2.6 Le cas particulier des grutiers
Il est à noter que la réforme n'a pas abordé le cas du personnel grutier dont on rappelle qu'il fait partie des effectifs des ports autonomes ou des CCI. Même si le droit commun s'applique à cette profession, certains problèmes sont analogues à ceux des ouvriers dockers : sureffectifs chroniques (quoiqu'à un degré moindre) qui alourdissent les taxes portuaires, vieillissement du personnel, monopole syndical, etc. À terme, il sera difficile de justifier au moins dans les ports importants la coexistence sur les quais de deux métiers de la manutention très similaires et complémentaires. Dans les ports plus petits, un accroissement de la polyvalence pourrait être recherché.
Par ailleurs, les entreprises de manutention regrettent de ne pas avoir autorité sur un personnel qui travaille pour leur activité. Cela constitue également une cause de réticence de la part des entreprises privées pour investir en matériels de superstructure (grues et portiques), car elles veulent assurer la conduite et la maintenance de leurs équipements. De plus, les armateurs ont particulièrement montré leur intérêt pour des améliorations dans la coordination entre les prestations des manutentionnaires et celles de l'organe de la gestion de l'outillage portuaires (l'autorité portuaire). De façon plus précise, ils préconisent que ces deux services puissent être offerts de façon groupée par des opérateurs privés et intégrés. Au total, des solutions pragmatiques sont à trouver pour cette profession, qui pourraient passer par le chemin d'expérimentation au niveau local (GIE, détachements de personnels, exploitations directes par le privé...).
Quelques indicateurs pour comparer la
manutention
des conteneurs dans les ports européens du
Nord
par Élisabeth Gouvernal
Une productivité moyenne par portique et par port ne rend pas bien compte de la variété des trafics. La productivité d'un port comme Le Havre n'est pas forcément directement comparable à celle d'un port comme Rotterdam, car Le Havre a une part non négligeable de trafics « d'épicerie 52 ( * ) », c'est à dire de trafics de conteneurs isolés qui compte tenu des plans de chargements des navires nécessitent de nombreux shirtings 53 ( * ) pour leur chargement et leur déchargement. Une moyenne, tous trafics de conteneurs confondus, ne serait donc pas significative.
La productivité du déchargement par navire qui intéresse les armateurs offrant un service de ligne régulière avec les mêmes navires dans chaque port, semble la meilleure approche. Elle détermine la cadence des mouvements 54 ( * ) par navire. Elle aura l'avantage d'éviter l'incertitude concernant la taille des navires ; il restera néanmoins la taille des escales qui constitue un facteur non négligeable de productivité.
Cette productivité peut être calculée de plusieurs façons, nous en retiendrons deux :
- la productivité nette de la manutention durant les heures où le navire est opéré (OPS prod), c'est à dire le nombre de conteneurs manutentionnés par heure travaillée ;
- la productivité à quai qui constitue le critère retenu par les armateurs pour juger de l'efficacité d'un port, c'est-à-dire le nombre de mouvements à l'heure par rapport au temps total passé à quai.
L'objectif de l'armateur est de minimiser son temps d'escale compte tenu des coûts en jeu. Ce souci se renforce avec l'accroissement de la taille des navires. L'armateur est donc plus sensible au temps réellement passé à quai qu'à la productivité nette des portiques pendant le temps travaillé.
La productivité de la manutention dans différents ports peut être appréciée à partir des données armatoriales suivantes
:
* Le Havre West est le premier port touché en Europe du Nord dans le sens Asie-Europe, Le Havre East, le dernier dans le sens Europe-Asie
Source : armateurs sur 3 mois ; porte-conteneurs de 3300 à 3900 EVP.
Quels que soient les indicateurs utilisés le port du Havre n'obtient pas la meilleure productivité. Seul Isle of Grains (port de Londres) a une cadence par portique inférieure (18 mvts/heure) au lieu de 18,5 à 23 au Havre (colonne 8), mais qu'il compense par la mise à disposition d'un plus grand nombre de portiques, 2,7 au lieu de 2 en moyenne au Havre (colonne 7 du tableau). Ainsi la cadence des opérations -fonction du nombre de portiques affectés au navire, lui-même fonction du nombre de mouvements à effectuer-de ce port est de 48,7 (colonne 6), alors que celle du Havre varie de 37 à 46 mouvements/heure.
Il faut analyser ces paramètres entre eux, et notamment tenir compte du nombre de mouvements par escale.
De ce point de vue, on peut noter que Le Havre a une situation géographique privilégiée en début et fin de ligne Europe-Asie, qui permet à certains armateurs de faire deux escales et d'améliorer le transit time qu'ils proposent. Cependant, cet avantage impose en contrepartie des escales de moindre volume : de 315 et 460 mouvements au lieu de 986 à Rotterdam ou 815 à Hambourg. Cet impact « diviseur » explique des cadences de manutention moins bonnes (colonnes 6 et 8), mais elles sont à relativiser par l'avantage retiré par les armateurs d'un meilleur transit time.
La cadence à quai est fonction de la cadence des opérations proprement dites, mais également du pourcentage travaillé par rapport au temps d'escale (colonne 4). Si l'on peut expliquer la moindre cadence opérationnelle par le plus faible nombre de mouvements 55 ( * ) , il n'en reste pas moins vrai que le pourcentage travaillé par rapport an temps a quai ne se suffit plus de ces explications (colonne 4) : il n'est que de 67 à 74 % au Havre alors qu'il atteint plus de 95 % à Rotterdam. Si Anvers n'enregistre que 79 %, cette attente dans ce port a une explication technique : les marées obligent à des attentes à quai avant de repartir après la fin des opérations.
Le graphique ci-après permet de visualiser les temps à quai par rapport au temps travaillé.
Le rapport entre ce temps travaillé et le temps passé à quai semble le problème important du Havre, qui apparaît au travers des « cadences à quai » de 27 à 30 mouvements à l'heure contre 43 à Isle of Grains, port comparable en nombre de mouvements. Ce dernier port affiche malgré tout 83 % du temps à quai réellement travaillé.
Ces indicateurs ont le même biais que d'autres : ils expriment « un » point de vue ; ainsi, par exemple, le nombre moyen inférieur de grues mises à disposition (colonne 7) doit être mis en face des contraintes de gestion des manutentionnaires qui tient compte de l'ensemble du trafic et du chargement des navires.
Ces différences peuvent révéler des formes d'organisation du travail et des conditions d'utilisation du matériel différentes. Il faudrait donc poursuivre cette première analyse et la compléter par le point de vue des manutentionnaires. Il n'y a pas une situation optimale unique. II faut donc comprendre ce qui relève des contraintes de gestion des manutentionnaires qui sont différentes de celles des armateurs, voir si des modifications possibles peuvent être introduites dans l'un ou l'autre de ces domaines, que ce soit l'organisation du travail ou les conditions d'utilisation du matériel qui amélioraient ces indicateurs sans détériorer ceux des autres parties prenantes de la manutention.
La volonté de ce propos est d'ouvrir quelques pistes de recherche au vu d'indices de productivité qui paraissent à première vue défavorables.
* 52 Ce terme n'est pas péjoratif, ce trafic peut d'ailleurs avoir par ailleurs une forte valeur ajoutée.
* 53 Shiftings = manipulations supplémentaires nécessaires pour positionner les conteneurs à charger ou à décharger.
* 54 Sont comptés les conteneurs déchargés, chargés, mais également les shiftings
* 55 et par les chargements en pontées maximales dus à la position de premier et dernier port sur l'Europe.