L. 14 JUIN 1989
CONSEIL D'ETAT

19-01-01-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES - GENERALITES - TEXTES FISCAUX - OPPOSABILITE DES INTERPRETATIONS ADMINISTRATIVES (ART. 1649 QUINQUIES E DU CODE GENERAL DES IMPOTS REPRIS A L'ARTICLE L. 80 A DU LIVRE DES PROCEDURES FISCALES) - Un décret, qui ne traite pas de la matière fiscale, ne peut constituer une interprétation de la loi fiscale.

19-01-01-03

A supposer que l'impôt général sur le revenu institué par la délibération du conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 n'ait pas été effectivement mis en recouvrement dans la commune de Saint-Barthélémy durant toute la période antérieure à la départementalisation de la colonie, l'article 20 du décret du 30 mars 1948 n'a pas pu, eu égard à la portée de l'habilitation de l'article 2 de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946, avoir légalement pour objet et pour effet de conférer une base juridique à un régime particulier d'exonération résultant d'une situation de fait illégale en plaçant la dépendance de Saint-Barthélémy en dehors du champ d'application de l'article 1er dudit décret. Cet article du décret, qui ne traite pas de la matière fiscale, ne peut constituer davantage une interprétation de la loi fiscale au sens de l'article 1649 quinquies E du CGI maintenant repris à l'article L.80-A du Livre des procédures fiscales.

( 14 Juin - 7 / 8 SSR - 73975 - Magras - )

Vu la requête sommaire, le mémoire complémentaire et les observations complémentaires enregistrés les 10 décembre 1985, 10 avril 1986 et 24 juillet 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Raymond MAGRAS, demeurant rue Jeanne d'Arc à Gustavia, Ile de Saint-Barthélémy (97133), représentée par la S.C.P. Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :

1°- annule le jugement du 10 septembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande en décharge de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre des années 1977 à 1981, dans les rôles de la commune de Saint-Barthélémy ;

2- lui accorde la décharge de l'imposition contestée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'acte du 26 mars 1804 du gouvernement royal suédois ;

Vu la loi du 3 mars 1978 approuvant le traité conclu le 10 août 1877, pour la rétrocession à la France de l'Ile de Saint-Barthélémy, ensemble le décret du 12 mars 1878 portant promulgation dudit traité, avec le protocole qui était annexé ;

Vu l'article 55-B de la loi du 29 juin 1918 ;

Vu la délibération du Conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 ;

Vu la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 ;

Vu le décret n° 48-563 du 30 mars 1948 ;

Vu la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959 ;

Vu l'article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu :

- le rapport de M. Zémor, Conseiller d'Etat,

- les observations de la S.C.P. Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. Raymond MAGRAS,

- les conclusions de Mme Hagelsteen, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient M. MAGRAS pour établir que les habitants de la commune de Saint-Barthélemy (Guadeloupe), ne seraient pas assujettis à l'impôt sur le revenu, l'acte du 26 mars 1804 du gouvernement royal suédois, qui se borne à ajourner l'instauration d'une capitation et d'un impôt foncier dans l'île de Saint-Barthélémy, n'a pas reconnu aux habitants de cette île un droit à exemption définitive et irrévocable d'impôt direct ; que, dès lors, les stipulations de l'article 3 du protocole annexé au traité du 10 août 1877 par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélemy à la France, aux termes desquelles la France succède aux droits et obligations résultant de tous actes régulièrement faits par la couronne de Suède ou en son nom pour des objets d'intérêt public ou domanial concernant spécialement la colonie de Saint-Barthélemy et ses dépendances n'ont ni pour objet ni pour effet de garantir aux habitants de Saint-Barthélemy un droit à être définitivement xemptés de tout impôt direct qui ne leur avait pas été reconnu avant le transfert de l'île sous la souveraineté française avec le consentement de sa population ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 3 mars 1878 portant approbation du traité susmentionné L'île de Saint-Barthélémy sera considérée, au point de vue politique, administratif et judiciaire, comme une dépendance de la Guadeloupe. En conséquence, toutes les lois, tous les règlements et arrêtés publiés ou promulgués à la Guadeloupe, auront force et vigueur à Saint-Barthélémy à partir du jour de l'installation de l'autorité française dans cette île ; que, conformément à l'article 55 B de la loi du 29 juin 1918, un arrêté du gouverneur de la Guadeloupe et dépendances en date du 29 juin 1922 a rendu exécutoire une délibération en date du 2 juin 1922 du conseil général de la Guadeloupe et dépendances établissant dans cette colonie un impôt général sur le revenu et en fixant le mode d'assiette et les règles de perception dans les formes et conditions proposées par le Conseil d'Etat ; que, cet arrêté et cette délibération ont été régulièrement publiés au journal officiel de la Guadeloupe le 6 juillet 1922 ; qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient le requérant, les habitants de la commune de Saint-Barthélemy ont été, à compter de l'entrée en vigueur de cette délibération, légalement soumis comme les autres habitants de la colonie de la Guadeloupe et dépendances à un impôt général sur le revenu ;

