II. UNE REFORME GLOBALEMENT POSITIVE

A. LE TRANSPORT DE VOYAGEURS : UN BILAN SATISFAISANT

1. L'amélioration des services offerts et des performances

Les performances des compagnies d'exploitation ont été sensiblement améliorées depuis la réforme de 1987, dans le domaine de la qualité de service comme dans celui de la gestion.

En ce qui concerne la qualité de service , la priorité a été donnée à la sécurité. Le nombre des accidents a diminué de 50 % et de 70 % sur les passages à niveau. La compagnie JR East a doublé le montant des investissements destinés à la sécurité. Elle s'est en particulier dotée d'un nouveau système de freinage automatique (ATS-P), plus performant que celui introduit dans les années 1960 à la suite d'un grave accident.

Par ailleurs, l'offre de trains a été améliorée. La société JR East faisait circuler 12.081 trains par jour en 1996 contre 10.416 en 1987. Actuellement, le retard moyen des trains est inférieur à 1 mn malgré la densité du trafic sur le réseau japonais. Dans ces conditions, le trafic ferroviaire a sensiblement augmenté au cours des dix dernières années. Cette augmentation ne peut toutefois être totalement imputée aux effets de la réforme, dans la mesure où elle avait débuté dès 1985.

Evolution du volume de transport

(Société JR East)

en milliards de passagers/km


 

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Passagers-km

105

110

113

120

126

129

129

128

129

130

Indice

100

105

108

115

121

123

123

123

123

124

L'amélioration de la qualité a également porté sur les services offerts aux passagers âgés ou handicapés, avec la mise en place d'escalators spéciaux ou l'installation de petits compartiments réservés aux handicapés ou non-voyants.

Les sociétés d'exploitation n'ont pas hésité à entreprendre des investissements importants pour améliorer les conditions de fonctionnement de certaines lignes. Jusqu'il y a peu, les voyageurs allant de Tokyo à Yamagata, ville de 200.000 habitants, devaient changer de train à Fukushima, le Shinkansen ne pouvant circuler sur les voies classiques. La société JR East a inauguré en 1992 un nouveau Shinkansen, baptisé Tsubasa, reliant Tokyo à Yamagata. Pour ce faire, l'écartement des voies entre Fukushima et Yamagata a été modifié. En revanche, pour éviter de modifier les quais et les tunnels, les Japonais ont mis au point un nouveau type de Shinkansen à gabarit réduit, parfois appelé " mini-Shinkansen " pour circuler sur cette ligne.

Enfin, un soin particulier est accordé à la maintenance, qui est de plus en plus automatisée. La voie fait l'objet de tournées de surveillance, un wagon (baptisé Dr Yellow) enregistrant un certain nombre de données. Le matériel fait l'objet d'une inspection légère toutes les 72 heures et d'une inspection régulière tous les 90 jours. Tous les trois ans, les wagons passent en atelier pour démontage et examen des principaux organes. Enfin, tous les six ans, le matériel fait l'objet d'une inspection générale.

L'éclatement du réseau des JNR n'a donc pas conduit, loin s'en faut, à une dégradation de la sécurité du transport ferroviaire ou à une détérioration de la qualité de service. De multiples initiatives semblent au contraire avoir été prises pour améliorer le service offert aux voyageurs. Le découpage du réseau en entités régionales semble avoir créé un dynamisme qui n'existait pas dans les années précédant la réforme.

En ce qui concerne les performances économiques des compagnies d'exploitation, elles se sont fortement améliorées. Les trois sociétés situées sur l'île de Honshu, JR East, JR West et JR Central, dégagent des bénéfices qui s'élèvent au total à plus de 200 milliards de yens par an. La productivité a beaucoup progressé comme le montre le tableau suivant, qui retrace l'évolution du nombre de personnes du groupe JR East affectées aux activités ferroviaires et de la productivité des employés.

Evolution de la productivité depuis la réforme

(Société JR East)

En termes de tarifs , il semble que la réforme ait conduit à une grande stabilité des prix pratiqués par les sociétés. Le relèvement des tarifs est d'ailleurs l'un des derniers domaines sur lesquels l'Etat exerce un contrôle strict. En pratique, on n'a assisté à aucune hausse des prix depuis 1987 tout au moins sur l'île de Honshu, les sociétés des autres îles, JR Hokkaido, JR Kyoshu et JR Shikoku ayant été contraintes de relever leurs tarifs en 1996. La société JR East a récemment annoncé qu'elle n'augmenterait pas ses tarifs au cours des dix prochaines années. Il faut cependant avoir à l'esprit que le prix du transport ferroviaire avait beaucoup augmenté au cours des années précédant la réforme. Les tarifs demeurent donc élevés, en particulier pour ce qui concerne les lignes de Shinkansen.

Les entreprises issues des JNR ont toutes entrepris une politique de diversification de leurs activités afin d'améliorer leur rentabilité. Ainsi, la société JR East, plus important opérateur du Japon, a développé des activités commerciales dans les gares (stands, restaurants, cinémas). Elle a également exploité les possibilités offertes par le réseau pour promouvoir des activités de loisirs (hôtellerie en particulier). Elle tire en outre une part très importante de ses bénéfices de l'exploitation des espaces publicitaires situés dans les trains, dans les gares ou sur le réseau. Elle a même créé des stations de ski, naturellement desservies par son réseau ferroviaire. Cette diversification a été inspirée aux sociétés du groupe JR par la politique menée dès avant 1987 par les compagnies ferroviaires privées qui interviennent dans certaines zones du Japon. C'est en partie grâce à cette politique de diversification que les sociétés d'exploitation sont aujourd'hui bénéficiaires.

