2. Un cap à maintenir en dépit du report des négociations

Compte tenu de l'attachement de l'ensemble de la communauté occidentale aux principes du libéralisme, il n'est pas étonnant que la France se retrouve relativement isolée dans sa position en faveur de l'exception culturelle.

On ne saurait donc se contenter des incantations habituelles. Alors que faut-il faire ? Réponses :

- il faut d'abord nous mobiliser nous-mêmes,

- chercher à l'extérieur des appuis auprès de nos partenaires, sur une base modérée, en trouvant la bonne solution entre une " bunkerisation " irréaliste et la soumission complaisante au complexe médiatico-financier international.

1? Face à la déferlante américaine, le maintien de notre culture suppose une réelle mobilisation de nos forces . Et d'abord de la lucidité et du courage mis au service de ces forces. " A nous de faire préférer la culture française ", pourrait-on dire en plagiant la formule sans complexe d'une récente campagne de publicité.
Ce qui est vrai à l'échelle du monde, l'est tout autant sur notre propre sol. Car cette action, il faut d'abord la mener à l'intérieur de nos frontières, auprès des jeunes. Et c'est dès l'école que tout se joue et que peut se créer cette citoyenneté culturelle. A nous de faire que les produits importés d'outre-Atlantique - diffusés au cinéma ou à la télévision - ne constituent pas le commun dénominateur culturel qui ferait le " lien social " des Français du XXIe siècle ! On ne peut ignorer les évolutions du monde qui nous entoure et bientôt nous envahira, balayant toutes les digues que nous croirons avoir construites pour l'éternité. On ne doit pas pour autant accepter comme un fait presque accompli l'irrésistible montée en puissance des lois du marché.
2? Car , il est parfaitement possible - à certaines conditions - d'accepter le jeu du marché sans se plier à la dérégulation à outrance voulue par les grands groupes américains, qui s'avancent masqués derrière les idéaux de liberté et de créativité, pour imposer leur pouvoir. A nous d'aider nos partenaires européens à ouvrir les yeux.
En définitive, ce qui est essentiel, c'est que l'Union européenne garde la possibilité de différencier entreprises européennes et non européennes dans tous les domaines où il existe des politiques communes. A commencer bien sûr par l'agriculture et la pêche où les États ont, comme en matière culturelle, développé des politiques spécifiques.

La France et ses partenaires européens ont le droit et le devoir de l'exiger. Du reste, les États-Unis ont eux-mêmes déposé une liste de réserves dérogatoires, dite " liste B ". Cette liste permettrait de maintenir des discriminations en faveur de leurs ressortissants, notamment dans le domaine des subventions des marchés publics et des télécommunications.

Mais la défense de l'exception culturelle ne doit pas être transformée en un protectionnisme culturel, doublé d'un anti-américanisme de mauvais aloi. Deux aspects doivent être soulignés :
Les méthodes américaines , leur évidente efficacité à condition de les adapter à nos mentalités, seraient de nature à dynamiser la production audiovisuelle européenne. Le malthusianisme est un risque. L'exemple de la création des multiplexes et la revitalisation du cinéma qui en est, semble-t-il, résultée, prouvent les effets bénéfiques de la concurrence organisée.

• Il faut donc convaincre nos compatriotes des bienfaits du dynamisme et les inciter à ne pas confondre les intérêts d'un certain microcosme médiatico-culturel avec ceux de l'économie et de la culture française. Le protectionnisme n'est pas forcément la seule et unique réponse à apporter à tous les problèmes.
Ne nous trompons pas d'enjeu. Les aides au cinéma, les quotas de production nationale, qu'ils concernent les fictions présentées à la télévision ou la chanson sur les radios, ne suffiront pas à protéger durablement notre culture et nos industries culturelles.

