III. RÉGIMES DÉROGATOIRES ET COMPORTEMENTS D'OPTIMI-SATION

Les taux de rendement avant impôt présentés dans les tableaux précédents sont calculés en utilisant le régime de droit commun d'imposition des sociétés. La prise en compte des régimes dérogatoires et des comportements d'optimisation des firmes peuvent naturellement modifier les résultats. Par exemple, le taux de rendement moyen avant impôt pour les investissements intérieurs serait en Irlande de 4,88% et non plus de 5,58% si l'on prenait en compte le régime applicable à certaines entreprises (industries de fabrication, sociétés de services financiers) installées à Dublin et dans la zone de Shannon (taux de 10% et possibilité d'amortissement de 100% la première année). Dans ces conditions, l'Irlande, devient une destination tout aussi intéressante que ne le sont l'Allemagne et la Belgique dans nos calculs.

L'application des systèmes dérogatoires dépend non seulement du lieu de localisation des investissements mais aussi du type d'activités (centres de coordination, quartiers généraux). La liste des activités couvertes par ces centres est différentes selon les Etats mais concerne généralement les activités de coordination, d'administration et de gestion des grands groupes. Quand il existe une structure de ce type au sein d'une multinationale, il est particulièrement difficile de calculer un coût du capital, les quartiers généraux ayant un régime d'imposition forfaitaire qui peut dans certains cas (Royaume-Uni) être directement négocié avec l'administration. Les Etats membres qui disposent de tels régimes sont : la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Luxembourg et la France.

Enfin, comme on l'a déjà souligné, les entreprises multinationales ont la possibilité de se soustraire à une partie de leurs obligations fiscales par des pratiques d'optimisation fiscale, ce qui là encore rend extrêmement difficile tout essai de calcul a priori du coût du capital. La plus `courante' consiste à manipuler les prix de transferts à l'occasion de transactions effectuées entre des établissements ou des filiales situées dans des pays différents. Il est fiscalement avantageux pour une multinationale que ses filiales, situées dans des pays où le taux d'impôt sur les sociétés est élevé, surévaluent le prix d'acquisition des biens et services provenant d'établissements ou de filiales situées dans des pays ayant des taux d'impôt sur les sociétés relativement faibles, et à l'inverse sous-évaluent leurs prix de cessions internes.

Lall (1973), dans une étude déjà ancienne mais qui présente l'avantage de reposer sur l'observation directe des prix de cession internes pratiqués par les entreprises pharmaceutiques ayant des filiales en Colombie, a montré que, compte tenu du régime fiscal préférentiel de la Colombie, les flux internes de biens et services reçues par les filiales colombiennes étaient très largement surfacturées. Ce résultat semble corroboré par les travaux plus récents de Grubert et Slemrod (1994). Ces deux auteurs ont analysé les raisons pour lesquelles les multinationales américaines détiennent des filiales à Porto Rico. Ils concluent que le traitement fiscal favorable dont jouissent les entreprises installées sur ces territoires incite les multinationales américaines à détenir des filiales sur ces territoires afin de minimiser leur charge fiscale globale, notamment en effectuant des mouvements purement comptables de profit en faveur de ces filiales. En revanche, les travaux de Bernard et Weiner (1990) portant sur les compagnies pétrolières américaines, montrent que le prix des transactions portant sur les produits pétroliers intra-firmes n'est pas très éloigné par rapport au prix pratiqué sur le marché spot pour le même type de produits, ce qui semblerait indiquer que les prix de cession internes ne sont pas systématiquement utilisés comme un moyen d'évasion fiscale.

La manipulation des prix de transfert ne se limite pas à la seule manipulation des prix de cessions internes. Ainsi, dans certains cas, une société-mère peut avoir intérêt à jouer sur les royalties et les redevances (pour l'utilisation d'une licence ou d'un brevet ) que lui verse une filiale située à l'étranger. Le paiement de redevances et de royalties constitue alors un substitut au versement de dividendes et permet à la société-mère de rapatrier une partie des bénéfices de sa filiale à un moindre coût fiscal. C'est particulièrement le cas quand les bénéfices distribués font l'objet d'une double imposition, soit parce que le pays étranger utilise une retenue à la source sans que celle-ci fasse l'objet d'un crédit d'impôt dans le pays de résidence de la société-mère, soit parce que ce dernier utilise le système de l'exemption plutôt que le système du crédit d'impôt.

Ainsi, Kopitz (1976) trouve une corrélation négative entre le versement de royalties effectué par des filiales étrangères à leur société-mère située aux Etats-Unis et la différence entre le fardeau fiscal supporté par le versement de royalties et le versement de dividendes. L'auteur montre que si le coût fiscal des dividendes est de 1 % supérieur à celui des royalties, alors le versement de royalties augmente de 0,56 % (soit une élasticité de *0,56). Ces résultats sont confirmés par ceux de Hines (1995) qui trouve une élasticité de *0,4 ou de Grubert (1995) qui conclut à un impact significatif des taux de retenue à la source et des taux d'impôt sur le bénéfice des sociétés sur la propension des filiales étrangères à verser des royalties à leur société-mère située aux Etats-Unis. Ces résultats doivent cependant être manipulés avec précaution car la corrélation négative entre le versement de royalties et le fardeau fiscal qui lui est associé ne signifie pas forcément que les entreprises manipulent illégalement leurs prix de transfert pour échapper à l'impôt. En effet ces estimations, en ne prenant pas en compte certaines variables pouvant expliquer l'intérêt pour une entreprise de recourir au système des royalties, laisse ouverte l'explication selon laquelle ce système est tout simplement favorable aux entreprises dont les filiales sont implantées dans des pays où les taux de prélèvements sont faibles.

Au total la multiplicité des formes d'investissements, la diversité des régimes fiscaux (droit commun ou dérogatoires), ou encore l'existence de comportements d'optimisation fiscale, permettent difficilement d'obtenir une mesure synthétique de la compétitivité fiscale d'un pays. Cette difficulté ne doit occulter en rien les écarts de pression fiscale entre Etats, qui peuvent être considérables.

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