B. 3.2.2 L'EURO ET LA MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE
La
théorie des zones monétaires optimales nous offre une
réponse alternative : le renforcement de la mobilité de la main
d'oeuvre. Dans ce cadre d'analyse, on peut montrer que si certaines conditions
sont réunies, la rigidité des prix et des salaires peut ne pas
être très coûteuse. Ces conditions ont trait à
l'intégration des différents marchés : financiers, des
biens et des facteurs de production. En particulier, la mobilité interne
des facteurs de production peut atténuer les pressions à la
modification des salaires réels induites par un choc d'offre ou de
demande. Elle est alors un substitut partiel à la flexibilité des
prix et des salaires.
Aux Etats-Unis par exemple, l'ajustement aux chocs régionaux semble se
faire davantage par des migrations entre états que par des variations de
salaires (Blanchard et Katz (1992)). L'importance de ces flux migratoires
empêche les chocs de peser durablement sur le taux de chômage. De
fait, les écarts de taux de chômage entre états ne sont pas
persistants (Thomas (1994)). Ce dernier montre en outre que face à un
choc de demande négatif, les flux de main d'oeuvre permettent de
compenser la relative rigidité des salaires réels aux taux de
chômage et de réduire rapidement ce dernier. La mobilité
géographique des américains est ainsi présentée
comme l'un des facteurs d'une faible persistance du chômage
agrégé.
Au contraire, en Europe les mouvements des populations actives apparaissent
insuffisants pour conduire à un tel ajustement. Ceci est vrai entre
Etats mais aussi au sein même des pays entre les différentes
régions. Ainsi, en Espagne la faible mobilité régionale
est souvent avancée comme l'un des facteurs d'un chômage
élevé (Blanchard (1995)). Eichengreen (1993) montre en outre que
les flux nets de migration de population sont moins sensibles aux chocs de
salaires et de chômage en
Italie
et au
Royaume-Uni
qu'aux
Etats-Unis. Selon Reissert (1993), la mobilité de la main d'oeuvre entre
les Etats membres de l'UE est en régression depuis les années 70
en raison du rapprochement des conditions de vie ; le taux de travailleurs
d'autres Etats membres (environ 2 millions) parmi l'ensemble des travailleurs
de la Communauté est actuellement de près de 2 % (voir Graphique
7).
Accroître la mobilité de la main d'oeuvre en Europe est donc
crucial pour faciliter les ajustements face à la perte de l'ajustement
par le taux de change et pour limiter la persistance du chômage, en
particulier en réduisant les phénomènes d'appariement sur
le marché du travail. Cela comporte toutefois certains risques mis en
avant pour les travaux d'économie géographique : en favorisant la
concentration et la spécialisation géographique, la
mobilité de la main d'oeuvre risque d'accroître la
probabilité de chocs asymétriques.
Source : Eurostat
Parmi les
freins à la mobilité, il convient de distinguer ceux qui sont
liés directement aux caractéristiques du marché du
travail. La "portabilité" de l'assurance chômage est en
particulier essentielle dans cette perspective. Les entraves à la
mobilité susceptibles de provenir des prestations sociales ont toutefois
fait l'objet d'une certaine harmonisation au niveau européen. En
particulier, un règlement communautaire de 1971 traite de
l'indemnisation du chômage (voir encadré 4). Il permet aux
travailleurs migrants d'emporter la majeure partie de leurs droits à
l'assurance chômage ; les prestations dépendent ensuite de la
réglementation dans le pays où il est employé. Pour les
chômeurs, les droits ne peuvent être exportés que pour une
brève période et dans des conditions restrictives. Les
frontaliers bénéficient d'un régime spécial.
