CONCLUSION :

L'AVENIR DE LA FRANCOPHONIE AU VIETNAM

Demain comme hier, le Vietnam restera essentiellement " vietnamophone ", et l'enseignement des langues étrangères y sera fonction de leur utilité en tant que vecteur des savoirs et instrument de développement. Dans ce pays légitimement fier de son histoire et jaloux de son indépendance, ouvert au dialogue des cultures mais soucieux de garder la maîtrise de son destin et de trouver sa propre voie vers le progrès, l'apprentissage des langues n'est pas une fin en soi -et encore moins l'expression de l'adhésion à un modèle- mais le moyen d'intégrer, sans renoncer à sa singularité, les expériences et les acquis d'autres civilisations.

C'est bien ainsi, d'ailleurs, que le français était devenu, pendant la première moitié de ce siècle, la langue des élites intellectuelles vietnamiennes, pour lesquelles il représentait une voie d'accès à ce que la société et la pensée occidentales pouvaient apporter à leur pays, bridé par des coutumes archaïques, en termes de progrès scientifique et économique, d'édification d'une société et d'un Etat modernes et, finalement, d'émancipation nationale.

La poursuite, à travers toutes les vicissitudes des relations franco-vietnamiennes, d'une coopération scientifique et culturelle fructueuse, le foisonnement d'initiatives et de projets qui a immédiatement suivi la " réouverture " du Vietnam incitent à penser que le dialogue franco-vietnamien est toujours considéré, de part et d'autre, comme une source d'enrichissement mutuel, et que le français, instrument d'expression mais aussi de construction de la pensée, demeurera, pour le Vietnam d'aujourd'hui, un atout précieux pour réussir son décollage économique tout en préservant son identité.

Il a semblé à la mission d'information que le choix des orientations selon lesquelles se réorganise, en tenant compte de ses acquis passés, la coopération culturelle scientifique et technique avec le Vietnam correspondait bien aux domaines dans lesquels la France -et le français- peuvent apporter un concours original et efficace au " renouveau " vietnamien.

La mission a également été impressionnée par l'enthousiasme et la compétence de tous les acteurs de la coopération culturelle française qu'elle a rencontrés, et par la qualité des relations qu'ils entretiennent avec leurs interlocuteurs et partenaires vietnamiens. Elle a aussi pu constater la réelle " demande " qui se manifeste dans les milieux universitaires et scientifiques en faveur d'un resserrement des relations avec la France, notamment au niveau des collaborations et des échanges avec des universités et organismes de recherche français.

Cependant ce bon départ ne suffira sans doute pas, après la longue éclipse de l'enseignement du français, à garantir que notre langue retrouvera au Vietnam la place correspondant à la contribution qu'elle peut apporter à son développement.

Dans la période de profonde évolution que traverse le Vietnam, il paraît indispensable de veiller en permanence à adapter les actions menées aux réalités du terrain, aux attentes de nos partenaires, à la recherche de l'efficacité.

Cette " évaluation permanente " doit en particulier, pour la mission, porter sur certains points essentiels :

· La définition des objectifs et des ambitions de la politique de diffusion linguistique , qui suppose en particulier que soit envisagée avec réalisme la place du français vis-à-vis de l'anglais.

Avec réalisme, c'est-à-dire sans illusions ni défaitisme :

- Il faut éviter de confondre le soutien indispensable à une francophonie vivante avec la " défense du français à tout prix " et d'abord ne pas entretenir l'illusion que le français pourrait redevenir la principale langue étrangère, voire la " langue seconde " du Vietnam. Toute politique qui consisterait à opposer -ou paraître opposer- le français à l'anglais serait en effet vouée à l'échec et à terme préjudiciable à l'avenir du français au Vietnam.

Car il serait absurde de contester que l'anglais est aussi un outil linguistique nécessaire au développement du Vietnam. L'anglais est la " langue commune " des pays de la zone Asie Pacifique, dont beaucoup n'ont pas de tradition francophone, à commencer par les principaux partenaires commerciaux du Vietnam (Taiwan, le Japon, la Corée, Singapour, Hong Kong...).

C'est la langue de l'ASEAN, et c'est aussi, qu'on le veuille ou non, la principale langue de communication internationale.

Il est donc normal que l'anglais soit considéré au Vietnam comme la langue " utile " par excellence, d'autant plus que l'autorité de la langue tient d'abord, de nos jours, à la performance économique et que les attentes des autorités vietnamiennes à l'égard de leurs partenaires étrangers s'expriment surtout aujourd'hui -décollage économique oblige- en termes d'investissements et de développement des échanges commerciaux.

- Mais il ne faut pas, pour autant, redouter que le développement inéluctable de l'anglais au Vietnam soit un obstacle à celui du français.

Le développement d'un " bilinguisme anglais-français " est au contraire une chance de confirmer le rôle spécifique du français comme outil de formation et d'expression de la pensée, spécialement dans certaines disciplines où sa précision et sa rigueur s'avèrent particulièrement utiles.

Tel est bien, du reste, le sens des observations faites spontanément par plusieurs interlocuteurs de la mission et qui distinguaient l'anglais, " langue du commerce " ou " des affaires ", et le français " langue du droit " ou " langue de la littérature ".

La diffusion de l'anglais renforce aussi le rôle du français en tant que langue de la diversité culturelle, face au modèle unique et uniformisateur véhiculé par l'industrie culturelle anglo-saxonne.

Au Vietnam comme ailleurs, et peut-être plus qu'ailleurs, la relance de la francophonie passe par une valorisation du " plurilinguisme " et il serait très utile que la coopération dans le domaine de l'enseignement et de la formation mette l'accent sur le développement des possibilités offertes aux élèves ou aux étudiants qui ont choisi l'anglais comme langue étrangère d'apprendre aussi le français en " deuxième langue ".

