandé si l'Allemagne était appelée à jouer le rôle de fédérateur de la construction européenne.

Mme Marie-Claude Beaudeau a souhaité qu'un vaste débat s'engage sur la monnaie unique et qu'un référendum soit organisé sur le passage à la troisième phase de l'union monétaire.

M. Maurice Blin a insisté sur la nécessité de se doter d'un euro capable de rivaliser avec le dollar.

M. Hubert Durand-Chastel s'est inquiété d'un risque de surévaluation de l'euro par rapport au dollar.

M. José Balarello a rappelé que M. Jacques Delors avait lancé la proposition d'effectuer de grands travaux à l'échelle européenne et a estimé qu'il était temps de relancer cette idée, même s'il fallait pour cela modifier les critères de convergence.

Enfin, M. Christian Poncelet, président , s'est interrogé sur la volonté réelle de l'Allemagne d'accepter que sa monnaie soit fondue dans la monnaie unique.

Le ministre a alors répondu à l'ensemble des orateurs.

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