En dépit de toutes les aides, le déficit audiovisuel de l'Europe vis-à-vis des États-Unis a pratiquement doublé en cinq ans pour atteindre 5,6 milliards de dollars. Ce déséquilibre n'est pas nouveau, mais il intervient dans un contexte qui en accentue les enjeux : l'audiovisuel représente aujourd'hui pour les États-Unis le plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique et la chimie, tandis que le marché européen, en très forte croissance (+ 9 % par an de 1994 à 1997, contre 6,4 % par an seulement pour le marché américain) est sa principale zone de développement.

Tous ces chiffres nous démontrent, une fois de plus, que les batailles économiques se gagnent non à coups de règlements ou de crédits budgétaires, mais en rendant plus attractif à l'internationalisation son appareil de production. Les industries culturelles et audiovisuelles ne font pas exception à la règle.

Nous devons savoir que, dans le domaine audiovisuel, aujourd'hui global et mondial, il est vain de vouloir imposer ses propres règles du jeu aux autres. Croire trop facilement qu'on peut y parvenir, c'est s'exposer à la marginalisation économique et culturelle, et, tôt ou tard, au dépérissement.

*

* *

Avec le report des négociations à la rentrée 1998, si la France a gagné une bataille, elle n'a pas gagné la guerre.

Sans doute ce succès temporaire est-il aussi dû à une certaine convergence d'intérêts avec les États-Unis eux-mêmes. Tout au long des négociations, on a vu aux États-Unis même grandir une hostilité, ou du moins une certaine méfiance, vis-à-vis de l'A.M.I., alimentées par un vieux fond de protectionnisme américain   certains démocrates de gauche, proches des syndicats, certains républicains, des États eux-mêmes ont fini par s'apercevoir qu'ils avaient peut-être plus à perdre qu'à gagner dans ce démantèlement de toutes les barrières à l'investissement international. Washington n'avait, en outre, aucune envie d'un choc frontal avec les Européens sur les lois D'Amato et Helms-Burton, par lesquelles les États-Unis s'autorisent à sanctionner les entreprises qui investissent à Cuba, en Libye et en Iran. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, le projet de nouveau marché commun transatlantique - NTM - proposé par le commissaire Leon Brittan a été abandonné, là encore sans doute à cause du manque d'enthousiasme des États-Unis pour un projet qui ne leur apportait guère d'avantages : renforcer le libre échange de part et d'autres de l'Atlantique sans y intégrer, à cause de l'opposition de la France, l'agriculture et la culture n'offrait guère d'intérêt pour les Américains.

En tout état de cause, notre intérêt est de nous faire comprendre des Américains et de tenter de les comprendre.

Certes, dans le domaine audiovisuel, sous nos yeux, les États-Unis passent de la position de suprématie, où ils étaient les meilleurs, à une situation pratiquement hégémonique, où ils vont pratiquement dominer le marché mondial.

Nous savons que le nombre d'Américains qui s'intéressent vraiment à la France est relativement faible. Ils ne comprennent donc pas notre protectionnisme et pas davantage pourquoi nous sommes opposés à une libéralisation du commerce dans des secteurs aussi sensibles que l'agriculture, la défense, aussi bien que pour la culture, le cinéma et l'audiovisuel.

Les Américains vont naturellement voir dans cette attitude française une nouvelle manifestation d'anti-américanisme viscéral. Il est important de leur faire comprendre que tel n'est pas le cas.

Dans un entretien récemment paru dans un grand magazine, M. Lionel Jospin explique que la France n'a nullement l'intention de renoncer à son identité nationale pas plus qu'à sa vision des relations internationales, et de conclure : " que si les Français ne sont pas d'accord avec la façon de penser des Américains, ce n'est pas pour autant que l'on est anti-américain ".

En fait, les Américains ont besoin d'entendre un discours franc et clair ; car depuis de nombreuses années, les préjugés qui se sont accumulés sur la France ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Il nous faut donc agir de façon à améliorer l'image de la France aux États-Unis, de telle sorte que si nous faisons un effort pour comprendre les Américains, ils en fassent un pour nous comprendre. Afin de leur faire admettre que nous n'accepterons jamais d'immoler notre culture sur l'autel du libre échangisme culturel.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page