· L'attention portée aux débouchés offerts aux jeunes vietnamiens francophones

Le développement de l'enseignement du français dans l'enseignement scolaire et universitaire est évidemment indispensable pour reconstituer un " vivier " de francophones. Mais les efforts considérables qui ont déjà été consentis en ce sens, et qui commencent d'ailleurs à porter leurs fruits, n'atteindront pas leur but si le développement de l'offre d'enseignement du français ne tient pas compte des débouchés qui seront offerts aux élèves et étudiants ayant fait le choix du français.

Dans un pays en développement, où les jeunes générations sont nombreuses, le marché du travail encore relativement étroit, et où les familles accordent -comme en France- une importance extrême à la formation de leurs enfants, il est évident que les jeunes n'apprendront pas le français pour le seul plaisir d'apprendre une langue étrangère, mais parce qu'ils en attendent une chance supplémentaire de réussite ou d'insertion professionnelle. C'est encore plus vrai dans le cas des filières bilingues, dont les résultats en terme de maîtrise de la langue sont certes exceptionnels, mais qui exigent des élèves un investissement également exceptionnel.

Il paraît donc essentiel de prendre toutes les précautions possibles pour leur éviter une déception qui serait sans doute fatale à une renaissance durable du français au Vietnam, et notamment :

- veiller à ce que le développement des filières bilingues suive -et non précède- une étude approfondie des débouchés offerts à leurs futurs diplômés ;

- inciter les entreprises françaises implantées au Vietnam à embaucher de jeunes diplômés francophones ;

- développer prioritairement les formations aux niveaux (bac + 2) et dans les secteurs où les perspectives de recrutement dans des entreprises françaises et de développement des échanges franco-vietnamiens apparaissent les plus favorables (par exemple la bureautique, l'agronomie et l'agro-alimentaire, le tourisme, la santé, les télécommunications...).

· La concentration des efforts dans les " domaines d'excellence " de la coopération franco-vietnamienne , non seulement pour valoriser les résultats déjà acquis, mais aussi parce que ce sont des domaines très porteurs pour l'avenir du Vietnam et la présence culturelle et économique française :

- la médecine et la santé publique ;

- le droit et l'administration, où la coopération scientifique est étroitement liée à la coopération économique, les investissements français au Vietnam ne pouvant qu'être favorisés par une réflexion commune en ce domaine, et par la participation de juristes français à l'élaboration du droit vietnamien des sociétés, de la banque et des assurances, ou des investissements étrangers ;

- les autres sciences sociales -histoire, anthropologie, économie, environnement, démographie- dont le développement est nécessaire à la maîtrise de l'évolution économique du Vietnam et à la prévention des risques de déstabilisation sociale ;

- la politique culturelle (protection du patrimoine, encouragement à la création) qui, loin d'être un luxe superflu, est une préoccupation indispensable pour un pays engagé dans un processus de " modernisation " rapide mais soucieux de préserver son identité.

· La cohérence de l'offre de formation en France

Comme la mission a pu le constater, la demande de formation en France est très vive : l'espoir de pouvoir suivre un stage, une formation, des études en France joue un rôle souvent très important dans le développement de la demande d'enseignement du français, qu'il s'agisse de l'enseignement du français général ou du français de spécialité.

Il faut être conscient que la possibilité de multiplication des bourses se heurte rapidement à des limites budgétaires, et aussi que dans ce domaine la concurrence des formations anglophones, notamment de celles offertes dans la région, ne cessera sans doute de se renforcer : l'Australie, par exemple, a déjà mis en place un important programme de bourses universitaires.

Il est donc très important de consentir tous les efforts qui pourront l'être pour renforcer l'efficacité et la qualité de la politique des bourses, et en particulier :

- de développer, dans toute la mesure du possible, une programmation de l'offre de bourses (nombre et nature des bourses offertes, secteurs concernés). C'est en effet un domaine où le manque de suivi des efforts et de continuité dans les engagements est particulièrement " contre-productif " ;

- de coordonner l'offre de bourses, et en particulier de tenir compte des possibilités offertes dans le cadre de la coopération décentralisée et de la coopération inter-universitaire ;

- de " cibler " les formations offertes (niveau de formation, disciplines, sujets étudiés) en fonction des possibilités d'insertion des boursiers à leur retour au Vietnam et des priorités de la politique vietnamienne de formation et de développement.

· La mise en valeur de l'effort de coopération français

On ne saurait reprocher à la coopération française de privilégier l'action en profondeur sur l'ostentation et le savoir-faire sur le faire-savoir, aisément déplacé lorsque l'on travaille avec et chez des partenaires étrangers.

Cependant, à l'âge de la communication, un excès de discrétion peut devenir un handicap : c'est ainsi que la mission s'est étonnée de constater, dans un grand lycée vietnamien, qu'une plaque immortalisait le don par le consulat australien d'un laboratoire de langues, alors que la contribution de la France à la constitution d'un remarquable centre de documentation multimédia n'était en rien signalée à l'attention et à la mémoire du nombreux public d'élèves qui le fréquentait.

Si louable qu'elle soit, notre modestie peut donc parfois être à notre désavantage et, sans imiter des exemples parfois caricaturaux, il serait sans doute souhaitable de ne pas négliger de valoriser les réalisations et les succès de la coopération franco-vietnamienne ni de faire connaître au peuple vietnamien l'intérêt très réel que nous portons à son avenir et à la poursuite entre nos deux pays d'un dialogue qui a démontré au cours de l'histoire qu'il était une source d'enrichissement mutuel.

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