7. Sûreté nucléaire dans les pays de l'Europe centrale et orientale - Intervention de M. Claude BIRRAUX, député (UDF), rapporteur (Mardi 28 janvier)

Présentant son rapport écrit (Rapport 7714), M. Claude BIRRAUX, député (UDF), s'exprime ainsi :

" C'est en été 1991 que l'Agence internationale pour l'énergie atomique, qui n'est pas précisément une organisation antinucléaire, lançait un cri d'alarme concernant la sûreté de la centrale bulgare de Kozloduy. Le monde découvrait qu'il y avait du danger nucléaire lié aux conceptions soviétiques en général et non plus seulement à Tchernobyl.

Ce cri d'alarme de l'AIEA a été relayé par de nombreux organismes, en particulier le G7. Les initiatives se sont multipliées : programmes Phare et TACIS de l'Union européenne, compte sûreté nucléaire ouvert à la BERD et alimenté par des dons volontaires, coopération bilatérale, prêts Euratom. Force est de constater que le signal d'alarme tiré par notre Assemblée, comme l'urgence affirmée par chaque réunion du G7 ou sommets européens, n'ont pas eu les effets immédiats escomptés.

La fermeture de Tchernobyl devenait le symbole de cette urgence déclamée et réclamée sur les tréteaux internationaux. Le système soviétique n'était pas tombé en même temps que la statue de Lénine et faisait de la résistance. Il a fallu attendre décembre 1995 pour que la décision soit formellement prise, et il faudra attendre l'an 2000 pour que Tchernobyl s'arrête. Les problèmes liés à la centrale ne s'arrêteront pas à cette date.

Notre Assemblée a adopté en 1993 une recommandation qui constituait déjà un document avancé à cette époque et qui tenait compte des réalités énergétiques et des possibilités techniques : amélioration de l'exploitation, modernisation ou fermeture des réacteurs. Nous insistions sur la nécessité de la création d'un mécanisme de décision à haut niveau et d'un engagement financier à la hauteur des enjeux.

Le rapport que je présente au nom de la Commission de la science et de la technologie dresse un tableau global de la situation dans chaque pays et des différentes initiatives internationales et leur financement.

Il faut reconnaître que l'Union européenne, malgré les défauts que j'avais dénoncés en 1993, a été le principal financeur de ces actions d'assistance. Il faut aussi porter à son crédit les améliorations apportées à son environnement technique, en dépit de la pesanteur persistante d'idéologies propres et de cohérences internes parfois peu lisibles - en d'autres termes, des conflits entre directions.

Je souhaite préciser d'emblée plusieurs points : ce rapport traite de la sûreté des installations nucléaires exclusivement ; il n'englobe pas les aspects déchets, combustibles, réacteurs militaires ; la sûreté nucléaire, c'est tout ce qui a trait au fonctionnement de la Centrale ; la sécurité nucléaire, c'est tout ce qui concerne l'extérieur de la Centrale : les rejets, la protection des populations, les plans d'urgence.

Comment a évolué, depuis 1993, le contrôle international ?

La Convention sur la sûreté nucléaire, négociée sous les auspices de l'Agence de Vienne, ou AIEA, entrée en vigueur le 24 octobre 1996 et ratifiée par soixante-trois pays, prévoit l'élaboration par les Etats concernés des rapports sur la sûreté des installations nucléaires et l'examen de ces rapports, régulièrement, lors de réunions communes. Elle affirme des principes connus à l'Ouest, souvent ignorés à l'Est, comme l'indépendance des autorités de sûreté, leur pouvoir réel ou la transparence sur les incidents.

Le Memorandum of Understanding sur Tchernobyl présente l'engagement du G7 et de l'Ukraine pour arriver à la fermeture de la centrale en l'an 2000 : amélioration à court terme des unités encore en fonctionnement, construction d'un nouveau sarcophage, achèvement des centrales de Rovnoa, Khmelnitsky, l'élaboration d'un plan d'impact social, pour atténuer les effets économiques et sociaux de la fermeture de Tchernobyl.

On peut espérer que tous les engagements seront tenus, mais il n'y a pas de certitude absolue, l'Ukraine, qui consacrerait près de 10 % de son budget pour faire face aux conséquences de l'accident de 1986, pouvant être tentée de faire monter les enchères.

Le Sommet de Moscou sur la sûreté nucléaire a permis dans ses conclusions d'affirmer par tous les participants, y compris la Russie, le principe de la primauté de la sûreté sur toute autre considération. Cela semble évident, mais ce n'était pas le cas dans le système communiste soviétique. Le Sommet de Moscou a confirmé par les signataires, le Memorandum of Understanding sur Tchernobyl et la Russie a accepté de signer la Convention de Vienne sur la responsabilité civile en cas d'accident nucléaire.

En ce qui concerne les initiatives financières, un constat s'impose : le décalage flagrant entre les besoins estimés pour une remise à niveau de la sûreté et les moyens mis en oeuvre par les différents financeurs.

