II. LES DIFFICULTÉS ET LES RISQUES LIÉS À LA CONSTRUCTION DU NOUVEL ÉTAT

L'accord de paix conclu à Dayton le 21 novembre 1995 et signé à Paris le 14 décembre suivant consacre l'existence de la Bosnie-Herzégovine comme Etat unique, lui confère une existence institutionnelle et règle les questions territoriales qui furent à l'origine de la guerre.

Outre les aspects militaires de l'accord, déjà évoqués, il octroie à la Bosnie-Herzégovine les moyens d'une progression vers la démocratie par l'organisation d'élections et le respect des droits de l'homme, engage les parties à l'arrestation et au jugement des criminels de guerre, à promouvoir la liberté de mouvement et à assurer le retour des réfugiés. Il sert enfin de cadre à une indispensable reconstruction économique.

Un Comité directeur du Conseil pour la réalisation de la paix 5 donne à un Haut Représentant , qui le préside, " les orientations politiques concernant la réalisation de la paix ". Il lui revient de coordonner les aspects civils du plan de paix, de coopérer avec la Force multinationale, notamment par l'échange d'informations, enfin de veiller à ce que les parties se conforment à tous les aspects civils du plan de paix. Ce Haut Représentant n'est en aucune manière habilité à intervenir dans les questions militaires. Il n'a " aucune autorité sur l'IFOR et ne s'ingère pas, d'une quelconque manière, dans la conduite des opérations militaires ou dans la chaîne de commandement de l'IFOR " [6] .

Vos rapporteurs rappelleront tout d'abord le contenu institutionnel de l'Etat de Bosnie-Herzégovine. Ils décriront ensuite les difficultés que rencontre la mise en oeuvre de ces institutions et l'importance des problèmes encore en suspens -retour des réfugiés, recherche des criminels de guerre-, qui aujourd'hui font de la Bosnie-Herzégovine une construction politique bien fragile.

A. UN SYSTÈME INSTITUTIONNEL EN TROMPE-L'OEIL

1. En Bosnie-Herzégovine, une collégialité difficile à mettre en oeuvre

La structure institutionnelle mise en place par les accords de Dayton reflète, par sa complexité, la difficulté à faire coopérer des communautés déchirées, pour construire un Etat mal accepté par chacune d'entre elles.

L'Etat de Bosnie-Herzégovine, dont la capitale est Sarajevo, est formé de deux entités : la Republika Srpska (dont la capitale est Palé) et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, croato-musulmane, dont la capitale est -également- Sarajevo.

- le pouvoir exécutif est assuré d'une part par une présidence collégiale tournante de trois membres : un Bosniaque -M. Itzebegovic- un Croate -M. Zubak- et un Serbe -M. Krajisnik, d'autre part par un Conseil des ministres chargé de mettre en oeuvre les politiques et décisions de la Bosnie-Herzégovine dans les domaines de sa compétence.

Le président du Conseil est nommé par la Présidence [7] . Il nomme à son tour un ministre des affaires étrangères, un ministre du commerce extérieur et les autres ministres " autant que de besoin ". Il nomme également des vice-ministres " qui ne doivent pas appartenir au même peuple que le ministre ".

- le pouvoir législatif est bicaméral. Il est exercé par une chambre des représentants de 42 membres élus au suffrage universel par chaque entité, à raison de deux tiers -28- par la Fédération croato-bosniaque et un tiers -14- par la Republika Sprska.

La deuxième chambre -la chambre des peuples - comprend 15 membres nommés par les assemblées de chaque entité -deux tiers par la fédération (5 Bosniaques, 5 Croates), un tiers par la Republika Sprska (5 Serbes).

