G. INTERVENTION DE M. DANIEL HOEFFEL

La nécessité d'une volonté politique de l'Europe a été mise en relief tout au long de cette semaine. Cette volonté doit s'accompagner d'une clarté dans la démarche et d'une complémentarité dans l'intervention des diverses institutions européennes.

Il y a l'Europe des Quinze et l'Europe des Quarante et un : chacune a sa vocation et son champ d'action, mais chacune, dans sa sphère, concourt à la réalisation d'objectifs et à la défense de valeurs qui doivent faire de notre continent un pôle de rayonnement exemplaire.

Il me semble inutile et même inopportun que l'Union européenne cherche, dans certains domaines, à répéter ce que le Conseil de l'Europe a déjà réalisé. J'exprime cette crainte à propos de l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux, dont l'articulation avec la convention du Conseil de l'Europe ne doit en aucun cas être source de difficultés ou d'équivoque.

Il n'est pas question, bien entendu, de remettre en cause l'originalité de la méthode ni la qualité et la compétence de ceux qui préparent la Charte et qui réalisent un travail sérieux, notre collègue Haenel, que je remercie de l'initiative de cette question orale européenne avec débat, l'a bien relevé.

Cependant, les interrogations naissent de certaines déclarations faites récemment et que je voudrais rappeler : " Personne ne sait encore très bien ce sur quoi l'on va déboucher ", ou encore " L'important est, pour le moment, d'obtenir une bonne Charte et la question du statut viendra plus tard. "

L'Europe n'est pas née d'une équivoque, elle ne peut pas avancer dans l'équivoque. Il faut qu'au départ les choses soient claires. Il y va du caractère confiant des relations entre institutions européennes. Il faut, à cet effet, rappeler la situation actuelle.

La convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe a été signée en 1950. Elle est dotée d'un mécanisme de contrôle supranational. Il s'agit, depuis 1998, d'une cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent aux Etats adhérents. Les quarante et un Etats qui composent le Conseil de l'Europe sont tous signataires de la convention, et l'engagement de souscrire cette convention est même devenu une condition d'adhésion au Conseil de l'Europe.

Les quinze Etats de l'Union européenne ont souscrit depuis longtemps à la convention, l'ont incorporée dans leur droit interne, et sont donc soumis à la juridiction de la Cour de Strasbourg.

Pour sa part, l'Union européenne, à partir de l'Acte unique européen, a prévu que les traités, dans leur préambule, fassent mention de la soumission de l'ordre juridique communautaire aux droits de l'homme et explicitement à la convention européenne des droits de l'homme.

Il ne subsiste qu'un vide juridique : les actes et décisions émanant des organes communautaires ne sont pas soumis, quant à eux, à un contrôle de légalité au regard des droits de l'homme.

Se pose, de ce fait, la question de l'articulation entre les deux ordres juridiques. Comment combler ce vide juridique.

A plusieurs reprises, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a invité l'Union européenne à formaliser la soumission à l'ordre juridique de la convention européenne des droits de l'homme, solution longtemps approuvée par le Parlement européen. Mais la Cour de justice des Communautés européennes a émis un avis défavorable, et il se dégage donc actuellement une tout autre orientation. L'Assemblée du Conseil de l'Europe s'est pourtant prononcée en faveur d'une incorporation des droits garantis par la convention européenne des droits de l'homme dans la future Charte.

Elle s'est également prononcée pour la modification des traités européens afin de rendre possible l'adhésion de l'Union européenne à cette convention.

Le président de l'Union européenne, s'exprimant devant le Conseil de l'europe, a déclaré : " Il est utile que l'Union se dote d'une Charte des droits fondamentaux afin de se rapprocher de ses citoyens. " Mais il a ajouté : " Il faut éviter toute incohérence entre la Charte et la convention ou entre les jurisprudences des deux cours européennes. "

Cela entraîne évidemment trois risques.

Le premier, c'est celui d'une Europe à deux vitesses, avec une certaine conception des droits de l'homme dans une partie de l'Europe et une autre dans le reste de l'Europe. Ce serait le risque d'une nouvelle division au moment même où le continent européen refait son unité.

Le deuxième risque, c'est le risque de divergence quant aux droits garantis.

Le troisième risque, principal, tient à l'institution d'un double mécanisme de contrôle. Existe donc le risque d'une divergence des droits garantis et de la jurisprudence des deux cours, celle de Strasbourg et celle de Luxembourg.

La divergence sur la définition des droits entre la future Charte et la convention existante ainsi que la divergence des mécanismes de contrôle et des jurisprudences, voire leur concurrence, n'apporteraient sans doute pas une sécurité supplémentaire quant aux droits des citoyens. Les inévitables conflits de droit et conflits de juridiction ne contribueraient pas à la lisibilité de la construction européenne.

Ce sont, monsieur le ministre, les trois questions qui ont déjà été posées mais que je répète.

Il faut, en premier lieu, inviter le Gouvernement français à éviter toute divergence entre la convention européenne des droits de l'hommes et la future Charte des droits fondamentaux dans la définition même des droits.

Il convient, en deuxième lieu, faire preuve de circonspection à l'égard d'une incorporation de la Charte dans les traités européens qui entraînerait la compétence de la Cour de justice de Luxembourg, et donc une concurrence fâcheuse avec la Cour de Strasbourg.

Il faudrait, en troisième lieu, que soit bien précisé que la Charte ne régit que des actes communautaires, et laisse donc entier le système des droits reconnus à toutes les personnes présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la citoyenneté de l'un des Etats membres.

C'est une question d'efficacité, mais aussi de lisibilité de l'Europe et des droits de l'homme par la population européenne. Nos concitoyens éprouvent souvent des difficultés à savoir qui fait quoi en Europe et qui est compétent pour quoi. A un moment où l'Europe est à un tournant, il faut des réponses claires à ces interrogations. Il est encore temps d'y contribuer. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté d'y contribuer.

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