9. Les ports : des entités favorisant l'organisation spatiale du territoire
Les ports sont des objets économiques très importants pour l'organisation spatiale du territoire car ils sont les points d'ancrage d'activités humaines concentrant valeur ajoutée, emplois et espaces de vie. De véritables filières économiques et industrielles se sont constituées autour des ports, contribuant à créer dans les villes portuaires de nombreux services en matière de logistique, d'information, de finances, de sécurité, au sein de technopôles ou de zones industrialo-portuaires. Le positionnement géographique des ports, extérieur à la région capitale, est propre à favoriser des objectifs de décentralisation recherchés depuis plusieurs décennies. Leur nombre et leur dispersion sur les littoraux multiplient les opportunités de mise en valeur territoriale.
Aussi est-il possible d'affirmer que la recherche d'une organisation spatiale équilibrée du territoire est une dimension transversale à l'ensemble des politiques publiques relatives aux ports décrites dans ce rapport. Citons par exemple, outre la promotion de longue date des zones industrielles portuaires, les réformes de la manutention et de la domanialité, la modernisation des pratiques douanières et administratives, le projet de réforme portuaire, l'élaboration en cours des chartes de places portuaires, le schéma national d'aménagement des ports maritimes prévu par la loi d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire, et l'élaboration à venir d'un schéma de desserte terrestre des ports lié aux schémas sectoriels de transports terrestres prévus par cette même loi.
Ces politiques ont des aspects nationaux (écoulement du commerce extérieur, schémas directeurs), mais surtout régionaux et locaux. Au plan régional, les responsables de l'Aménagement du territoire s'efforcent d'une part d'insuffler une dose de volontarisme là où des évolutions ne se manifesteraient pas spontanément faute d'amorçage, d'autre part de favoriser des cofinancements d'investissements locaux. C'est le sens de l'élaboration des contrats de Plan État-Régions.
10. Une politique européenne à l'état embryonnaire
10.1 La politique de libre concurrence en cours de définition
Contrairement aux autres secteurs du transport, le système portuaire n'a jamais fait l'objet d'une politique active de la part des instances européennes. Dans un préambule du « livre vert » en cours de préparation (voir 10.5), il est reconnu que les ports, bien que jouant un rôle clé dans le commerce international, demeurent toujours dans une « zone grise » de la politique européenne des transports. Les raisons de ce retard relatif peuvent être multiples et tenir à la diversité des régimes juridiques et financiers régissant les ports (voir 1.6), à un manque d'informations suffisantes, à la complexité d'un secteur protéiforme et aussi à la réticence de beaucoup d'États membres envers l'interventionnisme dans les secteurs économiques. En outre, on ne souhaite pas voir la Commission s'engager dans une quelconque hiérarchisation des ports au détriment d'une subsidiarité jugée souhaitable par la plupart.
Par ailleurs, au plan mondial, les dernières négociations de l'« Uruguay Round » pour la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'ont pas permis d'aboutir à un accord concernant les services maritimes. Cet échec est dû aux objections des États-Unis et de certains pays asiatiques pour des considérations d'ordre stratégique et de protection économique. Sachant que le transport maritime stricto sensu est déjà largement libéralisé, les restrictions les plus fréquemment rencontrées concernent le passage portuaire et les activités terrestres associées au transport maritime.
Certains principes fondamentaux des Traités de Rome et de l'Union européenne, sur la libre concurrence, la vérité des prix et des coûts, la définition du contour des missions de service public... auraient pu justifier, comme dans le secteur du transport aérien, des interventions plus actives du Parlement et de la Commission. La politique commune portuaire est restée en retrait par rapport à la politique du transport maritime qui elle-même n'a été prise en considération que depuis seulement une vingtaine d'années. Il est vrai que les problèmes de concurrence externes à l'Union européenne sont au moins aussi importants que les problèmes internes et que, de surcroît, les États sont divisés sur les remèdes à apporter entre les pays chargeurs, comme l'Allemagne, la France ou l'Italie où le transport maritime est considéré avant tout comme un outil du commerce extérieur et les pays transporteurs, comme le Danemark ou la Grèce, grands exportateurs de services maritimes.