Les institutions centrales -législatives et exécutives- sont compétentes pour les affaires étrangères, le commerce international et les douanes, la politique monétaire, les communications, le financement des opérations publiques et la législation concernant l'immigration et le droit d'asile. Tout ce qui n'est pas explicitement dévolu à l'Etat central relève des compétences des entités ce qui confère à chacune d'elles des responsabilités considérables (justice, défense, finances, intérieur etc.). La Bosnie-Herzégovine enfin, dépend entièrement, sur le plan financier, des contributions de chacune des deux entités. Les recettes de son budget proviennent, à raison des deux tiers, de la Fédération et, à raison d'un tiers, de la Republika Sprska.

Force est de constater que ces institutions à vocation intégratrice, fonctionnent mal. Leur mise en place a été laborieuse , pour des raisons tenant d'abord à la localisation par rotation des administrations, en fait à la réticence évidente de chacun à faire vivre un Etat auquel il ne croit pas. Le refus réitéré des représentants serbes de venir siéger en nombre suffisant à Sarajevo, a longtemps bloqué le processus législatif auquel étaient pourtant suspendues mesures économiques fondamentales pour la reconstruction -Banque centrale, monnaie unique, législation douanière, dette extérieure, accord sur les prêts consentis par certains organismes internationaux, etc.

2. Un système contrôlé de protection des droits de l'homme

La Constitution de Bosnie-Herzégovine intègre la protection des droits de l'homme tels que définis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses protocoles.

Une Commission des droits de l'homme est chargée de protéger les droits garantis par la Constitution. Elle est composée d'une Chambre des droits de l'homme et d'un médiateur nommé par l'OSCE, compétent pour enquêter sur les violations des droits de l'homme, publier les résultats des enquêtes et engager des poursuites devant la Chambre des droits de l'homme. Celle-ci, composée de 14 membres [8] , saisie par le médiateur ou par toute partie ou personne ou tout groupe d'individus, peut, le cas échéant, contraindre les parties à cesser toute action qu'elle juge contraire aux engagements pris en matière de droits de l'homme.

La Constitution prévoit également une Cour constitutionnelle composée de 9 membres, 4 étant choisis par la Chambre des représentants de la Fédération, 2 par l'Assemblée de la Republika Sprska. Les trois derniers sont désignés par le Président de la Cour européenne des droits de l'homme [9] .

Cette Cour a pour compétence de régler tout différend constitutionnel entre les entités ou entre des institutions de la Bosnie-Herzégovine. De même est-elle appelée à statuer sur la question, posée par un tribunal, de la conformité d'une loi à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme.

3. Les structures institutionnelles de chaque entité

Elles opposent une conception décentralisée pour la Fédération croato-bosniaque à une approche plus centralisée pour la Republika Sprska.

La Fédération de Bosnie-Herzégovine comprend deux chambres :

- une chambre des représentants (140 membres élus au suffrage universel) et une chambre des peuples (60 élus auxquels s'ajoutent 60 membres nommés par les 10 assemblées cantonales à raison de 30 Bosniaques et 30 Croates).

Sur le plan local, les 10 cantons disposent chacun d'une assemblée élue au suffrage universel. Enfin, chacune des 40 opstinas -l'équivalent de nos communes- élit une assemblée municipale.

Le président et le vice-président de la Fédération sont élus par le Parlement de la Fédération (réunion des deux chambres). Il s'agit respectivement d'un Croate (M. Soljic) et d'un Bosniaque (M. Ganic). Enfin, un premier ministre bosniaque et un vice-premier ministre croate, complètent l'organisation du pouvoir exécutif de la Fédération qui comprend 11 ministères.

La Republika Sprska a choisi un système monocaméral, conforme à l'homogénéité de sa population, avec une assemblée nationale de 140 membres élus au suffrage universel pour deux ans au scrutin proportionnel.

Le pouvoir exécutif est exercé par le président de la Republika Srpska, élu au suffrage universel (Madame Plavsic). Le gouvernement -20 ministères- est dirigé par M. Klickovic, Premier ministre, assisté de trois vice-premiers ministres.

La totalité des premiers mandats électifs de Bosnie-Herzégovine comme des entités a été fixée à deux ans pour permettre de nouvelles élections générales en septembre 1998.

