2. 3.1.2.2 L'adaptation des acteurs et de leurs objectifs au nouveau contexte européen
L'évolution de la flexibilité des salaires et de
l'emploi une fois en UEM peut également provenir de la réaction
des acteurs et des institutions du marché du travail. Le point de vue
dominant est que les salaires seront plus flexibles en UEM, même sans
réformes. La concurrence sur le marché des biens va encore
s'accroître, ce qui réduira la capacité des entreprises
à accorder des augmentations de salaires. Les syndicats les plus
centralisés intégreront dans leurs stratégies le fait que
le taux de change ne peut plus s'ajuster. L'attitude des syndicats en
Italie
, en Finlande, et en Espagne dans les années 90 peut
s'expliquer par la préparation à ce nouveau contexte. Ainsi, une
plus grande flexibilité des salaires peut venir de l'adoption par les
acteurs, en particulier les syndicats de salariés, d'une attitude plus
souple à l'égard des rémunérations.
La partie I a rappelé que dans un grand nombre de pays de l'UE, les
négociations salariales demeurent collectives et sont menées soit
au niveau national (
Italie
,
Pays-Bas
, Danemark, Finlande,
Autriche, Belgique), soit à un niveau intermédiaire sur le plan
de la région et/ou de la branche d'activité (
Allemagne
,
Suède, Espagne, Portugal). En
France
et en Irlande, la
négociation des salaires est très décentralisée,
mais des accords collectifs continuent de fixer les conditions
générales de travail dans les différents secteurs.
Une première évolution possible avec la mise en place de l'UEM
serait une tendance à la décentralisation des négociations
dans tous les pays de l'UE. Le mécontentement du patronat dans des pays
où les négociations entre partenaires sociaux ont un rôle
central, notamment en
Allemagne
dans les années 90, peut conduire
à un tel mouvement. La partie II de ce rapport n'a toutefois pas permis
de relier le degré de centralisation des négociations avec la
flexibilité empirique des salaires et de l'emploi. Il est à
craindre en outre qu'une décentralisation désirée par les
organisations patronales mais refusée par des organisations syndicales
puissantes et représentatives s'accompagne d'un durcissement des
relations sociales et des revendications salariales. Une telle évolution
correspondrait en outre à un changement très profond des
relations professionnelles, difficile à envisager dans certains pays. Le
plus probable est donc que les négociations salariales vont, au moins
dans un premier temps, continuer à se dérouler au même
niveau qu'avant l'entrée dans l'UEM70(
*
).
Depuis plusieurs années, les augmentations de salaires dans les
différentes branches d'activité aux
Pays-Bas
et en
Belgique tiennent compte de celles observées en
Allemagne
. Il est
possible que ce type d'arrangement s'étende aux autres pays où la
négociation est collective. Les syndicats allemands semblent aujourd'hui
promouvoir ce type d'organisation, au moins dans leur voisinage
immédiat71(
*
). L'avantage est que
cette organisation peut s'appuyer sur des pratiques observées dans un
grand nombre de pays participant à la monnaie unique (
Allemagne
,
Italie
,
Pays-Bas
, Belgique, Luxembourg, Autriche, Danemark,
Finlande). Elle pourrait permettre d'éviter la
généralisation d'une stratégie "à la hollandaise"
où chaque pays de la zone euro s'efforce de contenir l'évolution
des salaires en dessous de celle de ses partenaires. Ces stratégies,
bien que rationnelles pour chaque pays, sont inefficaces (les salaires relatifs
entre les pays de l'union monétaire ne sont finalement pas
modifiés), voire même néfastes pour l'ensemble de la zone
euro puisqu'elles conduisent à des niveaux de salaire inutilement bas
dans tous les pays. Ainsi, l'efficacité de négociations
collectives est liée à la coordination entre syndicats d'une
part, et entre organisations patronales d'autre part (voir partie I).
La
Commission européenne est apparue de plus en plus active dans le domaine
des relations professionnelles. Elle s'efforce de favoriser l'émergence
d'acteurs sociaux au niveau européen, notamment autour des organisations
patronale et syndicale que sont l'UNICE (Union des confédérations
de l'industrie et des employeurs d'Europe) et la CES
(Confédération européenne des syndicats). La
réponse des organisations nationales à ces sollicitations a pour
le moment été très mitigée. Des progrès
pourraient à terme favoriser la coordination des partenaires sociaux
entre pays de l'UE.
Quel que soit le degré de coordination et de centralisation des
négociations, en facilitant les comparaisons de salaires, l'euro
présente le risque de voir les revendications salariales s'appuyer sur
un rattrapage accéléré vers les niveaux les plus
élevés. La réunification allemande a illustré les
dangers d'un tel processus dans lequel les salaires évoluent plus vite
que la productivité. Il nous semble toutefois peu probable que les pays
les moins riches de l'union monétaire s'engagent dans cette voie,
d'autant qu'ils sont conscients que leur développement dans l'UE tient
en partie à un avantage de coût. Le risque n'est toutefois pas nul
que des éléments de comparaisons entrent en considération
dans les négociations. Or, les comparaisons de salaires peuvent
être trompeuses. Les différences de niveau de salaires peuvent
être justifiées par des niveaux de productivité
différents. En outre, un salaire net plus faible peut être
compensé par des prestations ou des services collectifs plus
élevés. Au total, il apparaît plus souhaitable pour la
stabilité de l'UEM que les augmentations de salaires s'appuient sur les
gains de productivité propres à chaque pays, voire à
chaque secteur.
En l'absence de coordination, il est vraisemblable que les différents
types de marché du travail vont être confrontés les uns aux
autres. Le point de vue dominant est que les marchés du travail les
moins régulés et les plus décentralisés sont les
plus efficaces, et qu'ils devraient donc s'imposer progressivement avec l'UEM.
Cette vision est toutefois contredite par les études
macro-économiques, et en particulier nos estimations sur les
années 90 (partie II). Notamment, en
Italie
et en
Allemagne
les salaires et l'emploi apparaissent plus flexibles qu'au
Royaume-Uni
, la
France
étant dans une situation
intermédiaire. Le modèle allemand, reconnu avant la
réunification, n'a peut-être pas perdu de sa pertinence pour
l'UEM, d'autant que les pays participants à la monnaie unique ont
déjà fait le choix d'une banque centrale indépendante dont
l'objectif est la stabilité des prix.