ANNEXE -
COMPTE RENDU DES ENTRETIENS
ET DES VISITES DE LA DÉLÉGATION

La délégation de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a séjourné en Indonésie du 11 au 18 avril 1998. Elle s'est successivement rendue à Yogyakarta, principale ville universitaire du pays, dans la capitale, Jakarta, où se sont déroulés la plupart des entretiens avec les personnalités indonésiennes, et à Balikpapan, sur l'île de Bornéo, centre des activités de Total, première entreprise française en Indonésie.

Ce programme, pour l'organisation duquel il convient de remercier une nouvelle fois S. Exc. M. Gérard Cros, ambassadeur de France à Jakarta, et l'ensemble de ses collaborateurs, ainsi que des responsables de la société Total Indonésie, aura permis à la délégation de recueillir dans un temps très court de très nombreuses informations sur les données actuelles de la situation politique, sociale et économique de l'Indonésie et sur ses relations avec la France.

En dépit des profonds changements intervenus dans le mois qui a suivi la visite de la délégation, et en premier lieu la démission du Chef de l'Etat, il paraît utile de rappeler ces différents contacts.

1. Les audiences du général Soeharto et de M. Habibie

M. Xavier de Villepin, président, a participé le 16 avril 1998 aux côtés de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à un entretien avec M. Soeharto , alors président de la République indonésienne , puis avec M. Habibie, vice-président .

Au cours de cet entretien, le général Soeharto a analysé les conséquences de la crise monétaire et financière qui a brutalement interrompu plusieurs années de développement économique. Alors que l'Indonésie semblait disposer de "fondamentaux solides", qu'elle avait réduit l'inflation, accru considérablement le revenu par habitant, diversifié l'économie au delà du secteur des hydrocarbures et enregistré des excédents commerciaux, la dépréciation de la roupie, entraînant l'effondrement du secteur bancaire, avait selon lui anéanti plusieurs décennies d'efforts. Il a rappelé les nombreux atouts, notamment les ressources naturelles, dont dispose l'économie indonésienne pour sortir de la crise et évoqué les principaux axes retenus, dans cette perspective, par le gouvernement. Restant sur le terrain économique, il a essentiellement mentionné ses objectifs en matière de privatisations et d'infrastructures.

M. Habibie, alors vice-président, qui venait de participer à Londres au sommet Europe-Asie, a lui aussi essentiellement évoqué les aspects économiques de la crise indonésienne et en particulier la question des négociations en cours entre les entreprises indonésiennes et leurs créanciers, pour le règlement de la dette privée. A ce propos, il a précisé que l'Etat pourrait garantir aux sociétés débitrices un taux de change fixe pour faciliter leurs achats en dollars en vue de s'acquitter de leurs dettes.

2. Les entretiens au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense

Au cours d'un entretien qui s'est déroulé le 14 avril 1998 avec M. Ali Alatas, ministre des Affaires étrangères , qui a été reconduit à son poste dans le nouveau gouvernement, la délégation a pu évoquer les principales questions d'actualité intéressant l'Indonésie.

En ce qui concerne la récente signature d'un accord complémentaire avec le Fonds monétaire international, M. Alatas a fait valoir que le précédent accord ne prenait pas suffisamment en compte certaines réalités socio-économiques indonésiennes. Le nouvel accord témoignait pour sa part d'une approche plus réaliste, par exemple en prévoyant une démarche progressive pour le démantèlement de certaines subventions, ou surtout en permettant le maintien temporaire de certaines prérogatives du Bulog, l'agence gouvernementale chargée de l'approvisionnement en denrées alimentaires de base, cet organisme étant le seul à même de garantir une distribution des produits dans l'ensemble de l'archipel, y compris dans les zones les moins accessibles.

M. Alatas a précisé les besoins de l'Indonésie en matière d'aide alimentaire.

Il s'est félicité de la tenue du 2e sommet Europe-Asie à Londres, qui a montré que l'Europe était consciente des implications mondiales de la crise asiatique.

La délégation a également évoqué avec M. Alatas l'évolution de la stillation au Cambodge, domaine dans lequel la diplomatie indonésienne s'est beaucoup impliquée, et les relations entre l'Indonésie et la Chine.

Au ministère de la Défense, la délégation a rencontré, le 14 avril 1998, l'Amiral Sunardi, conseiller du ministre pour les affaires internationales, et le général Agus Widjaya, sous-chef d'état-major "Plans généraux" à l'état-major des armées.

Cette entrevue a permis de faire le point sur la coopération bilatérale franco-indonésienne dans le domaine de la défense, qu'il s'agisse du dialogue entre les deux armées sur les questions stratégiques ou de l'équipement de l'armée indonésienne. A cette occasion ont été évoqués les projets, actuellement suspendus, d'achat de véhicules tactiques et de réalisation d'une base navale à Sumatra.

