b) Quelle contrepartie pour la Nation ?

Pour France Télécom , votre rapporteur et votre Commission avaient préconisé le paiement d'une " soulte " ayant vocation à compenser partiellement le coût du transfert vers le budget de l'État du paiement intégral des droits acquis des agents de l'opérateur déjà pensionnés. Cette solution avait été retenue par la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom qui avait fixé le montant de cette soulte à 37,5 milliards de francs .

Pour La Poste, le dossier se présente en des termes quelque peu différents.

D'abord parce qu'elle conservera un monopole résiduel , même s'il aura tendance à se rétracter.

Ensuite parce que contrairement à ce qui a été fait pour France Télécom, La Poste ne devrait pas être transformée en société anonyme. Elle ne sera donc pas soumise à l'obligation juridique de verser de plein droit à l'État des dividendes, au contraire de France Télécom qui va commencer à en payer cette année.

Certes, les résultats financiers enregistrés depuis sa transformation en exploitant autonome rendent quelque peu théorique une telle distinction : ses déficits accumulés depuis 1991 atteignent la somme de 2,49 milliards de francs. Toutefois le présent rapport se refuse à considérer que cette situation préoccupante ait un caractère structurel et se place dans la perspective où, dotée des moyens de combattre ses concurrents à armes égales, La Poste pourra dégager des excédents.

Dans ces conditions, il ne s'agirait donc pas que le dispositif mis en place aboutisse à placer l'exploitant autonome dans une position plus favorable que celle de ses compétiteurs. Ceux-ci ne l'accepteraient pas et la Commission européenne ne manquerait pas de les entendre si leurs plaintes s'avéraient fondées.

C'est pourquoi la question du coût des retraites des anciens fonctionnaires de La Poste ne saurait en aucun cas être dissociée du problème global des relations financières de cette dernière avec l'État.

En définitive, la méthode à suivre pourrait se résumer selon la formule " tout doit être mis sur la table " de manière à ce que, hors service universel du courrier
235( * ) , les charges nettes supportées par l'opérateur soient équivalentes à celles de ses concurrents, ni plus ni moins .

Enfin, dernière différence, -et non la moindre- avec France Télécom, La Poste n'a pas les moyens d'acquitter une soulte à l'État . Non seulement cette dernière devrait être supérieure à celle de France Télécom eu égard à la masse des pensions en jeu, mais en outre, quand on est fortement endetté et qu'on a cumulé près de 2,5 milliards de déficit en six ans, on ne peut en aucun cas dégager les ressources nécessaires au paiement d'un forfait de plusieurs dizaines de milliards de francs pour solde de tout compte.

Peut-on, dans ces conditions, proposer de dispenser La Poste du paiement d'une telle contribution et de transférer, sans compensation, ses charges de retraites exhorbitantes du droit commun sur l'Etat ? Plusieurs éléments paraissent plaider dans ce sens.

D'abord, à la différence de France Télécom, La Poste n'a pas pu se constituer des fonds propres très importants au cours des années 1980 et son bilan d'ouverture n'a été positif qu'en raison de l'importance de ses actifs immobiliers.

En outre, depuis son changement de statut, mais c'était également le cas sous le régime du budget annexe, La Poste a supporté au lieu et place de l'Etat des charges qu'elle n'avait pas à assumer.

La loi de 1990 prévoyait la normalisation de ses relations financières avec l'Etat, notamment en compensant financièrement les charges de service public. Cela aurait dû -selon les calculs produits par l'opérateur- se traduire par un impact positif de 2,7 milliards de francs sur les comptes de La Poste. Or, la mise en oeuvre de la loi a privilégié les régularisations au profit de l'Etat et s'est traduite au contraire par une dégradation de ses comptes 236( * ) .

Le " prélèvement " ainsi opéré sur La Poste par rapport à la situation prévue par le législateur peut être estimé, en cumulé sur la période 1991-1997, a plus d'une trentaine de milliards de francs. Peut-on alors soutenir que la soulte a en quelque sorte été payée par avance ? Votre rapporteur l'a envisagé mais il lui est apparu peu probable que Bercy puisse accepter la conclusion d'une telle argumentation.

Serait-ce alors qu'il conviendrait de se résigner à ne rien faire ? La réponse est à l'évidence non. Peut-on pour autant transférer tout le poids des pensions des anciens fonctionnaires de La Poste sur le budget général et donc sur les contribuables sans aucune contrepartie ? Votre Commission et votre groupe d'études inclinent à considérer une telle éventualité comme exclue. Deux raisons à cela :

- le taux des prélèvements obligatoires atteignant déjà les limites de l'acceptable en France, il ne conviendrait pas d'exposer les postiers à une fronde fiscale des contribuables ;

- l'État et tout particulièrement le ministère du Budget disposeraient alors de beaucoup d'arguments pour s'opposer à tout transfert significatif.