4. Un fonctionnement laborieux dû à des arrière-pensées inconciliables

Le dysfonctionnement institutionnel est en partie la conséquence des résultats des consultations électorales du 14 septembre 1996. Elles ont porté aux responsabilités, dans chacune des deux entités et au sein de chacune des trois communautés, des représentants des partis nationalistes qui avaient conduit la guerre, a priori réticents à faire fonctionner des instances communes.

En effet, le 14 septembre 1996 ont eu lieu, conformément au Traité, les élections destinées à faire vivre les institutions nouvelles (six consultations ont donc été organisées : les élections à la Chambre des Représentants de Bosnie-Herzégovine, à la Présidence, collégiale, de Bosnie-Herzégovine, à la Chambre des Représentants de la Fédération, à l'Assemblée Nationale de la Republika Srpska, à la présidence de la Republika Srpska [10] , enfin les élections aux assemblées cantonales.

Les élections aux municipalités (opstinas) ont en revanche été successivement reportées et devraient finalement se tenir en septembre 1997. Les causes de ce report sont multiples : nécessité d'éditer une nouvelle carte électorale dans la mesure où l'IEBL traverse plusieurs opstinas, incertitude sur les règles relatives au lieu du vote : celui-ci devrait-il être le lieu souhaité de résidence manifesté par l'électeur ou celui d'une résidence effective ? Par crainte des uns et des autres de voir venir voter des électeurs minoritaires continuant cependant à résider dans l'autre entité, c'est cette dernière formule qui a été retenue. L'OSCE, chargée d'organiser ces élections municipales, est par ailleurs confrontée à un grave problème financier. Le coût de l'organisation de cette consultation des 13 et 14 septembre 1997 est évalué à 25 ou 30 millions de dollars, à base de financements volontaires, et donc aléatoires, des Etats donateurs.

Cela étant, les organes politiques majeurs exécutifs et législatifs ont été pourvus le 14 septembre 1996. Les électeurs ont majoritairement désigné les membres des "partis de la guerre" : le Parti de la communauté démocratique croate (HDZ), le Parti d'action démocratique (SDA, musulman), enfin le Parti démocrate serbe (SDS). Or, ceux-ci portent sur l'accord de Dayton et les perspectives d'une Bosnie-Herzégovine souveraine des appréciations difficilement conciliables.

Les musulmans du SDA ont le sentiment d'avoir, par les accords de Dayton, été privés d'une victoire militaire possible et d'avoir dû faire d'excessives concessions territoriales aux Serbes. Ils entendent légitimement que la totalité des dispositions de l'accord soient appliquées, en particulier celles relatives au retour des réfugiés, ainsi qu'à l'arrestation et au jugement des criminels de guerre. A défaut, ils n'imaginent pas se lancer dans une coopération intercommunautaire, aujourd'hui inexistante, avec la partie serbe.

Les clauses du traité appelant à un partage du pouvoir ne sont pas appliquées avec conviction et, d'une manière générale, le privilège moral, que les musulmans estiment avoir acquis au cours des années d'épreuve, les conduit à tenter de faire prévaloir leur propre conception du pays et de son organisation. Cette attitude de " domination " au sein des instances centrales, en contradiction avec le principe central d'un pouvoir partagé, a été l'un des risques dénoncés par le Haut représentant comme autant d'accrocs à l'accord de Dayton. " Nous devons empêcher un groupe, singulièrement les Bosniaques, de monopoliser les pouvoirs et les institutions ou de ne pas partager les pouvoirs dans les conditions prévues par l'accord de paix " 11.

Une large partie des Bosno-croates du HDZ pour sa part , reste attachée à l'indépendance, autoproclamée en 1991, de la "république croate d'Herzeg-Bosna" aujourd'hui illégale. Au sein de la Fédération, nombreux sont ceux qui souhaitent voir revenir en Herzégovine occidentale -majoritairement croate- les populations croates demeurées en Bosnie centrale -majoritairement musulmane-. Enfin la collaboration institutionnelle entre Bosniaques et Croates au sein de la Fédération, se heurte à l'opposition de deux conceptions : celle des deux peuples constitutifs égaux -vision croate- et celle qui met en avant le rapport de forces démographique -vision bosniaque. La pérennisation de la division de Mostar constitue également un douloureux abcès de fixation.