L'amiral Sunardi a également abordé les questions de sécurité régionale. En ce qui concerne les tensions qui pourraient résulter des revendications territoriales en mer de Chine du Sud, seule véritable source de menace extérieure pour l'Indonésie, il a indiqué que des solutions étaient recherchées dans le cadre d'un dialogue entre l'ASEAN et la Chine, qui devait être considérée comme un acteur responsable, intéressé à la stabilité de la région. Le développement de la piraterie et du trafic de drogue est également une préoccupation commune aux pays de l'ASEAN.

La délégation a obtenu des précisions sur le forum régional de l'ASEAN sur la sécurité (ARF), enceinte informelle consacrée aux questions politico-militaires à laquelle participent les 9 pays de l'ASEAN et 10 "partenaires du dialogue", dont l'Union européenne. Les demandes d'admission au sein de l'ARF, dont celle de la France, sont actuellement en suspens, un moratoire de 5 ans ayant été décidé par les actuels participants.

Après avoir évoqué la signature du traité instaurant une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est, l'amiral Sunardi a précisé que les pays concernés n'envisageaient pas d'instaurer un mécanisme de sécurité collective, mais faisaient confiance aux coopérations entre pays voisins pour garantir la stabilité de la région.

3. Les contacts au Parlement indonésien

La délégation a tout d'abord rencontré le 13 avril 1998 M. Syarwan Hamid, Vice-Président de la Chambre des représentants (M. Hamid, qui a appuyé la demande de démission du général Soeharto formulée par les étudiants, a été nommé ministre de l'Intérieur le 21 mai). Avec lui ont été abordés les développements de la crise économique et sociale que traverse l'Indonésie, et tout particulièrement la question des manifestations dans les universités. M. Hamid s'est déclaré soucieux de permettre le dialogue avec les étudiants.

La délégation a par ailleurs participé le 16 avril 1998 à une réunion de travail avec des membres des commissions en charge des affaires étrangères et de la défense à la Chambre des représentants . Cet échange de vues avec des députés issus des différents groupes parlementaires a porté sur les conséquences de la crise économique actuelle, pour le règlement de laquelle l'Indonésie attend une aide internationale, sur le problème de la dette extérieure privée, sur le dialogue avec les étudiants qui manifestent sur les campus, sur le fonctionnement de l'ASEAN et sur le rôle qu'y joue l'Indonésie.

4. Les autres rencontres avec des personnalités du monde politique et économique et des représentants de la société civile

La délégation a eu un long entretien le 13 avril 1998 avec M. Aburizal Bakrie, président de la Chambre de commerce et d'industrie indonésienne . M. Bakrie a rappelé le déclenchement, à partir de la Thaïlande, de la crise monétaire et financière qui a eu des conséquences particulièrement graves en Indonésie, au moment où celle-ci était frappée par une sécheresse persistante. Il a souligné que le récent accord complémentaire avec le FMI était plus satisfaisant que l'accord initial, notamment en permettant de garantir l'approvisionnement alimentaire du pays grâce à la confirmation du rôle du Bulog, l'agence nationale de distribution. Il a souligné l'effet positif du plan sur le cours de la roupie indonésienne. Il a cependant rappelé la situation difficile de beaucoup d'entreprises privées, confrontées à un fort endettement et à des taux d'intérêt élevés, le secteur du bâtiment et les petites et moyennes entreprises étant les plus affectés. Il a précisé que pour l'année fiscale 1997/1998, on prévoyait une croissance négative de 4 %. Il a souhaité, pour ce qui est de la dette privée, qu'un accord soit trouvé entre créanciers et entreprises débitrices, par un effort réciproque de chaque partie.

La délégation a tenu une réunion de travail le 14 avril 1998 au Centre d'études stratégiques et internationales (Center for strategic and international studies), organisme de recherche indépendant spécialisé dans les questions internationales.

Au cours de cette réunion, les membres de la délégation ont pu débattre, avec des chercheurs indonésiens, des spécificités de la crise économique en Indonésie, par rapport à celle qui frappe d'autres pays d'Asie, sur les aspirations d'une partie de la société indonésienne à une réforme politique et sur les orientations économiques préconisées par le FMI.

A ce propos, il a été souligné que le pouvoir politique avait favorisé la constitution de monopoles et la collusion d'intérêts aboutissant à mobiliser au profit d'un petit nombre une large part des résultats de la croissance économique. Aussi le redressement économique passait-il par une plus grande transparence et par l'application des réformes préconisées par le FMI.

