3. LA CONFRONTATION AVEC LES CARACTÉRISTIQUES INSTITUTIONNELLES
Les
estimations de la section précédente ont montré que les
pays de l'UE étaient caractérisés par des ajustements
sensiblement différents des salaires en réponse à un choc
de chômage ou de productivité, allant d'une flexibilité
maximale en
Italie
, à des comportements plus rigides, au Danemark
par exemple, ou au
Royaume-Uni
. On s'interroge maintenant sur
l'existence d'un lien entre les institutions qui ont été
décrites dans la première partie du rapport et les comportements
d'offre et de demande de travail. Notamment, l'existence de contraintes sur les
licenciements altère-t-elle l'influence du chômage sur le volume
de l'emploi ? Le degré de centralisation des négociations
affaiblit-il la sensibilité du salaire nominal aux variations du
chômage ?
Ces questions, n'ont pas de réponse claire, ni dans la
littérature théorique, ni dans les travaux d'économie
appliquée53(
*
). Comme on l'a
mentionné dans la première partie, la modération salariale
peut être assurée par des systèmes centralisés ou
décentralisés, selon le degré de coopération entre
les partenaires sociaux. La législation sur l'emploi peut selon les
circonstances avoir un effet favorable sur l'économie en évitant
aux entreprises d'ajuster trop vite leur force de travail54(
*
), notamment si les salariés acceptent
d'aligner leurs revendications sur la productivité du travail ; en
revanche, elle peut renforcer le pouvoir de négociation des
salariés. Les revenus de remplacement assurent les salariés
contre la perte d'emploi, ce qui est favorable à la mobilité du
travail, et à l'adéquation entre les qualifications des
travailleurs et les besoins des entreprises, mais ils peuvent dans certains cas
réduire l'incitation des chômeurs à chercher activement un
emploi. Enfin, les politiques actives visent à améliorer
l'adéquation entre l'offre et la demande de travail, mais si elles ne
sont pas efficaces, elles peuvent constituer un allongement de la
période d'indemnisation du chômage.
L'exemple des contraintes sur les contrats à durée
déterminée illustre la difficulté de trouver des relations
de causalité simple : comme on l'a vu l'Espagne a introduit des CDD en
1984. L'objectif de cette mesure était d'améliorer la
flexibilité du marché du travail. Mais son succès a
été mitigé, notamment parce que l'introduction de tels
contrats, en réduisant le risque de se retrouver au chômage pour
les salariés ayant un contrat indéterminé, augmentait le
pouvoir de négociation de ces derniers55(
*
).
Notre objectif dans cette section est alors d'identifier les
complémentarités qui peuvent exister entre les institutions
régissant le fonctionnement des marchés du travail dans les
différents pays européens56(
*
), et surtout qui peuvent expliquer (ou au
moins être corrélées) avec les indicateurs de
rigidité des salaires et de l'emploi mesurés sur les
années 90.
I. 3.1 VUE D'ENSEMBLE
La
méthodologie sur laquelle s'appuient les résultats de cette
section, qui met l'accent sur des relations de complémentarité ou
de substituabilité entre les différentes institutions du
marché du travail, est de nouveau l'analyse en composantes principales
(ACP). Cette analyse est réalisée sur les huit pays sur
lesquels ont porté nos estimations : l'
Italie
,
l'
Allemagne
, la
France
, le
Royaume-Uni
, les
Pays-Bas
, le Danemark, la Finlande, la Suède. Plus les pays sont
proches sur les graphiques, plus ils partagent les mêmes
caractéristiques en termes d'institutions et d'indicateurs de
rigidité salariale.
Le premier axe explique 39% de la variance de l'échantillon, le
deuxième 23%, soit un total de 62%. Si on ajoute les deux axes suivants,
on arrive à un total de 85% de la variance expliquée.
