2.5 La faiblesse des entreprises de manutention

La dernière enquête connue, effectuée par la DAEI (Direction des affaires économiques et internationales), recense, en 1994, 129 entreprises de manutention employant 6 071 agents. Plus de la moitié d'entre elles emploient moins de 20 salariés et, même si une tendance à la concentration est observée ces dernières années, on peut estimer qu'il s'agit d'une activité très dispersée. Le chiffre d'affaires du secteur représente 4,4 milliards de francs.

Quelques grands groupes liés financièrement à des intérêts maritimes français exploitent des filiales de manutention implantées dans plusieurs ports : le groupe SAGA (Société anonyme de gérance et d'armement), le groupe CGM (Compagnie générale maritime) et le groupe SDV (SCAC - Delmas -Vieljeux). Ils connaissent tous à des degrés divers de fortes difficultés financières 51 ( * ) qui conduisent à des restructurations, des concentrations, des cessions de parts à des actionnaires minoritaires ou à des opérateurs locaux, voire des redressements judiciaires (Somotrans, filiale de SAGA) et, la plupart du temps, souhaitent se désengager des activités de manutention. D'autres entreprises à caractère familial sont implantées dans les ports. Elles dégagent parfois des marges appréciables, néanmoins insuffisantes pour faire face à des investissements lourds.

Dans l'ensemble, le marasme prédomine dans le secteur d'activité de la manutention. Les entreprises ont payé un tribut élevé à la mise en place de la réforme, non seulement en raison du poids des plans sociaux mais aussi des grèves endurées, des coûts salariaux très élevés et parfois des sureffectifs difficiles voire impossibles à résorber. Ces handicaps ont dissuadé l'installation d'entreprises nouvelles qui auraient permis d'injecter du sang neuf.

Comparés aux grandes entreprises étrangères de manutention, comme Hessenatie à Anvers ou ECT à Rotterdam, qui affichent des profits substantiels, les représentants français de la profession arguent qu'ils ont à supporter une partie des plans sociaux. Cela augmente leur coût et obère leur compétitivité. Ils font valoir, aussi, que les réformes analogues à l'étranger auraient été entièrement supportées par les États. Afin d'atténuer ce handicap, l'État a accepté, enfin, en août 1996 de verser aux entreprises de manutention l'excédent des fonds de réserve de la CAINAGOD (Caisse nationale de garantie des ouvriers dockers) soit 50 MF, cet organisme destiné à verser des indemnités de garantie aux dockers intermittents étant appelé à terme à disparaître. Cet effort est jugé insuffisant par la profession qui réclame la prise en charge par l'État et les collectivités locales de leur part de plans sociaux (600 MF restant à verser). Reste que ce dernier a déjà accompli un effort très important en prenant à sa charge la moitié du coût des plans sociaux. En outre, la reprise de la part patronale créerait une situation délicate à gérer dans la mesure où certaines entreprises ont déjà fini de payer leur part alors que d'autres (au Havre en particulier) ont interrompu indûment leurs paiements.

Il serait en revanche plus concevable d'envisager d'autres mesures destinées à venir en aide à la profession. Parmi les pays européens, des divergences importantes, sources de déséquilibre concurrentiel, apparaissent au niveau de la fiscalité locale. C'est pourquoi, l'exonération de la taxe professionnelle (70 MF par an nets des dégrèvements) estimée judicieuse par le « rapport Vittemant » d'avril 1997, au même titre que celle accordée à la marine marchande, permettrait d'aligner les ports français sur la pratique européenne. De même, les possibilités de financement des équipements de manutention par des crédits communautaires pourraient être envisagées sans a priori.

Par ailleurs, il convient de regretter que de nouvelles entreprises de service, par exemple les entreprises étrangères évoquées précédemment, ne soient pas en mesure d'intervenir dans le secteur de la manutention portuaire française. Ce ne sont pas tant les perspectives économiques que certaines « barrières coutumières » qui exercent un effet dissuasif. À titre d'exemple, on peut citer l'exigence du personnel docker d'avoir l'exclusivité du brouettage (transport horizontal) dans l'enceinte portuaire, ou encore l'accord, jugé récemment illégal, conclu entre les syndicats des dockers du Havre et les patrons d'entreprises qui réservent aux fils de dockers les contrats d'embauche dans la profession.

Au total, la réforme de 1992 a laissé de côté un volet important du secteur de la manutention : les entreprises qui sont restées en situation de faiblesse chronique. Si, selon le Président de l'UNIM (Union Nationale des Industries de la Manutention), « le véritable enjeu de la réforme portuaire réside dans la constitution d'entreprises de manutention fortes et responsables ». Jusqu'à maintenant, l'objectif n'a pu être atteint.

* 51 Le rapport d'évaluation sur la marine marchande met en évidence que « la pression à la baisse des taux de fret conduit à une rentabilité d'exploitation faible et incertaine » pour les groupes maritimes.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page