Dans les ports, la concurrence se déroule à plusieurs niveaux ; tout d'abord parmi les entreprises qui opèrent dans les différents ports : (par exemple, une société de remorquage hollandaise a pu s'implanter au port de Hambourg en proposant des tarifs plus attractifs), parmi les opérateurs et prestataires de service à l'intérieur même du port et aussi entre les ports eux-mêmes. À tous ces niveaux, des distorsions de concurrence peuvent se produire. Les comportements des opérateurs relèvent des articles 85 à 90 du Traité, alors que l'assistance financière aux organismes et opérateurs portuaires relèvent des articles 92 à 94.
D'autres domaines de concurrence peuvent influer sur le fonctionnement des ports : les aides aux armements navals (voir l'évaluation de la marine marchande) et, surtout, la qualité de la desserte terrestre à laquelle les ports sont très sensibilisés. Les Néerlandais ont bien assimilé ce paramètre en inscrivant comme grand projet européen prioritaire, donc ayant droit à un financement communautaire, la ligne de la Betuwe, ligne dédiée au transport ferroviaire de fret entre Rotterdam et l'Allemagne et dont la rentabilité est loin d'être avérée. On rappelle aussi que le projet de création de navettes ferroviaires par ERS (European Rail Shuttle) entre Rotterdam et Lyon (opération actuellement suspendue) a incité les responsables du port du Havre et de la CNC à mettre en place des navettes entre les ports français et Lyon avec une fréquence de plusieurs navettes hebdomadaires.
La Commission européenne peut procéder à des enquêtes pour vérifier la conformité au droit communautaire des règles et pratiques des États. C'est ainsi qu'en 1991, la Cour de Luxembourg a condamné le port de Gênes pour le double monopole de la manutention exercé par les opérateurs portuaires et les associations de dockers (avec obligations de nationalité italienne pour ces derniers), ayant entraîné plusieurs abus de position dominante. Récemment, la DG VII a instruit des plaintes à l'encontre de la DB (Deutsche Bundesbahn) pour position dominante abusive dans la desserte ferroviaire des ports allemands et du Bénélux sur plainte des entreprises qui opèrent sur le port de RotterdaM. D'un autre côté, la Commission vient d'instruire une demande de subventionnement par le gouvernement néerlandais des navettes ferroviaires afin de faciliter leur phase de démarrage. Cette intention est mal perçue par les ports concurrents, notamment Hambourg. Jusqu'à présent, la Commission considère que cette disposition est en contradiction avec l'article 92 du traité et que « la subvention pourrait favoriser les infrastructures de transbordement des Pays-Bas (autrement dit le port de Rotterdam) par rapport à celles d'autres États membres... La mesure pourrait donc détourner les flux de trafics au détriment des infrastructures de transbordement des autres États membres » 75 ( * ) . Il est à remarquer à ce propos que souvent les ports défendent la politique des subventions, mais s'empressent de les dénoncer chez leurs concurrents.
Actuellement, la commission enquête sur les textes des États membres de l'Union régissant la profession de la manutention. Près de cinq ans après la réforme française qui avait à l'époque obtenu le feu vert de la Communauté, il se pourrait que les dispositifs de protection subsistant dans la loi de 1992 ne rencontrent pas la même indulgence.
Enfin, pour faciliter l'intégration des ports dans les Réseaux Transeuropéens des Transports terrestres (RTE), la Commission des Communautés Européennes (DG VII) a constitué en 1994 pour les façades Baltique, Mer du Nord, Manche-Atlantique, Méditerranée, quatre groupes régionaux, lesquels ont apporté leur soutien à des études sur le rôle joué par les différents ports dans la Communauté. Ces études, confiées à des cabinets spécialisés, ont été achevées fin 1995 76 ( * ) ; elles identifient et explicitent les principaux flux de transport dans chaque région, le rôle des ports dans l'acheminement de ces flux et les conditions nécessaires au développement du transport maritime. Elles constituent une source d'informations utiles à l'examen des projets portuaires d'intérêt commun qui pourraient être présentés dans le cadre des réseaux transeuropéens de transport.
* 75 Journal Officiel des Communautés européennes du 22 mars 1997.
* 76 Voir notamment : Study of the Mediterranean Region (Port Systems and Maritime Transport) for the European Commission's Directorate General VII, Puertos del Estado, Consultrans SA, Octobre 1995.
- Integration of ports and maritime transport in the Transeuropean Network North Sea Region, Planco, NEA, Novembre 1995.
- Intégration des ports dans les réseaux de transport transeuropéens : Élaboration d'une description homogène du système portuaire des façades maritimes Manche-Atlantique, CATRAM, Décembre 1995.