2. La réforme de la manutention bien engagée reste à compléter

2.1 La principale attente du client est la fiabilité

Dans la perspective de la concurrence des ports étrangers, il est fréquemment avancé que la cause principale du manque de compétitivité des ports français, qui se traduit par des pertes sensibles de parts de marché, réside dans les difficultés rencontrées dans l'organisation du travail de la manutention. Le coût de la manutention est prépondérant dans le passage portuaire, en particulier en ce qui concerne les marchandises diverses et les vracs solides de faible densité. Mais les clients des ports sont surtout sensibilisés au manque de fiabilité provoqué notamment par l'accumulation des conflits sociaux et par la faible productivité des opérations conduisant à des coûts anormalement élevés.

Les organisateurs de transport sont en mesure de valoriser en termes monétaires les différents éléments qualitatifs du passage portuaire que ce soient les risques de retards d'acheminement causés par les conflits sociaux ou les conséquences des dommages causés à la marchandise ou plus simplement certaines pratiques peu rationnelles d'utilisation de la main d'oeuvre. De même, les armateurs sont extrêmement sensibilisés aux coûts d'immobilisation de leurs navires, ainsi qu'aux rythmes de chargement et déchargement par les équipes de manutention. Lorsqu'un chargeur ou un armateur est échaudé un certain nombre de fois, il réorganise sa logistique pour passer par un port concurrent plus attractif et risque ainsi d'abandonner pendant une très longue période celui qui, de par sa situation, devrait accueillir l'essentiel de son trafic.

La notion de fiabilité se rapporte à la fois aux performances techniques des installations, aux déprédations intentionnelles ou non de la marchandise, mais aussi et surtout, aux défaillances, quelle qu'en soit la cause, des personnels et parmi ceux-ci plus particulièrement en évidence les ouvriers dockers. De plus, des causes externes au monde portuaire, telles que des blocages de port lors de mouvements sociaux, peuvent aussi influer sur la fiabilité. Elle peut être en partie subjective si l'on considère qu'elle est parfois inhérente à une image déformée de la réalité fondée sur une réputation ancienne ou imméritée.

L'enquête du BCEOM, entreprise en juin-juillet 1997 pour le Commissariat général du Plan, met en évidence l'importance, pour les usagers des ports français, de la fiabilité comme facteur de compétitivité du passage portuaire. Parmi les dix facteurs recensés, la fiabilité est considérée comme un facteur très important, souvent le plus important, de la compétitivité des ports français par quasiment tous les professionnels interrogés. Les indices de satisfaction associés à ce facteur montrent que sur ce point, la fiabilité du Havre est jugée satisfaisante (notée 2), celle de Marseille peu satisfaisante (notée 3), alors que celle de Dunkerque, Anvers et Rotterdam est jugée comme très satisfaisante (notée 1).

Il n'existe pas d'indicateur mesurant objectivement la fiabilité globale d'une place portuaire. Le décompte du nombre de jours de grève constitue une approche partielle un peu fruste dans la mesure où il n'intègre pas des pratiques également dommageables et non prises en compte (grèves perlées, refus d'heures supplémentaires, rigidités diverses) et où, pour des raisons commerciales évidentes, la vérité des pratiques n'est pas toujours avouée.

Le tableau ci-après présente un décompte des jours de grève quasi-générale dans cinq des six ports autonomes depuis 1991. Effectué à partir des renseignements fournis par les ports, il n'inclut pas les mouvements spécifiques des agents mensualisés au sein des entreprises ; depuis 1994, la situation s'est apparemment grandement améliorée.

Jours de grève quasi-générale
dans les ports autonomes depuis 1981

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997 (1)

Dunkerque

11

50

0

0

0

0

0

Le Havre

17

55

6

9

0

1

2

Rouen

nc

nc

nc

nc

nc

nc

nc

Nantes (2)

17

52,5

6

7,5

2,5

1,25

3

Bordeaux

nc

66

6

17

1

1

3

Marseille

Est

Ouest

24

29

81

81

14

14

23

23

2

2

2

2

5

6

Nb moyen

16,3

64,2

7,7

13,2

1,2

1,2

3,2

(1) à la date du 20 octobre

(2) aucun mouvement de grève à Saint-Nazaire Source : Ports autonomes

En revanche, l'impact du facteur fiabilité sur les trafics peut être nettement mis en évidence en ce qui concerne les plus volatils de ceux-ci, c'est-à-dire les marchandises diverses et surtout les conteneurs. À titre indicatif, les mouvements survenus à l'occasion de la réforme de 1992 ont provoqué un décrochement marqué du trafic de conteneurs des ports autonomes, comme le montre le graphique ci-après.

Trafic de conteneurs des 6 ports autonomes
(en cumul annuel glissant)

En 1992, au Havre, le trafic de marchandises diverses a chu de 12,1 à 10,2 Mt, soit - 16 % et celui des conteneurs de 8,8 à 6,9 Mt, soit - 22 %. À Marseille, les mêmes trafics ont régressé de 10,3 à 9 Mt (- 12,5 %) et de 4,9 à 3,9 Mt (- 20 %). Pendant ce temps, les échanges internationaux ont continué à progresser et les deux principaux ports français ont perdu des parts de marché qu'ils n'ont pas réussi à récupérer depuis.

Ces pertes de parts de marché peuvent être mises en évidence par la comparaison des trafics de marchandises diverses et de conteneurs en 1991 et 1996 entre Le Havre et les principaux ports du nord (y compris britanniques), ainsi que celle de Marseille et des principaux ports de la Méditerranée occidentale (hors Malte et GioiaToro). Pour conserver leur situation, le port du Havre aurait dû enregistrer en 1996 un trafic de marchandises diverses supérieur de 8 % et de conteneurs de 29 % et le port de Marseille de respectivement 37 et 57 %. Les écarts sont moins marqués pour les autres trafics en raison de leur caractère captif.

Au total, la fiabilité, aussi difficile soit-elle à mesurer, à un effet incontestable sur la performance des ports français. Cet effet fortement dissymétrique se traduit par des chutes rapides de parts de marché lorsque des dégradations surviennent et par un temps de récupération beaucoup plus long, voire peut-être des pertes irréversibles, lorsque la situation s'améliore. Plus que les coûts, il s'agit du facteur essentiel conditionnant le niveau de compétitivité du passage portuaire.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page