Un autre élément intéressant est le souhait de certaines compagnies de devenir de plus en plus autonomes et d'assumer certaines tâches qui ne reviennent pas traditionnellement aux exploitants ferroviaires. Certaines usines de maintenance ont été reconverties à la production de matériel roulant urbain. Ainsi, la société JR East, dont 43 % des revenus proviennent des transports urbains pour lesquels la demande reste relativement indépendante des conditions économiques, a entrepris la construction de trains de banlieue. Elle a notamment fait pour cela appel à des fournisseurs étrangers tels que Siemens, Knorr et Faiveley Transports.

2. Un libéralisme tempéré

La réforme japonaise, comme la réforme britannique, est souvent qualifiée de privatisation ou de libéralisation. Il convient de nuancer ces qualificatifs qui ne rendent pas pleinement compte de la réalité. La concurrence directe demeure en effet très limitée sur le réseau japonais. Le territoire a été divisé en six zones et, dans chacune d'elles, chaque société JR dispose d'un monopole sur le réseau. Sur quelques lignes seulement, les sociétés du groupe JR sont concurrencées par des compagnies privées qui existaient avant la réforme, mais ces sociétés disposent de leur propre réseau, de sorte que les questions d'accès au réseau ne se posent pas. Cette concurrence existe par exemple sur la ligne qui relie l'aéroport de Narita à Tokyo. Sur cette ligne, JR East, qui a mis en service le " Narita express " est concurrencée par une société privée, Keisei.

En revanche, il existe une réelle émulation entre les six compagnies de transport de voyageurs, en ce qui concerne en particulier la qualité du service. La comparaison de leurs performances conduit naturellement les sociétés à tenter d'améliorer leur gestion. Pour certains, cette émulation explique également la diversité des matériels existant au Japon, en particulier en ce qui concerne le Shinkansen. Chaque société souhaite en effet avoir son propre Shinkansen clairement identifiable.

En ce qui concerne la privatisation, elle n'est encore que très partielle . L'Etat, à travers la Japonese National Railways Settlement Corporation, organe chargé de gérer la dette des chemins de fer, détient en effet 100 % des actions de quatre des sociétés issues des JNR : JR Freight, JR Shikoku, JR Kyushu et JR Hokkaido. Comme nous le verrons, la société de fret est aujourd'hui déficitaire, ce qui rend sa privatisation délicate. Ses dirigeants souhaitent cette privatisation, mais reconnaissent qu'elle n'est guère envisageable sans un redressement préalable. Les trois autres sociétés sont situées dans des zones géographiques où la densité de population est peu élevée, de sorte qu'elles ne peuvent espérer réaliser des bénéfices comparables aux compagnies de l'île de Honshu. Leur privatisation est néanmoins envisagée, mais sans plus de précisions.

Seules JR East, JR West et JR Central ont donc fait l'objet d'une privatisation partielle. C'est en octobre 1993, soit six ans après la réforme que la première opération de privatisation s'est déroulée. 2,5 millions d'actions de la société JR East ont été vendues sur un total de 4 millions. Par la suite, la situation économique a retardé l'introduction en bourse des autres sociétés. En octobre 1996, la société JR West a été partiellement privatisée. Cette opération a été suivie en octobre 1997 de l'introduction en bourse de JR Central. L'objectif du Gouvernement est d'achever la privatisation de ces sociétés dans un délai relativement bref. La seconde tranche de privatisation du JR East est envisagée pour février 1998.

On constate donc qu'il est très abusif aujourd'hui de parler de privatisation des chemins de fer japonais. Cette privatisation demeure très partielle et l'Etat possède en outre certaines lignes de Shinkansen, qu'il loue aux sociétés d'exploitation. Ce qui est clair, en revanche, c'est que les compagnies ont désormais un statut de société privée et sont gérées comme des sociétés privées, l'Etat n'intervenant pas dans la gestion courante.

3. Un avenir incertain

Le bilan de la réforme pour le transport de voyageurs est donc largement positif, comme le reconnaissent tous les acteurs concernés. Pour l'avenir, il existe certaines incertitudes. Si le trafic voyageurs a fortement crû au cours des dix dernières années, ce phénomène semble maintenant devoir s'interrompre.

Le marché ferroviaire a atteint une complète maturité, et l'on s'attend à un certain ralentissement, compte tenu du vieillissement de la population. La Société JR East a ainsi constaté cette année une diminution du nombre de cartes " étudiants " par rapport à l'année précédente. Par ailleurs, la hausse du volume de voyageurs transporté n'a pas empêché une nouvelle diminution de la part du fer dans le volume total du transport des voyageurs, comme le montre le tableau suivant :

Répartition du trafic voyageurs par mode de transport

(pourcentage passagers-km)

 

1960

1965

1970

1975

1980

1985

1990

1994

JNR ou sociétés JR

51

45

32

30

25

23

18

18

Chemins de fer privés

25

21

17

15

16

15

12

11

Automobiles

5

11

31

35

41

45

57

59

Bus

18

21

18

19

14

12

9

7

Avion et bateau

1

2

2

4

5

5

4

5

Les sociétés de chemins de fer devront donc rechercher de nouveaux moyens pour que le rail ne perde pas de parts de marché dans les années à venir. Les responsables de ces compagnies estiment que l'avenir de ce mode du transport au Japon réside essentiellement dans les zones urbaines, compte tenu de la très forte densité de population, et les lignes à grande vitesse.

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