Considérant, en troisième lieu, que la loi du 19 mars 1946 qui a érigé en départements français les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française dispose, en son article 2 que les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront ... l'objet de décrets d'application à ces nouveaux départements ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 30 mars 1948, pris régulièrement sur le fondement de cette disposition législative : Sous réserve des exceptions, dérogations et mesures transitoires énumérées dans les articles qui suivent, sont déclarés exécutoires dans le département de la Guadeloupe à compter du 1er janvier 1948, et pour autant que leurs dispositions n'y sont pas déjà introduites : le code général des impôts directs et taxes assimilées en vigueur dans la France métropolitaine au 19 mars 1946 et les textes qui l'ont modifié et complété, les lois et ordonnances relatives aux contributions directes et taxes assimilées en vigueur dans la France métropolitaine à la même date et non codifiées et les textes qui les ont modifiées ou complétées, les décrets et arrêtés pris pour l'application du code et des textes susvisés ; qu'enfin l'article 20 du décret susmentionné dispose que le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et Saint-Barthélemy est maintenu provisoirement en vigueur ;

Considérant, d'une part, que, comme il a été dit précédemment, à la date où est intervenu le décret du 30 mars 1948, les habitants de la commune de Saint-Barthélemy n'étaient pas, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, placés sous un régime juridique différent de celui applicable aux autres habitants du département de la Guadeloupe ; que, dès lors, les dispositions précitées de l'article 20 de ce décret ne peuvent être interprétées comme ayant eu pour objet de maintenir provisoirement en vigueur un régime juridique particulier aux habitants de cette commune en matière d'impôt sur le revenu ;

Considérant, d'autre part, qu'à supposer que l'impôt général sur le revenu institué par la délibération du conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922 n'ait pas été effectivement mis en recouvrement dans la commune de Saint-Barthélemy durant toute la période antérieure à la départementalisation de la colonie, la disposition de l'article 20 précité n'a pas pu, eu égard à la portée de l'habilitation de l'article 2 précité de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946, avoir légalement pour objet et pour effet de conférer une base juridique à un régime particulier d'exonération résultant d'une situation de fait illégale en plaçant la dépendance de Saint-Barthélemy en dehors du champ d'application de l'article 1er dudit décret ; que cet article du décret, qui ne traite pas de la matière fiscale, ne peut constituer davantage une interprétation de la loi fiscale au sens de l'article 1649 quinquies E du code général des impôts maintenant repris à l'article L. 80-A du livre des procédures fiscales ;

Considérant enfin qu'en admettant même que, depuis l'intervention du décret du 30 mars 1948, les habitants de la commune de Saint-Barthélémy aient en fait bénéficié de certaines tolérances en matière d'établissement de l'impôt sur le revenu, le requérant n'établit pas qu'elles procédaient d'une interprétation de la loi fiscale contenue dans des instructions administratives ou de réponses à des questions écrites de parlementaires publiées, et que l'administration n'avait pas rapportée à la date à laquelle il aurait pu être réputé en avoir fait application, c'est-à-dire à la date limite qui lui était impartie pour souscrire la déclaration de ses revenus des années au titre desquelles ont été établies les impositions contestées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. MAGRAS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa requête ; Article 1er : La requête de M. MAGRAS est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. MAGRAS et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.

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