Quant aux Bosno-serbes du SDS , ils ont surtout retenu de Dayton la création d'une " République serbe ", totalement homogène sur le plan de la population et sur le territoire de laquelle les responsables s'opposent au retour des réfugiés. Dans la même logique, la Republika Sprska s'efforce de minimiser la coopération avec la Fédération tout en renforçant ses liens avec la république de Serbie-Montenegro, par la signature, notamment, d'un accord de coopération économique.

B. LA DANGEREUSE FRAGILITÉ DE DAYTON

1. Les signes d'une partition rampante

Les accords de Dayton ont officialisé une ligne de démarcation entre les deux entités sur la base, peu ou prou, de la ligne de front de novembre 1995, accordant 51 % du territoire à la Fédération et 49 % à la Republika Srpska. Cette ligne de partage a partiellement entériné les conquêtes militaires et les transferts de population qu'elles avaient entraînées et ce, d'une façon générale, au détriment principal des musulmans bosniaques " Tout l'Est (vallée de la Drina), qui était hier majoritairement bosniaque, ainsi que tout le Nord (vallée de la Save) qui était ici bosniaque, là croate, sont aujourd'hui aux mains des Serbes. Les Croates dominent l'Ouest (...) où vivaient surtout les Serbes (...) Au total, 22 communes (sur 101) ont changé de mains " [12] . Tout l'effort de la communauté internationale, sur le plan civil comme sur le plan militaire avec la SFOR consiste à empêcher que l'IEBL ne devienne une frontière de fait et à assurer la liberté de déplacement. Chaque entité n'est autorisée à ne poster qu'un nombre limité de " check-points " sur les routes reliant les entités entre elles. Dans les faits, ces déplacements interentités sont quasiment inexistants et pour le moment, cette ligne de démarcation est, de facto, une frontière. Les retours de réfugiés dans les zones où ils sont minoritaires sont toujours difficiles, et quasiment impossibles en Republika Srpska.

Enfin, les réticences à l'interconnexion des réseaux téléphoniques, l'inexistence de plaques d'immatriculation communes -chaque entité a la sienne ce qui interdit de fait les franchissements de l'IEBL- sont autant de signes du refus des autorités de préparer et d'appliquer une véritable liberté de mouvements.

Chaque entité reste de surcroît jalouse des attributs de sa souveraineté que sont une monnaie, une armée, ou une police spécifique. Enfin Bosno-croates, d'une part, et Bosno-serbes, d'autre part, entretiennent respectivement avec la Croatie et la RFY des rapports privilégiés comme le leur autorise au demeurant la Constitution de Bosnie-Herzégovine qui prévoit en son article III-2 que " Les entités ont le droit d'établir des relations bilatérales spéciales avec les Etats voisins, dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine ".

Des liens de toute nature s'établissent peu à peu entre la Croatie et le territoire de Herceg-Bosna, d'une part, et la République Fédérale Yougoslave et la Republika Srpska, d'autre part. Ainsi la Croatie et la RFY s'efforcent-elles d'étendre, respectivement dans les zones d'Herzégovine et de Republika Srpska leurs réseaux téléphoniques, leur système postal, leur régime douanier ou leurs structures de police, le tout sans le consentement des autorités politiques et institutionnelles de Bosnie-Herzégovine. Ces dérives ne pourraient être durablement tolérées par la communauté internationale, sauf à mettre à bas l'équilibre de l'accord de Dayton.

La tentation de la partition, la Croatie et la RFY reprenant respectivement les territoires peuplés par les leurs, est dans bien des esprits. Cette partition laisserait une communauté musulmane en dehors de tout cadre institutionnel et international protecteur et sans doute prête à porter son désarroi sur le terrain militaire.

