D. TROISIEME AUDITION DE M. MICHEL BARNIER

Le mercredi 28 mai 1997, la délégation a entendu M. Michel Barnier, ministre chargé des affaires européennes, sur les travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG).

A trois semaines du Conseil européen d'Amsterdam et alors que les travaux de la CIG continuent de progresser au cours du dernier mois, M. Michel Barnier se félicite de pouvoir rendre compte des négociations devant au moins l'une des deux assemblées en sorte que le Parlement puisse, autant qu'il est possible dans les circonstances présentes, être informé et en mesure de contrôler.

M. Michel Barnier indique alors que les négociations sont entrées dans leur dernière phase et que des progrès importants ont été accomplis au cours des dernières semaines, en particulier en ce qui concerne la reconnaissance des responsabilités entières des Etats membres en matière de sécurité publique et d'ordre public pour toutes les questions de justice et d'affaires intérieures, une meilleure expression du socle minimal d'harmonisation en matière de lutte contre la drogue, le terrorisme et la criminalité internationale, enfin la volonté de rendre l'acquis des accords de Schengen obligatoire pour les futurs adhérents à l'Union européenne. Il ajoute que les négociations relatives aux régions ultrapériphériques et aux services publics progressent également de manière positive. Estimant que le dernier texte soumis à la Conférence par la présidence néerlandaise constituait une très bonne base pour conclure la négociation, mais nécessitait encore certaines améliorations importantes, il souligne que les questions institutionnelles ne feront l'objet d'un accord qu'au dernier moment, lors du Conseil européen d'Amsterdam.

Le ministre indique ensuite que la réunion informelle des chefs d'Etat et de Gouvernement de Noordwijk a permis certains progrès importants. Tous les Etats membres semblent désormais prêts à conclure la Conférence intergouvernementale à Amsterdam. Les négociations relatives à la modification de la pondération des voix au sein du Conseil ont progressé de manière notable, conformément aux voeux des Etats membres les plus peuplés. Compte tenu de ces progrès, la France et l'Allemagne ont accepté une proposition relative à la composition de la Commission européenne, tendant à ce que le nombre de commissaires soit fixé dans le traité de manière définitive à 20 au maximum, même après l'élargissement de l'Union européenne. Pour améliorer le fonctionnement de la Commission européenne, la France aurait souhaité aller plus loin et réduire le nombre de commissaires à dix, mais un accord sur cette base paraissait impossible, les Etats les moins peuplés refusant de renoncer à la présence d'un de leurs ressortissants au sein du collège des commissaires. Au vu du résultat global de la négociation, un nombre maximum de 20 commissaires pourrait donc être politiquement acceptable si les pouvoirs du président de la Commission européenne étaient substantiellement renforcés, notamment en ce qui concerne la nomination et la sanction des commissaires. Un accord pourrait également se dégager pour que la Commission européenne fasse l'objet d'un meilleur contrôle politique de la part du Conseil européen qui pourrait approuver chaque année un rapport d'orientation que lui présenterait le président de la Commission.

M. Michel Barnier souligne ensuite que la France conserve trois priorités dans la dernière phase des négociations de la Conférence intergouvernementale : donner à l'Union une dimension plus politique, une dimension plus démocratique, enfin une dimension plus sociale. A propos du renforcement de la légitimité démocratique de l'Union, il souligne que la repondération des voix au sein du Conseil en est un élément important. Une extension assez large du vote à la majorité qualifiée est en outre nécessaire afin qu'un Etat membre ne puisse plus à lui seul empêcher tous les autres d'avancer. Le Royaume-Uni paraît aujourd'hui ouvert sur cette question. Mais cette extension du vote à la majorité qualifiée implique que la pondération des voix au sein du Conseil prenne mieux en compte l'importance de chaque pays en terme de population.

A propos des coopérations renforcées, le ministre souligne que le Royaume-Uni insiste toujours pour que ces coopérations soient décidées à l'unanimité, ce qui risquerait en fait d'empêcher toute initiative dans ce domaine.

M. Michel Barnier souligne ensuite que la meilleure association des parlements nationaux est désormais acquise et que le traité prévoirait bien la consultation de la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) sur les questions relatives au troisième pilier et vraisemblablement en matière de subsidiarité. En ce qui concerne les prérogatives du Parlement européen, l'extension du champ d'application de la co-décision fera l'objet d'un accord lors du Conseil européen d'Amsterdam. En tout état de cause, la France définira sa position finale dans ce domaine en fonction des progrès des négociations sur les autres points institutionnels et s'opposera à la mise en oeuvre de la procédure de co-décision sur les questions relevant de la politique agricole commune.

Le ministre souligne alors que la France défend l'inscription dans le traité du siège des institutions communautaires, et en particulier du siège à Strasbourg du Parlement européen. Il rappelle que le Gouvernement souhaite une réforme du mode d'élection des députés européens, afin de les rapprocher des citoyens.