La délégation a rencontré Mme Megawati Soekarnoputri , fille de l'ancien Président Soekarno, ancienne présidente du parti démocratique indonésien (PDI). Evincée en 1996 de la présidence du parti démocratique, Mme Megawati poursuit hors de tout cadre partisan son combat politique. Avec elle et ses principaux conseillers ont été évoquées les perspectives politiques après la réélection du président Soeharto, les conséquences possibles de la contestation étudiante, et les chances de constitution d'une réelle alternative politique au gouvernement actuel.

La délégation a ensuite tenu deux réunions de travail le 15 avril 1998 avec les deux principales organisations musulmanes .

Représentant un islam traditionnel, bien implanté dans les zones rurales, le Nahdlatul Ulama (NU) a été fondé en 1926 en vue de développer un enseignement musulman en Indonésie. Au travers de ses différentes structures, il rassemble 35 millions d'Indonésiens et entend privilégier un rôle culturel (écoles), social (aide aux démunis) et religieux. Attaché à l'idéologie du Pancasila, garante de la diversité religieuse en Indonésie, et à l'unité des pays, il s'est montré sensible aux revendications étudiantes pour une réforme politique et économique tout en souhaitant éviter une confrontation entre les étudiants et le gouvernement et en prônant le dialogue.

Seconde organisation musulmane, forte de 28 millions de membres, la Muhammadiyah, active dans l'éducation et la santé (hôpitaux), et plutôt implantée dans les zones urbaines, veut incarner un islam moderne. Son dirigeant, Amien Rais, est engagé dans une campagne politique très active en faveur de réformes et d'un changement du Chef de l'Etat. Les représentants de l'organisation ont confirmé à la délégation les vues de M. Amien Rais sur les profondes réformes économiques et politiques indispensables. Ils ont évoqué la campagne contre la corruption et le népotisme, le programme politique et économique préparé par un groupe d'experts et leur souhait de la mise en place, après le départ du général Soeharto, d'un directoire de 5 ou 6 personnes représentatives de l'opposition qui serait chargé de gérer la transition en l'attente de nouvelles élections.

Enfin, lors de son séjour à Yogyakarta, la délégation a pu s'entretenir avec des étudiants des mouvements de contestation qui se développent sur les campus universitaires. Elle a perçu, de la part de ces jeunes, une vive contestation du pouvoir politique actuel et une profonde aspiration à des réformes politiques et économiques. Elle a également évoqué avec les étudiants le rôle et l'influence des organisations musulmanes auprès des jeunes. Il est apparu que dans les universités où toute activité politique est proscrite, ces organisations religieuses offraient pour les jeunes le seul cadre de réunion et de réflexion.

5. Les contacts avec la communauté et les entreprises françaises

La délégation a rencontré de nombreux membres de la communauté française en Indonésie, et particulièrement les représentants des deux associations de Français d'Indonésie. Ces contacts ont été l'occasion d'évoquer la situation actuelle de l'Indonésie et les conséquences de la crise sur les entreprises et les ressortissants français. Une attention particulière a été portée au fonctionnement du lycée international français de Jakarta qui, entre autres difficultés, est confronté pour la prochaine rentrée scolaire à une baisse des effectifs liée au retour en métropole d'un nombre important d'expatriés.

La situation des entreprises françaises en Indonésie a été abordée au travers de trois contacts privilégiés :

. la participation de la délégation, aux côtés de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à l'inauguration de l' exposition industrielle France High Tech , au cours de laquelle 82 entreprises françaises ont présenté leur offre technologique et industrielle et qui a accueilli plus de 15 000 visiteurs,

. une réunion de travail avec les représentants d'entreprises françaises du secteur de l'armement , au cours de laquelle ont été présentés les principaux résultats obtenus par ces entreprises dans les années récentes et les conséquences pour leur activité des difficultés économiques actuelles de l'Indonésie,

. des contacts, à Jakarta, avec la société Total Indonésie , et un déplacement à Balikpapan (Kalimantan), consacré à la visite des installations de production de cette société. Premier investisseur français en Indonésie, et troisième opérateur pétrolier étranger, la société Total y est présente depuis 1968 et exploite des gisements d'hydrocarbures dans le cadre d'un contrat de partage de production avec la société d'Etat Pertamina. Alors que la production pétrolière de Total a diminué, celle de gaz naturel devait continuer à augmenter fortement au cours des prochaines années. La délégation a pu visiter les sites de production du delta de la Mahakam, à Kalimantan, sur lequel sont situés ces importants gisements gaziers. Total Indonésie emploie près de 1 700 personnes, dont 10 % d'expatriés et 90 % de personnels indonésiens.

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