2. La difficile mise en oeuvre de dispositions essentielles de l'accord

· Les réfugiés et personnes déplacées

Au plus fort de la guerre, 2,4 millions de personnes, soit environ un habitant sur deux de l'ancienne Bosnie-Herzégovine, ont été réfugiées ou déplacées.

En 1996, 250.000 réfugiés et personnes déplacées ont regagné leur région d'origine. Quelque 200.000 sont attendues pour 1997, majoritairement en provenance d'Allemagne, qui souhaite voir s'accélérer leur départ vers la Bosnie.

L'accord de Dayton, en son annexe 7, fait du retour des réfugiés une question centrale. A la Conférence de Paris du 14 novembre 1996, le Bureau directeur ministériel [13] est convenu avec la Présidence de Bosnie-Herzégovine de principes directeurs sur les aspects civils du plan de consolidation parmi lesquels figure l'objectif prioritaire tendant à "faciliter le retour ou la réinstallation des réfugiés et des personnes déplacées, par des programmes progressifs et coordonnés qui répondent aux besoins locaux en matière de sécurité, de logement et d'emploi".

Cette question des réfugiés est l'un des points d'achoppement du volet civil : en Republika Srpska, les autorités -de la République ou des opstinas [14] s'opposent à tout retour de réfugiés non serbes dans la zone qu'ils administrent, dans la mesure où eux-mêmes, font-ils valoir, ne revendiquent aucun droit au retour pour leurs nationaux. A l'opposé, les autorités musulmanes considèrent les dispositions de Dayton sur les réfugiés et sur les criminels de guerre comme le principal intérêt de cet accord, estimant que leur non-respect entraînerait sa remise en cause globale.

Le retour des réfugiés -indépendamment de l'attitude des communautés majoritaires- se heurte à de nombreux obstacles. La situation économique, en premier lieu, qui, derrière une croissance assez vive, liée à l'aide internationale, laisse subsister un fort taux de chômage à plus de 50 % en Fédération et 60 % en Republika Srpska.

Dans un tel climat, le retour des réfugiés pose problème : pour les réfugiés eux-mêmes, mais aussi pour les habitants en place, qui souvent, même s'il appartiennent à la même communauté, voient revenir sans enthousiasme ceux qu'ils considèrent parfois comme des "déserteurs".

Il s'y ajoute, en second lieu, des difficultés juridiques, puisque pendant la guerre a été adoptée une législation spécifique, qui devrait être prochainement modifiée, sur les biens immobiliers abandonnés. Enfin, de nombreuses habitations et terrains ont été minés -il y aurait en Bosnie entre 1 et 3 millions de mines. Le déminage constitue l'une des actions principales à conduire dans le cadre d'une vision "intégrée" du retour des réfugiés.

Cette conception consiste, dans le cadre d'un projet de réinstallation sur un site, à prévoir plusieurs actions coordonnées : reconstruction de logements, assistance financière, déminage. Dans ce cadre, 22 municipalités ont été désignées comme prioritaires (3 en Republika Srpska, 19 en Fédération).

Une autre approche, qui n'a hélas pas rencontré beaucoup de succès jusqu'à présent prévoit un retour en zone de séparation (espace de 2 km de part et d'autre de l'IEBL).

Les projets pilotes de retours planifiés de 600 familles dans des villes de la fédération -Travisik, Jajce, Stolac, Bugojno- n'ont connu quelque réussite que dans les deux premières villes, les retours dans les deux dernières ayant dû être gelés après de graves incidents entre civils. Un système voisin des projets pilotes, le projet "villes ouvertes", consiste à accorder une aide financière aux municipalités qui acceptent sans discrimination le retour de leurs anciens habitants.

· Les criminels de guerre

Deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies [15] ont créé un Tribunal pénal international chargé de juger les personnes responsables des violations graves du droit humanitaire international à partir du ler janvier 1991.

