II. 3.2 FAUT-IL RÉFORMER LES MARCHÉS DU TRAVAIL EN EUROPE ?
A. 3.2.1 LES LEÇONS À TIRER DU RAPPORT
Les
simulations présentées dans la section précédente
montrent, sous les réserves indiquées précédemment,
que l'harmonisation du fonctionnement des marchés du travail n'est pas
absolument nécessaire au bon fonctionnement de l'UEM. En effet, en cas
de choc commun les réactions différentes des salaires et de
l'emploi dans les pays participants à l'euro ne se traduisent pas par
des divergences significatives en termes de performances économiques,
susceptibles de limiter la pertinence et l'efficacité de la politique
monétaire commune. En fait, la flexibilité du salaire réel
est très limitée partout en Europe.
En cas d'événement touchant un seul pays, les choses sont un peu
plus compliquées. En l'absence de marges de manoeuvre en termes de
politique budgétaire et face à une politique monétaire qui
ne peut répondre que partiellement aux chocs, les ajustements sur le
marché du travail, tels qu'on les a mesurés, semblent partout
largement insuffisants et susceptibles d'entraîner des divergences
conjoncturelles.
Ceci nous ramène à la théorie des zones monétaires
optimales souvent utilisée pour apprécier les avantages et les
inconvénients de l'UEM. Dans ce cadre d'analyse, dès lors que les
prix et les salaires ne sont pas parfaitement flexibles, le renoncement
à l'ajustement par le taux de change a un coût. Les pays de l'UEM
gardent cet outil face aux chocs extérieurs communs mais le perdent pour
s'ajuster les uns par rapport aux autres, suite à un choc les touchant
de manière différente. Selon cette approche, plus l'ajustement
des salaires et des prix est lent, plus la perte de la flexibilité du
taux de change est coûteuse.
Aussi, une première réponse pourrait être d'accroître
la flexibilité des marchés du travail nationaux. Comme on l'a
déjà dit plus haut, on peut d'ailleurs s'attendre à des
réactions de cette nature dans les pays qui seront victimes de chocs
défavorables.
Ce type de réponse se heurte à une limite majeure : il n'existe
pas de recette miracle des réformes pouvant conduire à une
flexibilité accrue des salaires. Au contraire, notre deuxième
partie montre bien que des organisations très différentes des
marchés du travail peuvent conduire à des degrés de
flexibilité identiques et inversement. De même, tous les pays ont
pris des mesures de libéralisation de leur marché du travail au
cours des 15 dernières années, sans que cela se soit traduit par
un accroissement systématique de la flexibilité des salaires. Il
n'existe pas de lien univoque entre les mesures empiriques de la
flexibilité du marché du travail et les caractéristiques
de ce marché. Ceci nous amène à exprimer une grande
réserve à l'égard des réformes
généralement préconisées. La flexibilité
micro-économique qui découle des réformes visant à
libéraliser le marché du travail ne semble pas se retrouver dans
les données macro-économiques, ce qui peut indiquer qu'un certain
degré de réglementation, d'assurance collective et de
coordination sur le marché du travail favorise la flexibilité
globale des salaires.
Au total, si la monnaie unique requiert une amélioration de la
capacité d'ajustement des pays y participant, le rôle que peuvent
jouer les marchés du travail à un niveau macro-économique
ne doit pas être surestimé. En particulier, les salaires
réels sont trop peu sensibles aux déséquilibres sur le
marché du travail, y compris dans les pays de l'UE où ce
marché est peu réglementé. Il reste que ces
réformes peuvent accroître la capacité des entreprises
à ajuster le volume de travail, question qui n'a pu être
véritablement abordée ici. En effet, compte tenu de l'absence de
données agrégées sur les heures travaillées, il n'a
pas été possible de mesurer de manière satisfaisante la
flexibilité dont disposent les entreprises dans les différents
pays européens pour ajuster le volume de travail à
l'activité.
La comparaison avec les Etats-Unis offre toutefois d'autres pistes de
réformes. La sensibilité des salaires au taux de chômage y
est aussi faible qu'au Royaume-Uni72(
*
). La
vitesse d'ajustement de l'emploi à la production s'est nettement accrue
dans la plupart des pays de l'UE au cours des années 90, pour
s'approcher du niveau observé aux Etats-Unis. En revanche, l'Europe se
différencie nettement des Etats-Unis par une mobilité
géographique bien plus limitée de la main d'oeuvre.