Il faut y ajouter la complexité des procédures, où il n'existe pas des critères d'intervention communs. Je pense à la BERD, où chaque pays contributeur peut imposer, sur des motivations diverses, des critères supplémentaires avant de donner son accord au financement.

Le rapport présente un bref aperçu des différents types de centrales et de la situation dans les différents pays.

Je serais tenté de classer les pays en deux catégories : ceux qui ont intégré les exigences de sûreté avec tout ce que cela implique dans les procédures et dans la pratique : Hongrie, Slovaquie, Tchéquie ; ceux qui continuent à travailler avec un discours, certes sur la sûreté, mais où les habitudes néfastes héritées du communisme sont toujours vivaces ou bien qui manquent de moyens, ou bien encore où le nucléaire est un enjeu politique : Russie, Ukraine, Bulgarie laissée orpheline par le départ des soviétiques en 1989.

Par-delà les sensibilités politiques ou philosophiques de chacun sur l'utilisation de l'énergie nucléaire - débat que nous ne sommes pas en mesure de trancher - nous devons avoir à l'esprit que la sûreté nucléaire s'impose à tous.

La sûreté nucléaire n'est pas un luxe pour pays riches, mais une nécessité pour tous. La sûreté nucléaire n'est pas non plus un enjeu de pouvoir. Elle est constituée d'un ensemble de règles, de comportements que l'on ne saurait ignorer, ni oublier ou combattre selon son positionnement politique.

La sûreté nucléaire n'est pas une étiquette que l'on colle sur un dossier que l'on range sur une étagère. Cela ne s'achète pas non plus à l'extérieur pour être porté comme un badge. Cela se construit chaque jour, à tous les niveaux des intervenants du nucléaire.

La sûreté nucléaire passe par l'amélioration du cadre juridique, qui définit le rôle et les compétences des différents intervenants et les principes qui régissent leurs rapports ; par la création ou le renforcement de véritables autorités de sûreté, qui doivent voir leur indépendance et leur pouvoir reconnus et garantis par le pouvoir politique. Les intérêts des exploitants et les nécessités de la sûreté peuvent être en opposition. Il faut donner les moyens aux autorités de sûreté de faire prévaloir en toutes circonstances les impératifs de la sûreté par l'instauration d'une véritable culture de sûreté. La culture de sûreté, c'est cet état d'esprit qui anime chaque jour tout travailleur du nucléaire - de l'ouvrier au directeur - et qui lui fait se demander : " Que puis-je faire, à mon poste, pour améliorer la sûreté ? ". C'est porter au plus haut point la conscience de son rôle quotidien au service de la sûreté.

Des jumelages entre centrales de l'Est et de l'Ouest ont permis des échanges de travailleurs qui ont pu ainsi voir et mesurer comment se vivait la culture de sûreté. Ces types de jumelages doivent être encouragés car c'est par la pratique que l'esprit de sûreté progressera. Il faut dire, pour la bonne information de l'Assemblée, que dans les régimes communistes, seule comptait la production et que toute manoeuvre qui arrêtait la production était sanctionnée.

Je reconnais que ce message de la sûreté n'est pas toujours facile à faire passer et que les discours tenus par les occidentaux gagneraient à être clarifiés. Il leur faut aussi éviter l'attitude " impérialiste " : il y a des compétences dans les pays d'Europe centrale et orientale, mais elles étaient mal utilisées dans le système communiste. Nos procédures sont encore souvent trop compliquées, trop longues. J'ai toujours pensé qu'il y avait beaucoup plus à se partager le fardeau de l'amélioration de la sûreté de l'Etat, qu'à faire des bénéfices pour les entreprises. On a souvent parlé de Plan Marshall pour la sûreté nucléaire. On devrait se souvenir des modalités de son application qui ont fait son succès et son efficacité.

Enfin, dans des pays en transition, où les problèmes économiques et sociaux sont aigus, il faut une très grande volonté politique et une stratégie bien affinée pour réorienter la politique énergétique ou décider de la fermeture d'une centrale.

Néanmoins, depuis quatre ans, date de l'adoption de notre recommandation, les choses ont évolué. La prise de conscience semble s'être étendue, le Sommet de Moscou tend à le prouver. Vous me trouverez prudent. En effet, car j'ai toujours en mémoire la réponse que me faisait le Président ukrainien ici-même, à propos d'incidents demeurés cachés plusieurs mois : " Tout est très clair chez nous et si nos procédures d'information ne vous plaisent pas, nous allons réfléchir pour les changer ".

Ce n'est pas parce que les choses changent dans le bon sens que la partie est définitivement gagnée. Nous ne devons pas tomber en léthargie et nous laisser gagner par l'habitude, l'accoutumance. Ce n'est pas fini. Il reste beaucoup à faire et beaucoup plus qu'il n'a été fait. Notre Assemblée ne doit pas se lasser de le répéter. L'instauration d'une véritable culture de sûreté dans les pays d'Europe centrale et orientale dans toutes ses dimensions est aussi une mesure des progrès de la démocratie dans ces pays.