Si ce tribunal ne dispose d'aucune force qui lui permette de faire respecter ses décisions, il peut dénoncer devant le conseil de sécurité de l'ONU tout Etat qui refuserait de coopérer, à charge pour le seul conseil de sécurité de prendre les sanctions éventuelles.

Ne pratiquant pas le jugement par contumace, il émet un mandat d'arrêt international entraînant soit l'arrestation de l'accusé, soit son confinement dans le pays ou l'entité qui refuse de le livrer. Siégeant à La Haye, le Tribunal pénal international a un effectif de 337 personnes dont 11 juges. Son budget , de 40 millions de dollars en 1996, pourrait atteindre 60 millions en 1997.

A ce jour, sur 74 inculpés, 44 sont formellement localisés (32 en Republika Srpska, 8 en Fédération, 2 en Croatie et 2 en Serbie). Sept d'entre eux sont accusés et détenus (4 croates et 3 bosniaques). Un seul -serbe- a été condamné.

Ce bilan, bien insuffisant au regard des traumatismes engendrés, en Bosnie et au-delà, par les atrocités commises pendant 42 mois de guerre, est pour l'heure l'un des principaux échecs de Dayton. Deux raisons principales peuvent l'expliquer : le refus des pays ou entités concernés de livrer les responsables installés sur leur sol ; le refus également, de l'IFOR puis de la SFOR, ainsi que celui du groupe international de police de procéder à l'arrestation des criminels localisés, estimant qu'une telle action n'entre pas dans leur mission [16] , laquelle sur ce point reste ambiguë. Il n'est pas exclu cependant qu'une pression constante de la communauté internationale, assortie de sanctions dans l'aide financière, conduise finalement à fragiliser ceux qui protègent les personnes recherchées. Quoi qu'il en soit, toute ébauche de réconciliation intercommunautaire ne pourra se développer sans la solution de cette question.

· Le sort incertain de la ville de Brcko

La ville de Brcko occupe, dans le cadre du découpage agréé à Dayton, une position stratégique. Pour les Serbes, elle relie les deux parties de la Republika Srpska ; pour les musulmans de Bosnie, elle donne accès à la Save et au Bassin du Danube.

En 1991, la ville était majoritairement peuplée de musulmans (44 %) et comprenait également des Croates (25 %), des Serbes (21 %) et 10 % relevant d'autres groupes ethniques. Conquise dès 1992 par les Serbes, ces derniers y ont procédé à un nettoyage ethnique faisant aujourd'hui d'eux les seuls, ou presque, occupants de la ville.

Lors des négociations de Dayton, la question de Brcko a été un grave abcès de fixation. Il a donc été décidé de surseoir à son règlement en prévoyant la mise en place ultérieure d'une commission d'arbitrage. Celle-ci a été mise en place, composée de deux représentants de la Fédération croato-musulmane et d'un représentant de la Republika Srpska, qui se sont vu désigner un troisième arbitre par la Cour internationale de Justice [17] . La Commission a rendu sa décision d'arbitrage le 14 février 1997 qui prévoit de :

- ne pas modifier l'IEBL,

- laisser Brcko en territoire de la Republika Srpska mais de confier la ville, jusqu'au 15 mars 1998 à un superviseur américain [18] dépendant du Haut Représentant et dont les directives prévaudront sur la loi serbe,

- créer un comité de conseillers représentant les instances internationales (OSCE, UNHCR, FMI),

- réhabiliter des installations portuaires sur la Save,

- subordonner le statut définitif de Brcko à l'application loyale des accords de Dayton par les factions, faute de quoi Brcko deviendrait un district spécial de la Bosnie où ne seraient applicables que les lois de Bosnie-Herzégovine et les directives du superviseur.

Cette solution d'attente a recueilli avec plus ou moins d'enthousiasme l'approbation des principaux protagonistes. Les pays du groupe de contact en tout cas la soutiennent, sachant qu'en mars 1998 -après les élections municipales-, une nouvelle phase, encore incertaine, s'ouvrira.

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