4. SYNTHÈSE DE LA DEUXIÈME PARTIE
Du point de
vue de la sensibilité des salaires réels au taux de
chômage, l'
Italie
, l'
Allemagne,
et la
France
et la
Finlande sont les pays européens (parmi les 8 étudiés ici)
dont les marchés du travail ont été les moins rigides dans
les années 90. Viennent ensuite le
Royaume-Uni
, les
Pays-Bas
, le Danemark et la Suède où les salaires sont
apparus quasiment insensibles à l'évolution du taux de
chômage. Les estimations où le taux de chômage est
remplacé par le taux d'emploi comme indicateur des tensions sur le
marché du travail fournissent une hiérarchie comparable des
degrés de rigidité salariale mesurée au niveau
macro-économique. L'estimation de la dynamique de l'emploi sur cette
même période donne une image moins contrastée, puisque
l'ajustement va en moyenne de un an en
Allemagne
, à un an et demi
au
Royaume-Uni
et au Danemark, et à deux ans en
France
, en
Italie
, aux
Pays-Bas
et en Suède.
L'
Italie
apparaît comme le pays où la rigidité des
salaires réels est la moins forte. Les réformes du début
des années 90 semblent avoir sensiblement raccourci la dynamique
d'ajustement de l'emploi à la production, la rapprochant de celle des
autres pays européens étudiés. La sensibilité des
salaires réels au chômage, déjà parmi les plus
élevées des pays européens dans les années 80, a
également légèrement augmenté dans les
dernières années. Les salaires réels ont également
réagi plus fortement à l'évolution du chômage dans
l'
Allemagne
réunifiée des années 90 que dans
l'Allemagne de l'Ouest des années 80. Le
Royaume-Uni
est
resté caractérisé par une faible élasticité
des salaires réels au taux de chômage, et par une vitesse
d'ajustement de l'emploi intermédiaire. Enfin, en Finlande, salaires
réels et emploi sont devenus un peu plus flexibles dans les
années récentes. En Suède en revanche, les salaires
réels sont apparus moins sensibles au taux de chômage dans les
années 90.
Il peut être surprenant de constater la place de l'
Italie
et de
l'
Allemagne
par rapport au
Royaume-Uni
sur l'échelle de la
rigidité du marché du travail mesurée au niveau
macro-économique. Il est donc utile de rappeler ce que l'on entend ici
par " rigidité " du marché du travail. Il s'agit de la
réponse des salaires réels à l'évolution des
tensions sur le marché du travail, mesurées par le taux de
chômage ou par le taux d'emploi. Ces mesures indiquent, qu'au cours des
années 90, les performances relatives en termes de chômage entre
l'
Italie
et l'
Allemagne
, d'une part, et le
Royaume-Uni
d'autre part ne viennent pas d'une plus grande rigidité des salaires et
de l'emploi dans les deux premiers pays. Il semble plus prometteur de chercher
dans la forte baisse du taux de chômage au
Royaume-Uni
dans les
années 90 un effet des réformes du marché du travail sur
la partie de l'offre de travail qui ne faisait pas ou peu pression sur les
salaires. Une autre explication possible est que les réformes du
marché du travail ont surtout entraîné une plus grande
dispersion des salaires, favorable à l'emploi et diminuant le
chômage, mais dont l'effet global, au niveau macro-économique,
n'est pas nécessairement une hausse des salaires.
Le principal enseignement que l'on peut tirer des mesures empiriques de la
rigidité est que des caractéristiques institutionnelles du
marché du travail très différentes peuvent conduire
à des degrés de rigidités des salaires réels
similaires. L'analyse qui précède ne permet pas de
repérer, parmi les pays européens étudiés, une
caractéristique (ou une combinaison de celles-ci) en relation avec nos
mesures macro-économiques de la rigidité. Il ne semble donc pas
qu'harmoniser un seul aspect de la réglementation puisse conduire
à une modification significative du degré de rigidité des
salaires. A défaut de permettre de définir des réformes
précises à entreprendre dans les différents pays
européens, ceci est cohérent avec les théories selon
lesquelles les diverses régulations du marché du travail sont
complémentaires (Coe et Snower 1997, Pissarides 1996).
Par exemple, les insuffisances de l'adéquation entre l'offre et la
demande de travail (par qualification) liées au système de
formation au
Royaume-Uni
peuvent expliquer que la rigidité
salariale y soit restée apparemment élevée, malgré
l'importance des réformes entreprises depuis les années 80 sur
à peu près tous les autres points (limitation du pouvoir des
syndicats, baisse des indemnités-chômage, renforcement des
conditions d'éligibilité,...). On peut même
considérer la causalité inverse entre rigidité et
réglementation : la forte rigidité des salaires anglais
aurait conduit les autorités à libéraliser fortement le
marché de l'emploi, sans pour autant que cette politique se traduisent
par les effets attendus au moins en matière de comportements salariaux.
Le Danemark et les
Pays-Bas
présentent des organisations du
marché du travail par beaucoup d'aspects opposées à celle
du
Royaume-Uni
(centralisation des négociations salariales,
générosité des revenus de remplacement) mais la
rigidité salariale y est pourtant proche.
Dans notre échantillon (mais aussi dans la majorité des
études empiriques au niveau macro-économique), l'Italie,
l'Allemagne et dans une moindre mesure la France sont les pays où les
salaires réels sont les plus sensibles au taux de chômage et
où l'ajustement de l'emploi est le plus rapide. En effet, ces pays, et
surtout les deux premiers occupent une position moyenne, parmi les pays de
l'UE, sur l'échelle des caractéristiques du marché du
travail, qu'il s'agisse de la centralisation des négociations, de la
syndicalisation, ou de l'importance globale de la réglementation sur
l'emploi. Une explication possible est qu'à presque chaque type
d'institution du marché du travail, il est possible d'associer des
effets positifs et négatifs. Mais, compte tenu de l`importance des
contraintes observées en Europe continentale, la présomption est
généralement forte que les effets défavorables sont
dominants, et que l'ajustement des salaires et de l'emploi y est faible.
Pourtant, cette dernière interprétation est infirmée par
nos mesures macro-économiques de la rigidité des marchés
du travail qui s'avèrent n'être pas corrélées avec
la flexibilité attendue d'un point de vue micro-économique et
institutionnel.