Dans le Graphique 4 qui représente la projection sur les deux premiers
axes, les indicateurs de rigidité des salaires réels sont
projetés dans le quadrant sud-ouest57(
*
). Trois pays se distinguent58(
*
) : le
Royaume-Uni
,
l'
Italie
et dans une moindre mesure le Danemark. Ils constituent trois
cas polaires. Pour le premier, on retombe sur le constat d'une
" singularité britannique ", fondée sur la forte
décentralisation des négociations, la faible coopération
entre les partenaires sociaux et des taux de couverture des conventions
collectives bas (voir Graphique 4). A ces trois caractéristiques
s'ajoutent celles de contraintes faibles sur les heures supplémentaires
et sur les CDD, de taux de remplacement très bas, et de dépenses
de politique active (en % du PIB ou des dépenses totales) parmi les plus
faibles d'Europe. Malgré des institutions que l'on peut qualifier de
très libérales par rapport à la " norme "
européenne, les indicateurs de rigidité à court et moyen
terme59(
*
) classent le
Royaume-Uni
parmi les pays dont l'ajustement des salaires réels aux variations du
chômage est faible. On ne trouve donc pas confirmation, au niveau
macro-économique, de l'idée selon laquelle des institutions du
marché du travail libérales conduisent à des ajustements
plus rapides des salaires.
Le
deuxième pays qui contribue fortement à la variance totale de
l'échantillon est l'
Italie
. Ce pays contribue à lui seul
pour près de la moitié au deuxième axe. En fait, celui-ci
regroupe l'ensemble des caractéristiques qui distinguent le mieux
l'
Italie
et le Danemark. Outre la
rigidité salariale
, ces
deux pays se distinguent par les dépenses de politique active, les
contraintes sur les CDD, le salaire minimum, et le taux de remplacement. Mais
en
Italie
, où la rigidité salariale est faible par rapport
au Danemark, les contraintes sur les CDD sont relativement importantes, le
salaire minimum est relativement élevé, et les dépenses de
politiques actives sont basses. Seule l'importance du taux de remplacement au
Danemark relativement à l'
Italie
(69% contre 39%) est en ligne
avec l'indicateur de
rigidité salariale
. Ceci peut être
interprété comme un exemple des complémentarités
qui peuvent exister pour un même pays entre les différentes
variables institutionnelles, et rend nécessaire une grande prudence dans
la lecture et l'interprétation des résultats. En l'occurrence, le
résultat selon lequel les contraintes sur les CDD de l'I
talie
n'empêchent pas les salaires de s'ajuster peut provenir du fait que ces
contraintes réglementaires coexistent avec un taux de remplacement
relativement faible qui atténue le pouvoir de négociation des
salariés ayant un emploi.
Enfin, le troisième pays à se distinguer dans notre
échantillon est le Danemark. Contrairement au
Royaume-Uni
, le
marché du travail danois est caractérisé du point de vue
de ses institutions par une forte centralisation des négociations et un
fort degré de coopération entre les partenaires sociaux, des
dépenses de politique active en % du PIB très
élevées, le plus fort taux de syndicalisation européen
derrière la Suède, le plus fort taux de remplacement. L'ensemble
de ces caractéristiques est associé à un indicateur de
rigidité traduisant une faible élasticité du salaire
réel par rapport au chômage. Ce résultat est cette fois-ci
plus conforme aux prédictions des modèles théoriques
évoqués précédemment : le fort taux de remplacement
notamment diminue l'incitation à sortir du chômage, et ainsi
réduit la pression des chômeurs sur les salaires, il augmente
également le pouvoir de négociation des syndicats, qui, dans les
modèles de droit à gérer, privilégient les salaires
plutôt que l'emploi.
Si les autres pays ne contribuent que marginalement à la construction
des deux premiers axes, ils sont mieux " expliqués " dans les
troisième et quatrième axes (Graphique 5). Toutefois,
contrairement à la projection précédente (Graphique 8)
précédente, l'indicateur de rigidité salariale
n'intervient plus dans la construction des axes, ce qui signifie que les
sources d'hétérogénéité dans
l'échantillon ne relèvent, sur ce plan de projection, que des
différences institutionnelles, sans que celles-ci puissent être
associées à plus ou moins de flexibilité des ajustements
salariaux.