Un frein potentiel demeure donc, le fait que les conditions d'indemnisation ne
sont pas les mêmes dans tous les pays. En effet, même si les droits
à l'assurance sont conservés, si l'installation dans autre un
Etat membre se traduit par une moindre indemnisation en cas de chômage et
si les conditions d'octroi sont plus sévères, le travailleur peut
préférer rester dans son pays d'origine. On peut penser que c'est
aussi le cas pour tous les aspects lié à la protection de
l'emploi : les personnes occupant un emploi dans un pays où l'emploi est
très protégés ne sont pas incitées à le
quitter. A l'inverse, comme le souligne Reissert (1993) la diversité des
systèmes d'assurance chômage peut conduire au "tourisme social"
i.e. à ce que certains travailleurs viennent s'installer dans les Etats
membres où les prestations d'indemnisation sont particulièrement
élevées et faciles à obtenir. Pourtant on note que ces
effets sont marginaux pour l'instant. En effet, le Graphique 7 montre bien que
ce n'est pas dans les pays où les taux de remplacement sont les plus
élevés (Danemark,
Pays-Bas
, Finlande) que les immigrants
sont les plus nombreux.
Notons par ailleurs qu'il existe au sein de chaque pays des
particularités des institutions du marché du travail qui
contribuent à limiter la mobilité des travailleurs dans l'espace
national. En Espagne notamment, les régimes spéciaux d'assurance
et d'assistance chômage en Andalousie et Estremadure apparaissent comme
un frein à la mobilité géographique.
Les principaux freins à la mobilité géographique en Europe
sont toutefois à rechercher ailleurs. Toujours en liaison avec les
incitations à la mobilité on trouve le problème des
retraites complémentaires : pour l'instant les travailleurs ne peuvent
pas se déplacer dans l'union en conservant tous leurs droits73(
*
). Il existe en outre d'autres
éléments à prendre en compte. Tout d'abord, la
mobilité des travailleurs dépend de leur aptitude à
travailler à l'étranger, souvent limitée en Europe par les
différences linguistiques. Elle peut être aussi freinée par
les problèmes d'équivalence de diplôme (en dépit
d'efforts communautaires dans ce sens). Un autre obstacle à la
mobilité de la main d'oeuvre souvent évoquée est
lié aux marchés du logement et à l'importance des fais de
mutation74(
*
).
Au total, si les marchés du travail en Europe devaient être
réformés, c'est dans cette perspective d'une plus grande
mobilité des salariés que cette réforme devrait
s'inscrire. Cela conduit à privilégier une logique
d'harmonisation des pratiques et des institutions, sans pour autant
établir vers quel niveau de réglementation et de protection des
salariés et des chômeurs doit se faire cette harmonisation. En
outre ce processus ne saurait se limiter au marché du travail. Il doit
notamment inclure la protection sociale, ainsi que l'ensemble des autres
facteurs susceptibles de favoriser la mobilité des travailleurs dans
l'espace économique et monétaire européen.
Encadré 4 : Le transfert des droits à l'assurance
chômage dans les pays de l'UE
(
Source Reissert 1993)
- un travailleur en provenance d'un pays A installé dans un pays B et y
devenant chômeur après une période d'emploi
bénéficie d'une indemnisation du chômage en vertu des
règles en vigueur dans le pays B. Cependant, pour savoir s'il peut
prétendre à des prestations et pendant combien de temps, les
périodes de cotisation et d'emploi effectuées auparavant dans le
pays A doivent être prises en considération. Le montant des
prestations est fonction uniquement du dernier salaire perçu dans le
pays B.
- un chômeur inscrit dans un pays A et s'installant dans un pays B ne
peut "emporter" ses droits depuis le pays A vers le pays B que s'il a
été inscrit au chômage au moins 4 semaines dans le pays A
et qu'il se réinscrit au chômage dans le pays B au plus tard 7
jours après s'y être installé. Il bénéficie
alors dans le pays B pendant une période maximum de 3 mois des
prestations qu'il aurait perçues dans le pays A. Les coûts en sont
assumés par le pays A. S'il retourne dans le pays A pendant ces 3 mois,
il y conserve ses droits. S'il reste dans le pays B, il ne peut plus
prétendre au bout des 3 mois à aucune indemnisation.
- Les travailleurs frontaliers qui habitent dans un pays A et travaillent dans
un pays B bénéficient d'une indemnisation du chômage en
vertu des dispositions en vigueur dans le pays de leur domicile. Les
travailleurs saisonniers et les travailleurs détachés depuis leur
pays d'origine peuvent choisir librement de s'inscrire au chômage au lieu
de travail ou au lieu d'origine; les prestations auxquels ils peuvent
prétendre sont celles du lieu choisi.