M. Michel Barnier observe ensuite que les négociations visant à donner à l'Union les moyens de s'attaquer aux problèmes des citoyens, et par là même à lui conférer une dimension plus sociale, ont progressé. Un chapitre sur l'emploi sera intégré dans le traité, qui devrait prévoir une coordination de l'action des Etats membres dans ce domaine. Les ministres chargés de cette question auront une possibilité d'alerter le Conseil européen et de le saisir dans certaines circonstances. Le protocole social sera intégré dans le traité, mais il n'existe pas encore d'accord pour améliorer ce protocole, en particulier en ce qui concerne les demandes françaises sur l'égalité entre hommes et femmes et la création d'une base juridique spécifique en matière de lutte contre l'exclusion. Enfin, les négociations sur les services publics progressent favorablement et la France insiste toujours pour que les difficultés particulières des régions ultrapériphériques puissent être prises en considération en permettant, à la majorité qualifiée, aux Etats membres concernés de mettre en oeuvre des mesures dérogatoires en matière fiscale lorsque cela est justifié par la situation locale.

Le ministre aborde alors les questions relatives à la sécurité des biens et des personnes. Il observe que certains Etats refusent que le vote à la majorité qualifiée puisse être appliqué pour la définition d'un socle minimum d'harmonisation en matière criminelle. Il souligne que les accords de Schengen seraient intégrés dans le traité par l'intermédiaire d'un protocole annexé et que les futurs adhérents à l'Union européenne devraient respecter le contenu de ces accords. Il indique que la Cour de justice devrait avoir un rôle clairement délimité dans ces matières et qu'elle n'exercerait aucun contrôle sur la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde des accords de Schengen permettant à un Etat membre de rétablir, dans certaines circonstances, les contrôles aux frontières intérieures ; la France veut en effet qu'un Etat membre puisse, pour des raisons de sécurité publique, rétablir temporairement les contrôles aux frontières intérieures sans courir le risque d'être condamné par la Cour de Justice. Il a enfin fait valoir que la France maintenait son souhait que la communautarisation éventuelle de certaines matières du troisième pilier s'accompagne d'une consultation des Parlements nationaux et d'un double droit d'initiative de la Commission et des Etats membres.

Evoquant enfin la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), M. Michel Barnier souligne la nécessité de créer les outils d'une politique étrangère commune dans certains domaines. Il estime que le traité devrait permettre au Conseil européen d'adopter des stratégies communes par consensus, chaque Etat ayant la possibilité d'adopter une attitude d'abstention constructive ; dans un premier temps, ces stratégies devraient porter sur des sujets touchant à la périphérie de l'Union, et donc à la stabilité de l'Union, et intéressant les quinze. Les mesures d'application de ces stratégies communes seraient quant à elles adoptées à la majorité qualifiée. Un poste de haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune ou de secrétaire général de l'Union européenne devrait être créé. Cette personnalité, qui ne sera pas le secrétaire général du Conseil, aurait en particulier pour mission de surveiller la mise en oeuvre des actions communes, d'animer la cellule d'analyse et de prévision dont la création paraît acquise et d'assurer l'information du Parlement européen sur la politique étrangère et de sécurité commune. La France souhaite aussi, mais il n'existe pas encore d'accord sur ce point, que le Conseil ait le dernier mot en matière de dépenses pour la PESC.

A propos de la défense, le ministre fait valoir qu'il existe actuellement un blocage des négociations sur la question du rapprochement progressif entre l'Union de l'Europe occidentale et l'Union européenne.

Au cours du débat, M. Michel Caldaguès s'interroge sur le contenu concret des avancées accomplies en vue d'une meilleure association des parlements nationaux. Evoquant ensuite la PESC, il souligne que l'identité européenne ne se manifestait guère actuellement en Afrique. Il évoque enfin l'implantation de l'Euromarfor en Méditerranée et les réactions négatives qu'elle avait suscitées de la part de certains pays riverains. Soulignant que l'Euromarfor, pour tenir compte de ces réactions, avait publié un communiqué indiquant que les Etats européens n'avaient pas l'intention d'élever le niveau de leur présence en Méditerranée, il demande au ministre si cette orientation a été arrêtée par le Conseil européen.

M. James Bordas s'interroge sur les chances d'obtenir une véritable repondération des voix, qui garantirait aux Etats les plus peuplés une meilleure représentation au sein du Conseil.

