5.6.3 Une relation complexe entre les coûts et les prix

Entre le prix final payé par un chargeur 32 ( * ) , et les différents éléments de coûts 33 ( * ) , s'interposent en général un certain nombre de phénomènes déformants qui opacifient la compréhension de la compétitivité-coût, et le cas échéant modifient celle-ci.

C'est ainsi que les prestations assurées par les commissionnaires de transport - qui organisent tout ou partie des opérations de transport de bout en bout, pour 65 % des tonnages de marchandises diverses (general cargo) -sont facturées à leurs clients à des prix pouvant varier considérablement d'un commissionnaire à l'autre. Sur l'exemple d'une cotation demandée à 12 transitaires 34 ( * ) pour l'Afrique, les prix peuvent comporter un écart de 1 à 1,4 pour le prix du fret, et de 1 à 1,67 pour « la mise à FOB » (incluant : transport terrestre, transit, douane et mise à bord). S'il est vrai que dans une économie de marché il appartient à chaque fournisseur de proposer un prix, et à chaque client de se déterminer en conséquence, l'amplitude importante des cotations commerciales dénote un rapport très indirect avec les coûts élémentaires, ce qui fausse la perception de la compétitivité réelle des opérateurs initiaux.

Un deuxième niveau de filtrage provient des méthodes de cotation du fret par les armateurs des lignes régulières. En règle générale, ceux-ci facturent au commissionnaire de transport 35 ( * ) ce qui globalement constitue le taux de fret, à savoir essentiellement :


• un « fret officiel de base »


• une « taxe d'embarquement »

Les «taxes d'embarquement» sont appelées THC (Terminal Handling Charges) pour les conteneurs et PLTC (Premium Loading Terminal Charges) pour le fret conventionnel. Elles sont des participations au coût de mise à bord, et servent essentiellement à compenser les frais de manutention payés par l'armateur.

Les THC se situent dans une amplitude de 650 à 1 100 F par conteneur suivant les destinations et les ports d'embarquement. La position concurrentielle des ports français est variable. Ainsi, sur l'Extrême-Orient, Le Havre (= 810 F) est intermédiaire entre Rotterdam (= 900 F) et Anvers

(= 730 F) ou l'Angleterre (= 670 F). Sur l'Afrique occidentale ou les Antilles, les THC sont moins élevées à Anvers (= 650 F) et Rotterdam (= 780 F), qu'au Havre (= 950 F) ou à Marseille (= 1 080 F).

Même lorsqu'elles sont défavorables aux ports français, ces différences ne motivent pas néanmoins à elles seules un transfert de la marchandise vers un port étranger.

En revanche, les PLTC pour des raisons historiques et commerciales, sont incomparablement plus faibles dans des ports comme Anvers, Amsterdam ou Rotterdam que dans les ports français. Toujours appliquées dans les ports français, elles ne sont parfois même pas facturées à Anvers, et souvent « négociées » selon le type de cargaison. L'exemple réel ci-dessous, relatif à un chargement de résine synthétique, est significatif :

en F/tonne

PORT

PLTC

Le Havre

170

Marseille

190

Dunkerque

100

Rouen

150

Anvers

12

Cette disposition, pratiquée dans les ports du Nord Continent est connue sous le nom de « FOB Anvers » ou de « Pierre Bleue » ; elle consiste en ce que le chargement de la marchandise à bord du navire soit pris en compte par l'armateur lorsque celle-ci est placée dans une zone délimitée du quai. L'écart de prix est suffisant pour entraîner l'acheminement terrestre jusqu'à des ports du Nord de marchandises géographiquement proches de ports français. Cela explique, en moins en partie, le peu de marchandises conventionnelles traitées par le port du Havre (0,23 MT).

On peut se demander pourquoi les armateurs défavorisent ainsi les ports français. Deux motifs sont avancés : en premier lieu, parce que ceux-ci « vont à la marchandise » et ont tendance à préférer les frets importants. En second lieu, cela est dû, ainsi que nous le verrons plus loin, à des coûts de manutention plus élevés en France. En tout cas cette question a suscité de grandes polémiques de la part des chargeurs français. Mais les armateurs de lignes régulières au lieu de diminuer ou de faire disparaître ces « taxes d'embarquement » en France, comme le souhaiteraient les chargeurs, ont, au contraire, tenté de les instaurer dans les ports du Nord Continent (et y ont réussi partiellement en ce qui concerne les THC) 36 ( * ) .

Par ailleurs l'élément le plus important du taux de fret est le « fret officiel de base » qui sert à rémunérer le trajet maritime mais également l'agent portuaire représentant l'armateur, ainsi que les coûts de passage portuaire non pris en compte par les taxes d'embarquement 37 ( * ) . Depuis quelques années, les armateurs des lignes régulières pratiquent un prix identique sur tous les ports d'une même « rangée ». En d'autres termes ce sont eux qui absorbent les différences de coûts dus à des « transit times » plus ou moins grands ainsi que les différences de coûts de passage entre ports concurrents. Ainsi, pour les lignes régulières uniquement, le client final ne perçoit les écarts de compétitivité entre ports qu'au travers des taxes d'embarquement. Cela relativise à ses yeux les composantes du coût de passage portuaire (autres que la manutention). De son côté l'armateur y est bien sûr sensible, mais ce n'est pour lui qu'un élément de coût parmi d'autres beaucoup plus importants (manutention, gestion des conteneurs), et plus généralement, ce n'est qu'un élément parmi d'autres déterminants du choix qu'il fait d'un port d'escale : il n'est que de constater que le « FOB Anvers », pour lequel il supporte l'essentiel des coûts de manutention, ne le dissuade pas de desservir le Nord Continent 38 ( * ) .

* 32 Ou plus exactement : par la marchandise, terme spécifique au transport maritime.

* 33 Plus exactement : les prix facturés par les entreprises génératrices des prestations.

* 34 Étude sur le prix de transport de marchandises transitant par les ports, réalisée pour le Commissariat général du Plan par le Cabinet MLTC, juillet 1997.

* 35 Ou à la marchandise lorsqu'il n'y a pas intervention d'un commissionnaire de transport.

* 36 On note toutefois mais dans le domaine du tramping une avancée à Dunkerque avec l'institution récente d'un « FOB Dunkerque » inspiré du « FOB Anvers ».

* 37 Plus le profit de l'armateur

* 38 Pour le « trampmg » (affrètement de navires), l'armateur est plus sensibilisé aux montants des droits de ports et des services maritimes qui constituent le coût direct de son escale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page