Votre rapporteur a étudié la possibilité de mettre en oeuvre deux contreparties :

le transfert de propriété des possessions immobilières de La Poste, ou tout au moins d'une partie d'entre elles, à l'État.

Ceci permettrait le versement d'une soulte substantielle puisque la valeur du patrimoine immobilier de La Poste est évaluée à 28 milliards de francs. Cependant, pour que l'État accepte, il conviendrait que l'opérateur lui verse des loyers satisfaisants et la dépense annuelle qui en résulterait serait, selon les estimations opérées, de l'ordre de 1,5 milliard de francs par an. La dépense serait conséquente mais au total -sauf, sans doute, dans les toutes prochaines années- inférieure aux charges de retraites exorbitantes du droit commun qui pèsent sur La Poste.

Pour pallier les déséquilibres pouvant en résulter à court terme, on pourrait également programmer des cessions par tranche, d'année en année. On pourrait aussi, pour éviter les inconvénients d'une translation totale, envisager un transfert partiel, par exemple d'une partie du réseau rural seulement, mais alors la valeur du montant versé risquerait de ne pas apparaître suffisamment conséquente.

En outre, dans tous les cas, eu égard à l'importance tenue par le parc immobilier dans le bilan de La Poste. Il en résulterait un appauvrissement patrimonial de La Poste de nature notamment à pénaliser ses emprunts sur le marché financier. En outre, techniquement envisageable, ce transfert de propriété ne serait pas aisé à expliquer et il n'est pas improbable que les postiers le percevraient comme une spoliation et s'en trouveraient démobilisés pour affronter les défis de l'avenir.

C'est pourquoi tout en considérant que l'idée mérite sans doute un approfondissement, le présent rapport ne la retiendra pas .

L'affiliation des nouveaux embauchés de La Poste au régime général de la Sécurité sociale .

Les actuels fonctionnaires ne seraient pas concernés par une telle solution, qui pourrait éventuellement permettre de résoudre le problème des salariés précaires de La Poste, en proposant aux nouveaux entrants un statut unifié dont le bénéfice serait étendu à tous les contractuels.

Cependant, l'allégement qui en résulterait pour le budget général serait trop lointain pour présenter un intérêt immédiat et il est donc presque certain que l'État ne saurait accepter une contrepartie de cette nature. Elle ne sera donc pas proposée.

Lors des débats auxquels a donné lieu la présentation du présent rapport, 237( * ) M. Désiré Debavelaere, sénateur du Pas-de-Calais, a, en outre, émis l'idée -jugée par votre rapporteur très intéressante à étudier- d'asseoir la soulte de La Poste sur les recettes d'une seconde tranche d'ouverture du capital de France Télécom au public. Cette proposition ne conduirait bien entendu, en aucun cas, à remettre en cause la détention par l'Etat d'une majorité du capital de notre opérateur de télécommunications. La loi, et plus encore les principes constitutionnels rappelés plus avant 238( * ) , s'opposerait en tout état de cause à une telle conséquence.

Il s'agirait simplement de céder 11 à 12 % du total des actions dont l'Etat conservera 62 à 63 % après la vente publique qui vient d'être effectuée et l'échange de participations croisées avec l'opérateur allemand Deutsche Telekom. Sur la base des 42 milliards de francs encaissés suite à la cession de 23,2 % du capital qui vient d'avoir lieu, on peut estimer qu'une telle opération pourrait permettre de dégager une recette de l'ordre de 20 à 22 milliards de francs.

Reposant sur l'ancienne solidarité existant entre La Poste et France Télécom, sur laquelle le présent rapport s'est déjà appuyé pour justifier l'emploi d'une partie du produit de la taxe professionnelle de France Télécom à la modernisation du réseau postal rural 239( * ) , cette solution apparaît de nature à ouvrir des perspectives fructueuses.

Au vu de la difficulté à trouver une réponse économique au problème posé, votre Commission et votre groupe d'études considèrent que la proposition de M. Désiré Debavelaere mérite un examen approfondi. A défaut ou en complément de sa mise en oeuvre, il est préconisé une solution de nature politique : gager l'engagement des Français en faveur des retraites des postiers sur une meilleure continuité du service postal.

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