M. Pierre Fauchon évoque la création d'un espace judiciaire européen. Il estime que le projet de traité présenté par la présidence néerlandaise représentait un progrès par rapport aux textes précédents, mais demeurait tout à fait insuffisant face à des phénomènes tels que le trafic de drogue, le terrorisme, la pédophilie ou le blanchiment de l'argent. Il regrette que certains Etats refusent, pour préserver leurs prérogatives ou parce que les concepts qu'ils emploient ne sont pas utilisés dans les autres pays de l'Union, la définition de crimes contre la sécurité des européens ou l'unification des jurisprudences des Etats membres. Il a stigmatisé la faiblesse de certaines dispositions du projet de traité, soulignant que l'adoption de " positions communes " ou de " dispositions cadres " sans effet direct n'était pas à la hauteur des problèmes de criminalité auxquels sont confrontés les Etats européens. Il a enfin plaidé pour une véritable communautarisation de ces matières.

M. Robert Badinter , approuvant les propos de M. Pierre Fauchon, estime qu'il était nécessaire, pour lutter efficacement contre le crime, de mettre en commun certains moyens au niveau européen et peut-être même à un niveau plus large. Il a en outre souhaité savoir si la Conférence intergouvernementale pourrait conduire à un accroissement des compétences de la Cour de justice, en particulier en ce qui concerne l'application du principe de subsidiarité. Il remercie le ministre pour l'information constante qu'il avait assurée auprès de la délégation.

M. Jacques Habert souhaite avoir des précisions sur les missions que pourrait avoir le futur haut représentant pour la PESC.

M. Christian de La Malène évoque la question de la repondération des voix au sein du Conseil. Il souligne la nécessité de renforcer l'efficacité des institutions en améliorant la situation actuelle et exprime la crainte que la Conférence intergouvernementale se contente de limiter l'affaiblissement des grands pays que provoquera l'élargissement futur de l'Union européenne. Dès lors, on n'aura aucunement renforcé l'efficacité de l'Union par rapport à la situation actuelle ; tout au plus aura-t-on réussi à empêcher une dégradation plus grande. Jugeant cela inquiétant si l'on veut qu'une volonté politique puisse se dégager dans l'Union, il souhaite qu'un accord ambitieux se dégage lors du Conseil européen d'Amsterdam.

M. Paul Masson , évoquant le projet de protocole visant à intégrer l'acquis de Schengen dans le futur traité et notant qu'il y est inscrit que cette coopération est conduite " dans le cadre juridique et institutionnel de l'Union européenne ", souhaite avoir confirmation du fait que la Cour de justice n'aurait pas compétence pour exercer un contrôle sur la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue par ces accords. Il estime que le système intergouvernemental créé par les accords de Schengen serait vidé de sa substance si la Cour était dotée d'une telle compétence et observe que cela irait à l'encontre de la Constitution française et de la décision rendue par le Conseil constitutionnel en vue de la ratification des accords.

En réponse aux orateurs, M. Michel Barnier précise que le protocole sur le rôle des Parlements nationaux annexé au traité permettrait à la COSAC d'être saisie ou de se saisir des questions relatives au troisième pilier et de la mise en oeuvre du principe de subsidiarité.

A propos de la modification de la pondération des voix au sein du Conseil, le ministre s'est déclaré relativement optimiste. Il rappelle qu'il faut aujourd'hui 62 voix sur un total de 87 pour réunir la majorité qualifiée, soit 71 % des voix. Il ajoute que, dans ces conditions, les décisions ne pouvaient être prises qu'en réunissant des Etats représentant au moins 58 % de la population de l'Union. Il estime qu'il est nécessaire que ce pourcentage ne soit pas abaissé après l'élargissement de l'Union européenne et observe que cela implique une augmentation du nombre des voix des grands Etats. Il explique que la France, bien qu'elle représente 15 % de la population, ne détenait aujourd'hui que 11,5 % des voix au sein du Conseil et que ce pourcentage devait être nettement augmenté.

M. Michel Barnier reconnaît que les négociations dans le domaine du troisième pilier posent des questions complexes et que les Etats membres ont des cultures institutionnelles différentes. Il souligne cependant que la France a beaucoup oeuvré pour qu'on parvienne à un accord ambitieux et cite, comme exemple des progrès accomplis, l'article K 3 du projet de traité de la présidence néerlandaise, qui prévoit l'adoption de mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue.

A propos de la Cour de justice, le ministre souligne que l'extension de ses compétences au contrôle de la mise en oeuvre du principe de subsidiarité n'est pas envisagée. Enfin, à propos du futur représentant pour la PESC, qui pourrait prendre le nom de secrétaire général de l'Union européenne, il souligne qu'il aurait pour mission principale la préparation et l'accompagnement des stratégies communes.

Après avoir exprimé la grande satisfaction que lui ont apportée les relations constantes et confiantes qu'il a entretenues durant ces deux années avec la délégation du Sénat, le ministre fait valoir que c'est la première fois, depuis le traité de Rome, que la France négociait une modification du traité par la voie d'un ministre ; il souligne que cela a facilité l'information, à chaque pas de la négociation, du Parlement français.

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