La démocratie est inséparable de la transparence sans laquelle la sûreté ne peut progresser. La démocratie suppose la prédominance de l'homme sur le système. Faire que la sûreté prime sur la production, c'est inverser l'échelle des valeurs par rapport aux régimes communistes ; c'est replacer l'homme au coeur de la démocratie et nos efforts doivent tendre à ce qu'à travers la sûreté nucléaire, ce soit aussi la démocratie qui progresse.

J'en aurai terminé, Monsieur le Président, en remerciant le Secrétariat pour son aide et l'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE, pour les informations qu'elle nous a données lors d'une très intéressante audition. "

Au terme d'un long débat, le rapporteur de la commission de la Science et de la Technologie, M. Claude BIRRAUX, député (UDF), répond aux orateurs :

" Monsieur le Président, je remercie, d'abord, les orateurs qui ont apporté leur contribution à ce débat. Leur nombre même montre tout l'intérêt porté à ce rapport et je les remercie pour les félicitations qu'ils m'ont adressé.

Je souhaite apporter quelques précisions supplémentaires.

Premièrement, je répète ce que j'ai déjà dit au sujet du titre du rapport qui traitera donc de " la sûreté des installations nucléaires ".

Deuxièmement, je confirme à MM. Staes et Ruffy que je proposerai, dans le cadre de notre sous-commission de la politique technologique et de l'énergie, d'initier un rapport relatif non seulement à la gestion des déchets et aux réacteurs de recherche, mais également aux autres types de déchets nucléaires et de réacteurs qui plus ou moins se promènent de par le monde. Il y aura un rapport spécifique devant cette Assemblée.

Nos amis ukrainiens nous disent que l'Est doit tenir ses engagements et apporter des financements. J'ai envie de leur répondre que certaines choses sont à leur portée et qu'elles ne coûtent rien ! Cela relève de leur responsabilité politique. D'abord, les économies d'énergie et l'utilisation rationnelle de l'énergie. Lorsqu'il fait trop chaud dans une pièce, on peut poser une vanne thermostatique réglant la température du radiateur au lieu d'ouvrir la fenêtre. Cela, qui ne coûte rien, peut rapporter beaucoup en termes d'énergie.

La transparence, indissociable de la culture de sûreté, ne coûte rien non plus. J'ai en mémoire, comme si c'était hier l'audition de M. Koutchma, au mois d'avril 1995. Ses réponses sur les procédures d'information ne nous satisfont pas. La transparence, c'est tout de suite. La transparence ne se discute pas. C'est le seul moyen de faire progresser la sûreté. La culture de sûreté est dans la transparence.

Dans le système qui était le vôtre sous le régime soviétique, l'important c'était de produire, de produire encore pour remplir les obligations du Plan. Et plus on produisait, plus on était fort, plus on était reconnu, plus on était puissant. Au mépris de la sûreté ! Aujourd'hui, si vous signez la Convention sur la sûreté nucléaire, qui garantit la primauté de la sûreté sur toute autre considération, vous aurez fait un progrès considérable sur la voie de la sûreté et le monde entier vous en sera reconnaissant.

J'apporterai encore une précision technique, sans toutefois entrer dans les questions liées aux frontières entre la Turquie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Les réacteurs fonctionnent à l'uranium enrichi. Il s'agit d'uranium à 3 %, 3,5 %, voire 5 % d'uranium enrichi. Nous sommes loin de la qualité militaire. Il y a au moins un facteur vingt, si ce n'est trente pour atteindre la qualité militaire. Dans l'intérêt même de votre démonstration, si vous voulez être crédibles, n'exagérez pas. Si les VVER présentent des défauts, ils ont aussi des qualités ! J'ajoute que la sûreté ne se mesure pas au rendement.

Dernier point : ce ne doit pas être un enjeu de pouvoir. Chez vous, des véhicules circulent, et ils obéissent au code de la route. Qui oserait imaginer, lorsque le gouvernement est tenu par des progressistes, des conservateurs ou des libéraux, que le code de la route s'en trouve bouleversé ? Il en va de même pour la sûreté nucléaire : ce ne doit pas être un enjeu de pouvoir, mais la préoccupation constante et permanente de tous les gouvernements quelle que soit leur couleur politique.

A M. Jirinovski, je dirai que la démocratie est inséparable de la transparence. Il vient de nous apporter une preuve supplémentaire qu'il n'avait rencontré ni l'un ni l'autre ! "

La recommandation 1311 contenue dans le rapport 7714, amendée notamment sur le problème du suivi médical et de la protection radiologique des travailleurs avec l'accord de M. Claude BIRRAUX est adoptée.

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